Mettre en route la musique pour lire: passage obligé pour l’ambiance…

الزيتون – littéralement « l’oliveraie » – est une petite partie du quartier chrétien d’Achrafieh situé dans l’est de Beyrouth[1]. Partie la plus populaire des environs, on est à des lieux de l’ambiance surfaite, bourgeoise et consumériste de luxe de bien des endroits du quartier chrétien. Investi au départ par des Arméniens fuyant le génocide en Turquie dans les années 20, le lieu s’est peu à peu rempli de chrétiens libanais, de musulmans sunnites et bien plus tard de travailleurs et travailleuses migrant-e-s du Sri Lanka, d’Éthiopie, des Philippines, d’Inde, d’Égypte attirés par des loyers abordables. Tout ce petit monde, ça donne du mélange, des couleurs et des dimanches uniques.

Ce sont les chants de l’église arménienne au coin de la rue qui me réveillent suivis des cloches d’un autre lieu de culte du quartier. Je prends un café en allumant les ventilos – il fait déjà chaud – et je quitte la maison sous les yeux de Jésus et de la Vierge Marie, ainsi que des saintes et saints qui ornent les escaliers de mon bâtiment.

Un plan parfait et pourtant des maisons qui poussent dans tous les sens

Un plan parfait et pourtant des maisons qui poussent dans tous les sens

Chaque jour, je peux quitter le quartier en empruntant un escalier différent. Situé en pente à l’extrémité de la colline, on trouve à Karm-El-Zeytoun toute la diversité possible d’escaliers[2]. Ils s’invitent entre les maisons, ils partent tout droit ou alors sont complètement sinueux, ils s’accompagnent parfois d’écoulements d’eau en leur milieu ou se composent simplement de quelques marches en béton. Après plusieurs semaines dans le quartier, je continue à en découvrir des nouveaux régulièrement avec ravissement. Ce dimanche, celui que je choisis baigne dans les échos de la voix de Fairouz, la grande chanteuse libanaise. Tous les postes de radio du Liban diffusent leur star nationale entre 6h et 9h du matin, un peu comme si c’était une règle sociétale.

Dans la rue sur laquelle débouchent les marches, un attroupement de gens en costume attend patiemment quelque chose tandis que flottent aux volets des maisons de grands rubans blancs, symboles du deuil. Un homme est mort et les voisins sont venus dire leurs condoléances. Au même endroit, la semaine dernière, on était tous sortis en entendant des coups de feu : un mariage battait son plein et les darbuka faisaient déjà tourner les danseurs en costume. Changement d’ambiance.

Sur les bords de la colline, les maisons de toutes les couleurs..

Sur les bords de la colline, les maisons de toutes les couleurs..

Je passe acheter des fruits et du haloum (fromage local) en étalant fièrement mes rudiments d’arabe. La journée file mais le temps est comme suspendu. Les odeurs de mechoui et de taouk grillé s’élèvent de toutes les cours et terrasses. L’électricité s’arrête brusquement en milieu d’après-midi tandis que des combats font rage dans le sud du pays à Saïda entre l’armée et des groupes armés. Sans lumière, sans ventilateur et sans nouvelles de l’extérieur, on dirait que Karm El-Zeytoun est coupée du monde et que le temps s’est arrêté pour de bon. Tant mieux, ce n’est pas de refus. Les grand-pères sortent chaises et fauteuils dans les rues et les familles se retrouvent à l’air libre pour allumer une shisha. Les travailleurs migrants sont en congés le dimanche et de partout, on entend l’arabe mélangé à l’amharique, au bengali et à l’indien. Quant à moi, je rejoins le toit de la maison duquel on voit à la fois la mer et la montagne afin d’y boire un maté avec les amis syriens et de profiter de la fraîcheur qui s’invite[3]. La lune se lève sur Beyrouth et il me semble qu’elle n’a jamais été si grosse et lumineuse.

Vivement dimanche prochain.

 


[1] Certains quartiers de la capitale ont des noms qui font sourire tels que Sin El Fil (la dent de l’éléphant) ou encore Furn El Schebak (la fenêtre de la boulangerie) mais concernant Karm El Zeytoun, ça fait franchement rire : aujourd’hui, de l’oliveraie qu’il y avait il a un siècle, ne restent que deux malheureux oliviers qui tiennent la place, tant bien que mal.

[2] Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur l’architecture du quartier et le rapport à l’espace, l’article à lire ici, est très instructif.

[3] Le maté est une boisson aux herbes originaire d’Argentine qu’on boit avec une petite paille en métal. Les syriens, dont certains l’ont ramené d’Amérique du Sud, en sont fous.