(photo: Domitille B.)

Ce sont quatre jeunes filles d’entre 13 et 16 ans qui pouffent et se taquinent les unes les autres. Comme des adolescentes, elles ont besoin d’être vues mais pas envie d’être regardées. Elles sont curieuses de ce groupe d’étrangers qui débarquent ici, mais elles ne sont néanmoins pas prêtes à offrir, comme les enfants, leurs images aux objectifs, ni à raconter, comme les adultes, leurs histoires aux nouveaux venus. Lorsqu’elles me demandent de les prendre en photo, toutes les quatre et qu’elles attendent le visage caché le bruit du déclencheur, je souris. Des adolescentes !

Nous sommes à Vidikovac, dans la banlieue de Belgrade. Sur le terrain-vague derrière la station-service se trouvaient, il n’y a pas si longtemps, entre 30 et 40 baraques[1] habitées par des familles Roms. Le 22 et 23 Avril dernier, les bulldozers de la municipalité ont tout rasé et les autorités ont suggéré aux habitants de reconstruire quelques mètres en contrebas dans un petit bosquet, un peu plus à l’abri des regards des passants.

Dans un serbe approximatif, on parle des choses de la vie, de l’école, de mariage, de teinture pour les cheveux, du quotidien… L’une d’elle, E. m’explique qu’elle est allée environ deux ans à l’école. Son sourire se ternit un peu lorsqu’elle ajoute qu’elle n’a rien appris, qu’elle ne sait rien. Mais le ton résolu, elle poursuit: « Mais chez nous les Roms, on se marie jeune et quand on est marié, on arrête l’école. C’est comme ça». Elles, ne sont pas encore mariées. Elles me glissent en riant « mais on est encore jeune » ! Un jeune homme arrive. « Lui, tu vois, il a 17 ans et il est marié ! » D’ailleurs, il a un fils de trois mois.

« Avant on habitait là, me lance-t-il, en me montrant une étendue de terre et de détritus. Ils ont tout détruit et pendant plusieurs nuits, on a dormi à même le sol. Il pleuvait et les enfants pleuraient beaucoup. » Je n’ai pas osé lui demander si ça avait été son cas à lui aussi et à son nourrisson.

E. m’interpelle. « Regarde là-bas, cette femme qui porte deux bidons d’eau, elle est allée les acheter au supermarché. Comme on n’a pas l’eau ici, il faut aller l’acheter. Ce n’est pas normal. Et puis, au magasin, parfois, ils nous insultent parce qu’on est Rom.»

Ce sont quatre adolescentes qui tirent sur leurs manches pour se cacher les mains. Certaines ont des piercings, d’autres les cheveux colorés, éventuellement des téléphones portables et des comptes F­­­***b­­***. Elles pouffent entre deux phrases sur une réalité difficile, la cigarette au bout des doigts. Ces quatre jeunes filles, quand on leur demande ce qu’elles pensent de l’avenir, répondent qu’il n’y en a pas, ou alors pas pour elles, mais que, si tous les espoirs étaient permis, elles aimeraient une maison, avec des murs et un toit qui ne fuit pas, l’électricité et même l’eau courante… comme des adolescentes, ou presque.


[1] Article sur l’éviction du camp de Vidikovac : http://www.praxis.org.rs/index.php/en/praxis-in-action/social-economic-rights/housing/item/555-announcement-about-today%E2%80%99s-demolition-of-a-part-of-informal-roma-settlement-in-vidikovac