Vendredi 14 Juin, au siège de la Fédération Nationale de la Presse Italienne à Rome, on a parlé d’immigration, de médias et d’une relation souvent tendue. La table ronde « Immigration, medias, politique. Au-delà de la représentation, le point de vue qui manque »  a été organisée par l’association ARCI et par les représentants de Prendiamo la Parola (Prenons la parole !). Cette dernière est une association qui s’est crée en février 2013 à partir de la volonté d’un groupe d’immigrés et d’italiens d’origine étrangère d’agir pour que leur(s) point(s) de vue soi(en)t reconnu(s). L’utilisation du pluriel s’avère nécessaire : eux, hommes et femmes d’origine étrangère, ne sont pas là pour faire valoir une seule vérité mais pour faire comprendre que une telle vérité n’existe pas et que c’est une pluralité de visions du monde, d’expériences et de vécus que les médias sont appelés à représenter en parlant d’immigration.

Les tables-rondes qui se sont succédées ont réunis, à côté des membres de l’association comme  l’ancienne parlementaire Mercedes Frias, des journalistes et des écrivains comme Karim Metref, Maria De Lourdes Jésus, Paula Baudet Vivanco, Igiaba Scego, Antonio Sofi, des représentants de associations antiracistes comme Filippo Miraglia (ARCI) et Grazia Naletto (Lunaria), des académiques comme Marcello Maneri (Université de Milan-Bicocca) et des représentants de syndicats et associations de journalistes comme Anna Meli (Charte de Rome) et Giovanni Rossi (FNSI).

On a avant tout remarqué que, dans ces dernières années, les politiques migratoires ont été construites principalement sur une exaspération de la compétition entre exclus. Dans la propagande, les derniers arrivés sont présentés comme une menace, à la fois, pour la sécurité, pour la stabilité ou pour la richesse du pays. Sur cette base, quelqu’un a construit sa propre fortune politique et beaucoup d’autres ont vu leurs droits violés. Comme ça, le discours raciste a été banalisé au point que la négation de la dignité des êtres humains est devenue normale. Dans ce processus, le rôle des médias est central.

En fait, le discours médiatique informe et crée l’imaginaire collectif. Le sociologue Marcello Maneri rappelle l’importance centrale des représentations. Mais quelles sont les constantes de la représentation des migrants ? On parle et on lit surtout de « problème immigration », d’urgence, d’invasion, de clandestins, de criminalité : le migrant est soit victime passive soit bourreau, sujet d’actions négatives. Dans ce scénario, on arrive presque à justifier l’expression publique de la haine et même un site qui s’appelle « Tutti i crimini degli immigrati » (Tous les crimes des immigrés) et qui s’occupe de lister les crimes qui auraient été commis par des étrangers ne choque plus beaucoup.

La Charte de Rome

Si les opérateurs de l’information ne sont que l’expression des contradictions de la société qu’ils habitent, ils ont néanmoins la responsabilité de présenter les facettes de la réalité le plus fidèlement possible. « Le respect de la vérité dans les faits observés» est le principe fondamental de la Charte de Rome, dont l’importance a été réaffirmée. Ce code de conduite, élaboré par l’Association des Journalistes italiens et la Fédération nationale de la presse italienne, en collaboration avec l’UNHCR, et adopté en 2008, vise à fournir aux journalistes italiens des lignes directrices afin que les informations sur les demandeurs d’asile, les réfugiés, les migrants et les victimes de traite soient exactes et impartiales, aussi à travers une utilisation d’un vocabulaire approprié. La Charte appelle aussi à ce que les questions de la migration et de l’asile soient inclus dans la formation des journalistes. Dans ce domaine, beaucoup de travail reste à faire : la Charte devrait surtout représenter un moyen et pas un but en soi.

Il s’agit, en particulier de briser le cercle vicieux du mécanisme témoin-interprète, largement utilisé par les médias mais aussi par les associations avec les meilleures intentions, qui relègue le migrant à un rôle secondaire. Cette approche – au mieux – paternaliste envers les minorités risque d’alimenter et légitimer le racisme, comme l’a souligné Filippo Miraglia, responsable immigration de l’association ARCI. D’après Prendiamo la parola, pour changer cet imaginaire stéréotypé, il faut que soient les migrants eux-mêmes, et notamment les professionnelles issus de l’immigration, à devenir protagonistes, sujets et non plus objets de l’information.

De la nouveauté en politique

Cécile Kyenge et Said Chaibi - Giavera del Montello

Cécile Kyenge et Said Chaibi – Giavera del Montello

La nomination de Cécile Kyenge au Ministère de l’Intégration le 27 Avril dernier a certainement représenté un changement important. Toutefois Mme Kyenge, qui milite en faveur de l’octroi de la nationalité italienne aux enfants nés en Italie de parents étrangers et de l’abrogation du délit d’immigration clandestine (entré en vigueur en 2009, sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur de l’époque, Roberto Maroni de la Ligue du nord), première femme noire de l’historie à accéder au gouvernement italien, est la cible d’attaques racistes et sexistes dès sa nomination. Sa réponse aux insultes ? « Je ne suis pas une personne de couleur, moi je suis noire. Et je le dis avec fierté».

Si d’un côté cette nomination a permis de mettre en évidence la force et le protagonisme des migrants en Italie, de l’autre, a révélé tous les contradictions et le langage raciste d’une société qui a du mal à se reconnaître comme métisse et plurielle.

Ce forum a représenté l’occasion, pour la ministre, de confirmer son engagement dans la lutte contre toute forme de discrimination et, pour les représentants de la société civile, d’exprimer leur solidarité et leur soutien à la Ministre, après l’énième attaque du jour avant. Dans le cas spécifique, une militante de la Ligue du Nord à niveau local est allée beaucoup trop loin : sur le réseau social Facebook, elle a appelé au viol de la Ministre en réagissant à un article apparu sur le site « Tous les crimes des immigrés » à propos du tentative de viol présumée d’un Africain. Les réactions d’ailleurs ne se sont pas faites attendre : les mobilisations sur les réseaux sociaux ont été immédiates et massives et le geste a été dénoncé par la majorité des forces politiques (la Ligue du Nord elle-même s’est désolidarisée de son élue, qui a été immédiatement expulsée du parti).

Suite à la nomination de Cécile Kyenge, toutes les perversions racistes et sexistes de la société italienne sont devenues manifestes : elle a rendu visible les limites d’une culture patriarcale encore présente qui n’est pas capable de reconnaitre l’autorité féminine, comme l’a mis en évidence Francesca Koch, présidente de l’association La Casa Internazionale delle Donne.

La conférence se conclut néanmoins sur une note positive : l’un des membres fondateur de l’association Prendiamo la parola vient d’être élu au sein du conseil municipal de la ville de Trévise, dans le nord-est de l’Italie. Il s’agit de Saïd Chaibi, jeune italien fils de migrants marocains, déjà militant au sein d’une association qui luttait pour les droits des « deuxièmes générations ».

Sur sa page Facebook, on lit « Abbiamo s-legato la città » : littéralement « Nous avons délié la ville », il s’agit d’un jeu de mots dont l’idée est celle d’une « libération » de  la ville après 20 ans, ou presque, de pouvoir sans partage du parti de la Ligue du Nord. En fait, les résultats de ces dernières élections administratives ont été révolutionnaires sous beaucoup d’aspects. Non seulement le centre gauche a gagné un peu partout, mais dans le cas de la ville de Trévise, bastion historique de la Ligue du Nord, la coalition de centre-gauche a défait Giancarlo Gentilini, ancien « maire-shérif » de la ville, dont la condamnation du 2009 pour provocation à la haine raciale vient d’être confirmée en appel. L’élection de Saïd, malgré les tentatives de le discréditer, est le signe d’une volonté de changement : elle démontre que le discours simpliste et raciste de certains partis ne fonctionne plus comme avant.

« L’Italie a déjà changé », a déclaré la ministre le 23 Juin à l’occasion du Festival «Rythmes et danses du monde », cette année à sa dix-huitième édition, à Giavera del Montello, ville de la province de Trévise. Beaucoup de gens l’ont compris. Et les autres ?

Présenté le 29 juin au Festival du Cinéma de la Méditerranée à Rome, Sta per piovere, dernier film du réalisateur italo-iraquien Haider Rashid, raconte le drame de Saïd né de parents algériens à Florence et pourtant tout à coup obligé par la loi à laisser l’Italie, le seul pays qu’il connaît, pour faire « retour » en Algérie. On y retrouve tous les éléments du débat actuel, y compris la description d’une société qui a évolué plus vite que ses institutions : à voir.