Il y a des jours où j’ai vraiment l’impression que Chypre est un pays de non-droit.  Avant-hier en était un.

Le 30 juillet dernier, la Police a emmené de force un Pakistanais, détenu au centre administratif de Menogeia, à l’hôpital psychiatrique d’Athalassa à Nicosie. Pourquoi ? Tout simplement parce que Muhammad est en grève de la faim depuis 30 jours

Hôpital psychiatrique d'Anthalassa, Nicosie.

Hôpital psychiatrique d’Anthalassa, Nicosie.

Muhammad est à Chypre depuis fin 2007 et est actuellement détenu depuis 9 mois. En près de 6 ans, il a été arrêté trois fois[1]. Ces arrestations ont été systématiquement accompagnées d’une mise en rétention. Au total, il aura passé près de trois ans enfermé. Si Muhammad est actuellement en grève de la faim, c’est parce qu’il proteste contre l’illégalité de sa détention. Cette dernière ne devrait en effet avoir lieu que dans une perspective d’éloignement du territoire[2]. Or l’administration chypriote, n’ayant aucun document lui permettant d’affirmer que Muhammad est Pakistanais, ne peut procéder à son expulsion. Muhammad est donc continuellement arrêté, puis relâché, et ainsi de suite.

Les personnes étant en grève de la faim effraient la police dans la mesure où leur santé est mise en danger. Mercredi, un policier du centre de rétention administrative de Menogeia a ainsi donné cet ultimatum à Muhammad : « soit tu manges, soit on t’emmène à l’hôpital psychiatrique ». Muhammad, bien décidé à ne pas manger, est emmené à  l’hôpital général de Larnaca où il reçoit une « consultation » express. Le médecin lui pose une seule question : « pourquoi tu ne veux pas manger ? ». Dans un anglais très approximatif[3], Muhammad indique qu’il souhaite être remis en liberté, sa détention n’étant pas motivée. Le médecin se contente de lui dire : « tu n’as aucune chance d’être libéré, et encore moins de trouver un emploi ici ». Fin de la consultation. Pour une raison que nous ignorons, il indique la nécessité pour Muhammad de rencontrer un psychiatre.

Les officiers de police choisissent de l’emmener devant le juge des référés. Ce dernier y ordonne son placement en hôpital psychiatrique pour quelques jours afin que son état mental soit examiné. Hier matin, nous y rencontrions Muhammad. S’il est fatigué psychologiquement du fait de la longueur de sa détention, et physiquement (grève de la faim), Muhammad va relativement bien et ne souffre d’aucun troubles psychiatriques.

Lors de l’entretien, il nous confie n’avoir jamais rencontré le juge. Il est ainsi resté assis dans la voiture de police, pendant que les officiers se sont chargés de récupérer l’ordonnance de placement. Comment un juge peut-il décider un placement psychiatrique sans aucun rapport médical, et qui plus est, sans s’être entretenu avec le détenu ? Tout porte à croire que la police, l’hôpital, et le corps judiciaire sont de connivence : décision arbitraire, pression psychologique, internement de force afin d’encourager Muhammad à arrêter sa grève de la faim.

Si cette mesure semble effarante, ce n’est hélas pas la première fois que KISA ait à gérer ce genre de cas. Un psychiatre de l’hôpital nous a même confié que cette pratique est relativement courante. De nombreux migrants placés en rétention sont envoyés au sein de cet hôpital. Parmi eux, rares sont pourtant ceux ayant de réels troubles psychiatriques[4].

L’affaire a été portée devant le défenseur des droits, et la Cour Suprême sera saisie d’ici peu afin de contester la durée d’enfermement. Espérons que cette fois, la justice l’emportera.

 


[1] Muhammad n’a pas de papiers l’autorisant à rester à Chypre.

[3] Absence d’interprète lors de la consultation.

[4] Entretien avec l’un des psychiatres de l’hôpital le 1er août 2013.