Collecte de cartons dans le centre-ville de la capitale

It starts like an advertisement that would be so easy to believe. Beograd’s new containers are “aesthetic and practical” and “ideal”. Good measurement: 2 meters wide, 2 meters long, placed 2.5 meters underground. The incredible qualities of those new containers were spread by all newspapers of the city. Since 2009, some 6 000 containers has been progressively replacing the old dumpsters. But even a beautiful container has never prevented trash from stinking, and if someone would open the Serbian political bin, he would see a stinky segregation polity against the poors, the retired and the Roma.

Les nouveaux conteneurs de Belgrade

Les nouveaux conteneurs de Belgrade

Ça commence comme une publicité à laquelle il serait si facile de croire. Les nouveaux conteneurs de Belgrade sont « esthétiques et pratiques », « idéaux ». De belles  mensurations : 2 mètres de large, 2 mètres de long, enterrés dans une fosse de 2,5 mètres de profondeur. Un nombre d’avantages incontestables énumérés dans tous les journaux de la ville. Plus compacts, avec une plus grande capacité, ils laissent davantage de place aux piétons et aux voitures ; vidés la nuit, ils n’engendrent pas d’embouteillage, ne laissent pas échapper d’odeurs nauséabondes, et empêchent les ordures de s’éparpiller dans la rue. Depuis 2009, quelques 6 000 nouveaux conteneurs remplacent progressivement les anciennes poubelles, et ce, pour quelques 50 millions de dinars[1] (auxquels s’ajoutent 12 millions de dinars pour adapter les camions)[2]. Bref, il semblerait que la révolution qui élèvera la ville aux standards européens soit en marche pour le plus grand ravissement des riverains.

 

Pourtant, ce n’est pas parce que le conteneur est beau que les ordures qu’ils cachent en sont moins malodorantes. Et lorsque l’on ouvre un peu la poubelle de la politique serbe, apparaît une politique d’exclusion et ceux dont elle essaie de se débarrasser : les Roms et les retraités.

Le nouveau système, avec rotation du bac à ordures.

Le nouveau système, avec rotation du bac à ordures.

En effet, ce que les journaux taisent, ce sont toutes ces personnes (sur)vivant dans la précarité et pour qui les ordures présentent un moyen de gagner un peu d’argent, voire de se nourrir. Ils seraient environ 100 000, principalement des retraités et des Roms, à écumer les anciens conteneurs de Belgrade à la recherche de nourriture, de matériaux de recyclage (cartons, cannettes…), d’habits, ou objets pouvant être réutilisés ou revendus. Et aussi beaux soient-ils, les nouveaux conteneurs sont conçus pour empêcher quiconque d’accéder à leur contenu.

Ainsi la raison de ces nouveaux conteneurs, au-delà de l’amélioration sanitaire affichée de la capitale, est de cacher la misère et la précarité de toute une partie de sa population. Privés de leurs moyens de subsistance, les pauvres, d’une manière générale, en sont réduits à l’exclusion du centre-ville, à la mendicité ou au silence.

Une politique de marginalisation des pauvres.

Cette histoire serait presque anecdotique si elle n’était pas symptomatique d’une politique de ségrégation anti-pauvre plus largement menée par la municipalité de Belgrade.

                Depuis plusieurs années, la gentrification du centre-ville passe par l’exclusion des Roms hors des quartiers touristiques. C’est tout un processus qui, s’il n’a pas été planifié dans ce but, en a néanmoins toutes les apparences. D’abord, il y a les évictions forcées de camps : c’est 47 familles mises à la rue lors de la destruction du Block 67 en Avril 2009[3], 37 familles pour le Block 61 en 2011[4]… Et la liste est longue, 18 évictions[5] ont eu lieu entre 2009 et avril dernier, date de la destruction du camp de Vidikovac[6]. Après la destruction d’un camp, quatre cas de figure sont possibles : (1) rien, les familles sont laissées à côté de leurs baraques détruites, (2) la municipalité propose, pour quelques familles, des logements sociaux qu’elles ne pourront garder bien longtemps du fait de charges bien trop élevées, (3) les habitants peuvent être ramenés dans leur village d’origine, la plupart du temps dans le sud de la Serbie, ou, suivant les cas, rien ou presque ne les attend, (4) la mairie leur propose de vivre à l’extrême périphérie de Belgrade, à six dans des conteneurs (encore d’autres) en métal de 14m² [7]. Loin de tout, parqués dans des boites de sardines, parfois à quelques kilomètres de lignes de bus trop peu desservies, le processus de zombification peut commencer. Dans l’impossibilité de travailler, les Roms de ces nouveaux camps sont placés dans une situation de dépendance aux aides sociales (quand ils réussissent à en bénéficier). La pêche aux matériaux de récupération représentait jusqu’à maintenant, un moyen de ne pas sombrer complètement dans ce cercle vicieux et de survivre tant bien que mal indépendamment de l’Etat. Les nouveaux conteneurs tendent à signifier que cette option, à l’avenir, n’est plus envisageable.

Les Roms de Belgrade ne sont pas les seuls à subir les conséquences de la politique d’assainissement de la ville. Les retraités, endurent aussi la crise économique, les réductions des retraites et l’augmentation du coût de la vie. C’est tôt le matin ou tard le soir qu’on les croise dans les parcs. Ils récoltent les canettes de bières encore fraîches des étudiants. Ceux qui ont vécus d’autres régimes et survécus quelques guerres sont bien silencieux à présent. Le recyclage est un moyen parmi d’autres, comme la vente de basilic à la sauvette, ou de café dans les trains, d’améliorer leurs maigres retraites

Bien sûr, vivre des ordures des autres n’est pas une solution à long terme, et dans un monde un peu plus équilibré, on peut toujours imaginer que chacun pourrait vivre d’un travail décent, et s’émerveiller devant ces nouveaux conteneurs ergonomiques. Cependant, depuis que la juste répartition des richesses et l’accès au travail pour tous ne semblent pas être l’objectif premier des sociétés capitalistes néo-libérales, il peut être intéressant de se demander dans quelles mesures les bonnes intentions affichées peuvent justifier des politiques d’exclusion.

(photos : Domitille B.)

[1] Soit environ 440 000 euros aux taux du 1/07/2013.

[2] Beograd dobija podzemne kontejnere, 13/08/2010, disponible en serbe :  www.rts.rs/page/stories/sr/story/125/Dru%C5%A1tvo/750948/Beograd+dobija+podzemne+kontejnere.html

[3]Serbia: Forced Evictions of Romani community in Beograd:

http://www.hrw.org/news/2009/04/08/serbia-forced-evictions-romani-community-belgrade

[4] Roma families in Belgrade face forced eviction by government agency, Amnesty International [2-11-2012]:

http://www.amnesty.org/en/news/roma-families-belgrade-face-forced-eviction-government-agency-2011-11-02

[5] Roma eviction sullies Belgrade’s image, BalkanInsight [7-05-2012]:  

http://www.balkaninsight.com/en/article/roma-eviction-sullies-belgrade-s-image

[6] Comme des adolescents, ou presque, Vues d’Europe et d’ailleurs [17-06-2013] :

http://emi-cfd.com/echanges-partenariats/?p=2079

[7]According to the Amnesty report “Home is more than a roof over your head”, 2011 ( p.41) : “Resettled families with up to five members were allocated containers measuring a 5.77m by 2.44m (14m2)”.

Disponible en anglais : http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR70/001/2011/en/5e0bb76a-1030-4a5f-ba44-06a5fe216069/eur700012011en.pdf