Jeudi 20 juin dernier, comme chaque année depuis l’instauration de la journée mondiale des réfugiés en 2001, des milliers d’organisations se sont félicitées de la reconnaissance de ce statut et des droits qu’il ouvre aux personnes ayant demandé une protection politique.

D’autres, au contraire, ont dénoncé l’indifférence et le peu de solidarité dont fait preuve la communauté internationale à leur égard et l’ont exhortée à agir afin d’élargir ses capacités d’accueil. Le respect de la dignité de ces personnes devrait en effet être incontournable, et non négociable. 

A Nicosie ce jour là, Majid[1] un réfugié Palestinien d’une quarantaine d’années, a tenté de s’immoler au milieu de Ledra, rue piétonne de la veille ville. 

Majid est arrivé à Chypre il y a 8 ans. Une fois le statut de réfugié en poche, il ouvre une petite échoppe en plein centre de Nicosie jusqu’au jour où, en 2011, il ferme boutique ne parvenant plus à rentrer dans ses frais. Depuis, il tente, tant bien que mal, de survivre en vendant à la sauvette des produits cosmétiques.

Quelques jours plus tôt, en me promenant à Ledra avec un ami Palestinien, je rencontre Majid. Il nous explique qu’il vient de recevoir une amende de 58 euros pour vente sans autorisation dans la rue. Le lendemain, mon ami le revoit. Majid a de nouveau reçu une amende ce jour-là. Il est désespéré. Alors qu’il ne gagne qu’une quinzaine d’euros par jour, comment peut-il payer ces contraventions quasi quotidiennes depuis plusieurs semaines? Il prévoit d’aller à la mairie afin d’expliquer sa situation, chose qu’il fera dès le jeudi 20 juin. Ce matin-là, le personnel municipal lui répond que la vente à la sauvette est interdite par la loi, que ce soit pour lui ou pour toute autre personne résidant en République de Chypre. Excédé de ne pas être entendu, Majid menace de s’immoler si rien n’est fait pour mettre un terme à ses problèmes financiers. A peine arrivé à Ledra pour poursuivre la vente de ses produits, il reçoit de nouveau une contravention. C’en est trop pour lui : il s’arrose d’essence et sort un briquet. Interpellé à la dernière minute par la présence d’une caméra, il choisira finalement d’expliquer à l’assemblée son quotidien en tant que réfugié.

Le cas de Majid n’est pas isolé, et son attitude s’explique par plusieurs données. Les personnes ayant obtenu le statut de réfugié à Chypre font face à des problèmes sociaux et économiques de grande ampleur. La crise financière qui frappe l’île a exacerbé le chômage et leur exclusion sociale. La plupart des réfugiés sont sans emplois et vivent dans des conditions tellement précaires qu’ils se trouvent bien souvent dans l’incapacité de subsister (loyers impayés, difficultés à s’alimenter).

22 juin 2013, devant la représentation de l'Union Européenne à Nicosie, Chypre

22 juin 2013, devant la représentation de l’Union Européenne à Nicosie, Chypre

S’ils devraient pouvoir se voir proposer les mêmes emplois que les Chypriotes, le Ministère du Travail ne leur offre en réalité que des emplois peu qualifiés, sous payés, isolés, et caractérisés par leur pénibilité. Pour la plupart d’entre eux, les allocations sociales arrivent avec trois ou quatre mois de retard. Les familles nombreuses se trouvent alors contraintes de couper l’eau, puis l’électricité, jusqu’à finalement être expulsées de leur lieu de vie.

Suite à un mouvement de protestation des réfugiés le 13 juin dernier, le chef du cabinet du Ministère du travail et de la protection sociale a invoqué le changement de gouvernement pour justifier le retard des versements. Mais comment expliquer que seuls les réfugiés se voient infligés cette lenteur ?

Ces dernières années, les réfugiés ont été pointés du doigt par  un groupe de politiciens. Parce qu’ils bénéficient d’aides sociales, ils seraient ainsi les responsables de la crise économique, de la montée du chômage. Plus, ils constitueraient une véritable menace pour l’identité culturelle et démographique de Chypre. Une partie de la presse participant à cette propagande, l’hostilité et le racisme à l’égard des étrangers s’est accru considérablement, rendant les mouvements néo-nazis de plus en plus visibles et populaires.

En outre, la République de Chypre est probablement le seul pays membre de l’Union Européenne refusant d’accorder la nationalité aux personnes bénéficiant d’une protection internationale. Ainsi, les réfugiés sont confrontés à un avenir plus qu’incertain.

Le 22 juin 2013, rassemblement de réfugiés devant la représentation de l'Union Européenne à Chypre

Le 22 juin 2013, rassemblement de réfugiés devant la représentation de l’Union Européenne à Chypre

Les réfugiés, bien décidés à faire valoir leurs droits et à montrer au gouvernement qu’ils peuvent contribuer au développement de la société chypriote, ont décidé de se mobiliser. Un comité rassemblant les différentes communautés (afghane, congolaise, irakienne, iranienne, palestinienne, syrienne) a été crée au début du mois et des manifestations ont d’ores et déjà été organisées[2]

A l’heure où les célébrations affluent en faveur des réfugiés, leur message au gouvernement se veut clair : il est temps d’agir et d’arrêter les festivités.

 


[1] Le prénom a été modifié.

[2] Le 13 juin dernier,  près de 60 familles réfugiées sont allées protestées successivement devant le Parlement, le Ministère du travail et de la protection sociale, ainsi que devant la représentation de l’Union Européenne à Chypre. Lire le communiqué de presse de KISA relatif à cette journée : https://www.facebook.com/pages/KISA-Action-for-Equality-Support-Anti-racism/435661239792323?fref=ts

Le 22 juin, tandis qu’un événement promouvant la bienveillance du gouvernement chypriote quant à l’inclusion sociale et le respect des droits des réfugiés était organisé à la représentation de l’UE, ces derniers ont profité de la présence du Ministère de l’Intérieur Socrates Hasikos  et du Parlementaire européen Kyriakos Triantaphyllides pour faire part de la réalité de leurs défis quotidiens.