Le mois de janvier 2014 marque la troisième phase de négociations de l’Accord de Libre-échange Complet et Approfondi (ALECA) entre le Maroc et l’Union Européenne. Privilégiant certains secteurs tels que l’industrie et les services, l’agriculture demeure toutefois un domaine clé car l’Union Européenne important plus de 80 % de la production agricole marocaine (chiffres pour l’année 2011).  

Les enjeux d’un tel accord pour l’économie agricole au Maroc sont conséquents. Selon le bureau d’étude néerlandais ECORYS, l’alignement du Maroc sur les mesures non tarifaires imposées par l’UE devrait permettre aux sociétés du secteur des  fruits et légumes de bénéficier de nouvelles opportunités commerciales. Ainsi, ce même secteur devrait largement contribuer à l’augmentation des exportations (valeur ajoutée) et participer de façon effective à la création d’emplois (qualifiés et peu qualifiés). Les retombées à long terme semblent donc être positives. Cependant, un tel accord soulève des questions, notamment sur l’avenir du monde rural au Maroc.

 

Une libéralisation peu favorable aux sociétés agricoles marocaines

 

Pour commencer, on peut se poser la question suivante : l’agriculture marocaine est-elle prête à une telle libéralisation ? Notamment, lorsque l’on sait que la production marocaine reste très peu subventionnée par rapport à la concurrence internationale. En effet, si on regarde les chiffres de plus prêt, le gouvernement marocain octroie seulement 8% de l’ensemble des subventions gouvernementales au secteur agricole, contre 30 à 70% pour l’Union Européenne et les pays de la région méditerranéenne. Cette concurrence par les coûts est et restera difficile à surmonter pour les sociétés marocaines du secteur agricole.

Une autre problématique réside dans les mesures non tarifaires définies par l’Union Européenne. Rapprochement réglementaire oblige, les exigences de ces accords en matière de contrôle de qualité et d’hygiène sont importantes, des quotas et des mécanismes de prix d’entrée au marché communautaire  conditionnent et limitent encore et toujours plus ces échanges, en défaveur du Maroc. Ainsi, un rapport réalisé en mai 2013 par le ministère de l’économie et des finances du royaume concluait sur la nécessité « de renforcer les exportations marocaines des produits agricoles vers d’autres marchés porteurs (excluant l’UE)…et de négocier des partenariats plus avantageux pour le Maroc, basés sur le principe de complémentarité ».

 

Vers une économie agricole peu orientée vers le développement intégré et social.

 

Ces accords devraient également améliorer le niveau et les conditions de vie de la population marocaine, grâce notamment à la création d’emplois. Cette amélioration bénéficiera-t-elle aux 45% de la population marocaine vivant encore en zone rurale et dépendant de l’économie agricole ?

Car le Maroc présente une agriculture duale. Moins de 5% des exploitations  agricoles du pays font plus de 20hectares tandis que 40% d’entre elles appartiennent à la catégorie des « micro-exploitations », avec moins de 5hectares de terre exploitable. On constate donc un énorme déséquilibre dans les pratiques agricoles : la première est tournée vers le profit, l’autre vers la survie – considérée comme «non viable ».

A cette problématique foncière s’ajoute le manque d’accès au crédit pour les petits exploitants qui souhaiteraient investir et moderniser leurs fermes : sans appui des institutions financières, pas de financement, pas d’amélioration de leur productivité ni de leur pouvoir d’achat.

L’accès à l’eau demeure également un sujet préoccupant pour les fellahs marocains. Les périmètres irrigués desservent en priorité les grandes exploitations – plus productives et rentables – qui excluent tout un pan de ce secteur qui est représenté par l’agriculture traditionnelle et pluviale. Le constat est alarmant : on assiste peu à peu à la disparition de l’agriculture de subsistance au profit de l’agriculture industrielle.

Enfin, on sait  que l’agriculture au Maroc fournit plus de 40 millions de jours de travail par an. Toutefois, la difficulté à faire respecter le code du travail – dans un milieu ou le secteur informel est fort présent ; auxquelles s’ajoutent des conditions de travail trop souvent désastreuses et indignes  et l’importance des intermédiaires dans le circuit de commercialisation font de l’agriculture marocaine un secteur sensible et désorganisé.

Ainsi, le challenge en termes de développement social, humain et même économique reste grand et demandera plus que des accords commerciaux pour améliorer la situation.

 

Inquiétudes environnementales et dépendance alimentaire

 

Il faut aussi parler de la dépendance alimentaire du pays à l’importation. Les cultures céréalières apparaissent au premier rang des importations du pays, le Maroc étant classé parmi les 3premiers pays importateurs de blé pour le continent africain (année 2012). En acceptant les conditions de  ces accords sur les quotas de blé à l’exportation, le Maroc renforcera donc sa dépendance au marché extérieur et mettra en danger la sécurité alimentaire du pays.

Enfin, on peut craindre l’impact des ALECA sur l’environnement. L’érosion des sols et l’épuisement des nappes phréatiques, la désertification, les sécheresses … Ces quelques exemples illustrent des problèmes déjà existants, qui ne tendront pas à disparaître avec l’adoption des ALECA.

 

Libéraliser et vouer le secteur de l’agriculture à l’exportation va-t-il aider à l’amélioration des conditions sociales et humaines en zone rurale? Le manque d’accès aux ressources financières et à l’eau, les détériorations environnementales, la surexploitation de la main d’œuvre agricole et le manque de transparence dû à un secteur opaque et désorganisé sont des obstacles qui ne disparaîtront pas avec l’adoption des ALECA. Il faudra un fort investissement de la part de l’Etat et une réelle volonté de changement afin de rendre possible la mise en œuvre de réformes durables et intégrant l’agriculture paysanne marocaine.