Ce qu’il y a d’étonnant lorsqu’on parle de la Bosnie actuelle et de sa division politique, de son élan vers la démocratie et sa mise en tenue par l’Europe de l’Ouest et l’ONU, on reste pour le moins perplexe des discussions qui en découlent. Qu’en est-il de la Bosnie actuelle? Qu’en disent ces habitants et que pensent-il de sa nouvelle configuration?

Plus encore que des discussions, c’est surtout des sentiments dont il s’agit quand on pose naivement le problème aux bosniens. A ceux qui ont connu la yougoslavie de Tito, c’est principalement de nostalgie qui  ressort de leurs discours. En général, l’opinion partagée, c’est que c’était formidable avec le Maréchal, la Yougoslavie était grande, riche et les gens avaient un emploi et ils étaient heureux.

 

Plutôt que de faire une analyse statistico-sociologique où les chiffres remplacent les sentiments, il est préférable parfois d’entendre le discours de la société civile. En effet, parfois, les pleurs de la boulangère ou les rires des vétérans de guerre en disent long là où les historiens cherchent encore la cause et les conséquences. C’est aussi le charme de l’analyse sociologique que de se pencher sur les paroles des anciens et sur les chants du peuple. Tout vient de là et tout repars là, diront ceux qui préfèrent les vérités de l’âme.

Titiste ou non, il semble planer autour de la Bosnie et des bosniens ( toutes religions confondues) , l’idée qu' »avant, c’était meilleur ».  Le plus étonnant reste le fait que même ceux qui sont nés après la fin de la Yougoslavie, ceux qui sont nés après la guerre, ceux qui sont nés après les Accords de Dayton, tous ou la plupart semblent comme nostalgique de ce qu’était la Yousgoslavie. Cela surprends tooujours d’entendre dans la bouche d’un teenager de 15 ans que Tito était génial et que la Yougoslavie était un pays prospère où il faisait bon vivre.

Mais, alors comment savoir si c’était meilleure avant? Très probablement, aucun livre d’histoire ne peut trancher la question et d’ailleurs, et si ce n’était pas l’affaire de l’Histoire mais de l’histoire tout court?

Ainsi, dans le cas de la Bosnie, que penser de cette Yougonostalgie? Simple sentiment élémentaire partagé par des fanatiques de Tito? Simple sentiment fondé sur aucune argumentation claire et limpide? Simple effet de brainstorming et du culte de la personnalité opéré par les chefs communistes de l’époque? Et, au final, serions-nous tous taxés de rétrogrades finis à partir du moment où l’on fait l’apologie du passé?

Soyons farouches et poussons la question plus loin. Comparons avec la situation française. Dirons-nous en France, que c’était mieux sous Miterrand? Pire sous Chirac? Les gauchistes et les soulèvement populaires ne changent rien à la rationalité d’un discours? Les partisans de l’un ou l’autre diront nécessairement que c’était mieux sous l’un ou l’autre gouvernement.       Pourtant, ce même français, qui dirait que c’était mieux sous Chirac, dirait-il qu’aujourdh’ui, rien n’est bon et qu’il faut regretter le passé? Non, il semble qu’il y a cet espoir  imperceptible néanmoins présent qui nous fait croire que demain sera meilleur. Politiquement du moins. Comme si la politique et les lois malgré les vissicitudes inhérents à tout changement de gouvernail politique, se dirigeaient irréversiblement vers un meilleur. Est-ce déjà du « determinisme historique »? Nous dirons, qu’ici, il s’agit d’abord et avant tout, d’une sorte de sentiment optimiste envers l’avenir.

Peut-on regretter Robespierre? C’est ce à que j’ai tout de suite pensé lorsque j’entendais ces êtres qui regrettaient Tito et la Yougoslavie. C’est aussi, ça que j’ai pu lire dans les livres d’histoires…A l’âge ou l’on n’est pas critique et où l’on suit l’opinion, Tito peut facilement être peint comme un dictateur sans coeur, aux prétentions immenses cherchant à se rebeller contre tous, les communistes d’un côté et les capitalistes de l’autre.  Mégalomaniaque seul contre tous? Tito ou la rebellion forcenée d’un homme qui a rassemblé sous son aile multitudes de pays faisant oublier à chacun tout prétention nationaliste?

Un vrai soudeur ce dictateur, disent les historiens objectifs. Un vrai fouteur de trouble disent les anti-communisme, un dictateur égoiste diront les staliniens en vogue. Alors? Peut-on séparer l’homme politique du personnage Tito?  Que penser de la bande des non-alignés dont il a aidé à la création? Et, que penser de Goli Otok? Camp de détention nécessaire ou barbarie à double tranchant?

Nous ne ferons pas une analyse sur son histoire, ni sur sa politique avec une précision chirurgical. On ne peut pas se prétendre le Flaubert de l’histoire du communisme et parfois, il est suffisant d’écouter les survivants, les retraités et les anciens pour juger et estimer les vertus d’un homme.

Il y a, en effet une yougonostalgie éminente en Bosnie et dans les autres pays de la Yougoslavie de Tito, et peut-on être frappé par un autre sentiment lorsqu’on considère la Yougoslavie multiethnique  avec « l’union fait la force » comme devise fondamentale, aujourd’hui éclaté en morceau, avec des pays autrefois frère aujourd’hui ennemis, se disputant l’appartenance d’une langue et d’une histoire qui autrefois était commune?

Comment ne pas être nostalgique se répètent les bosniens lorsqu’autrefois, on pouvait rouler de Sarajevo à Split pour nager et qu’aujourd’hui, il  faut un passeport et bientôt un visa? ( La Croatie faisant partie de l’Union Européenne depuis juillet 2013, elle se doit d’adopter la même politique de frontière)

On répète aussi que c’est une pure tragédie , qu’elle n’a fait que de diviser ce qui était autrefois unis et chacun se rappelle l’époque, ou l’autre était un camarade et qu’on ne savait pas s’il était musulman, orthodoxe ou catholique. Et qu’aujourd’hui, chacun interroge le prénom de l’autre avant d’entamer une quelconque relation. Triste modernité bosnienne?

Alors, oui, parfois, la nostalgie est un sentiment bien vaporeux, ne se basant sur aucune rationalité, mais il faut avouer que dans la situation de la Bosnie actuelle et de son morcellement « ethnico-religieux », comment ne pas l’être? Et comment préférer la division à l’unité pluriethnique?

« Demain, sera meilleur », c’est aussi l’apanage de la résolution de conflit, faut-il se forcer à voir l’avenir comme un gage de bonheur là où les ruines rappellent encore trop fortement un passé bienheureux?

Tout l’enjeu de la Bosnie aujourd’hui est là, dans sa capacité à croire en l’avenir…