Le 8 août 1998,  un bateau échoue sur les côtes sud de Chypre et plus particulièrement à Akrotiri, base militaire souveraine britannique située sur l’île[1]. A bord, 75 personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants. La plupart sont Kurdes et viennent d’Irak ou de Syrie.

Mustafa est l’un d’eux. Apatride[2], il vient d’Hassaké, ville située au nord-est de la Syrie et composée majoritairement de Kurdes. Mustafa a fui la Syrie il y a 15 ans. Appartenant à la minorité Kurde, il explique avoir été violemment persécuté par les autorités syriennes.

Dès le deuxième jour de son arrivée, les forces britanniques tentent de l’expulser. Or, Mustafa, refusant de soumettre le nom de son pays, ne sera finalement pas renvoyé. Lui et les 74 autres exilés, passeront trois mois à la base avant d’être détenus dans une sorte de prison à Episkopi, la capitale des bases militaires britanniques.

L’incertitude quant à la durée d’enfermement les hante. Après 8 mois de détention, les exilés s’impatientent sérieusement et protestent de plus en plus fortement. Une grève de la faim sera notamment initiée. Sans succès. Ils ne seront  finalement remis en liberté qu’après 8 autres long mois.

La réticence des autorités britanniques à offrir une protection internationale à ces personnes explique leur mise en détention. Elles craignent en effet qu’accorder le statut de réfugiés à ces exilés constitue un appel d’air. Jusqu’à fin 1999, les autorités britanniques et chypriotes se renverront  la responsabilité de l’accueil de ces personnes.

A la fin de cette même année, leurs demandes d’asile seront finalement transmises au Royaume-Uni et Mustafa obtiendra le statut de réfugié en 2000.

Mustafa, sa femme et ses deux enfants à l’entrée de leur maison à Dhekelia.
©Hannah Lucinda Smith

Il sera logé dans l’une des baraques de Dhekelia (Richmond Village), vouée à démolition depuis des années du fait de son insalubrité[3]. Ce statut lui permettra d’obtenir enfin un véritable accès aux soins ainsi que le droit de scolariser ses enfants sur la base. Il recevra également des prestations sociales.

S’il existait déjà des lois européennes quant à l’asile, il est important de préciser que ces dernières ne s’appliquaient pas aux bases militaires britanniques. Dans ce contexte, le ministère des Affaires étrangères de l’époque, tentera un rapprochement avec son homologue Chypriote afin de déterminer la responsabilité de chacune des deux autorités quant à l’accueil des demandeurs d’asile arrivant directement sur la base souveraine britannique.

Un mémorandum d’entente sera finalement conclu entre les deux parties en 2003. Ce mémorandum, qui n’a pas de valeur rétroactive, stipule que les futurs arrivants seront désormais sous la responsabilité de l’Etat Chypriote. Les personnes étant arrivées avant 2003 ont cependant la possibilité de rester sur la base britannique, si elles le souhaitent.

Très vite, les réfugiés s’apercevront que les autorités militaires britanniques souhaitent les mettre dehors. Si ces dernières avaient émis la possibilité de les relocaliser au Royaume-Uni, elles ont très vite abandonnées cette idée. Mustafa est dévasté, il ne comprend pas. « Pourquoi personne ne nous veut », nous dira-t-il à plusieurs reprises.

A la suite de la signature du mémorandum, l’école sur la base a fermé ; de même que l’accès aux soins est refusé aux réfugiés. Les enfants,  scolarisés pendant 7 ans dans une école anglaise, sont désormais accueillis dans une école publique de la République de Chypre. Imaginons ce bouleversement pour eux, qui n’avaient jusqu’alors jamais entendu parler grec. S’intégrer dans un environnement inconnu fut un véritable défi, et les difficultés inhérentes à ce bouleversement se ressentent  encore  aujourd’hui.

Mustafa nous montrant un article publié en 1998, peu de temps après son arrivée sur la base militaire d’Akrotiri.
©Hannah Lucinda Smith

Mustafa essaye de tuer le temps, mais c’est difficile depuis 15 ans. Connaissant les conditions d’accueil des réfugiés en République de Chypre, il se refuse de quitter la base et espère un jour voir sa famille admise au Royaume-Uni. Il sait également qu’y obtenir la nationalité sera extrêmement compliqué : en allant à Chypre, il perdrait tous les droits acquis grâce à son long séjour sur la base militaire. En effet, rien ne lui garantit que les années passées sur la base souveraine britannique soient reconnues comme années de résidence à Chypre, une des conditions sine qua non à l’acquisition de la nationalité chypriote[4] pour les réfugiés reconnus comme tels.



[1] Depuis l’indépendance de Chypre en 1960, le Royaume-Uni a conservé deux bases militaires sur l’île. L’une est située à Akrotiri, l’autre à Dhekelia.

[2] Sa mère est Syrienne et son père apatride. En Syrie, la nationalité se transmet par le père.

[3] Les baraques installées à Dhekelia étaient utilisées par l’armée britannique en Egypte lors de la seconde guerre mondiale.

[4] A Chypre, cette demande ne peut se faire que 7 ans après l’arrivée sur le territoire.