Nous étions ce samedi 20 octobre environ 200 000 manifestants (150 000 selon la police) à marcher dans les rues de Londres contre l’austérité. Si les perspectives de lutte sont moins ouvertes qu’en Espagne, au Portugal et bien sûr en Grèce, pays qui connaîtront une nouvelle grève générale le 14 novembre, et où les manifestations sont quasi quotidiennes, nous pouvons dire au regard de l’Histoire de la Grande-Bretagne que les mouvements de lutte reviennent de loin.
  
En effet, à la suite des mesures antisyndicales imposées par Margaret Thatcher et de la défaite du mouvement ouvrier dans les années 80, les luttes ont reculé sur les lieux de travail. Les mouvements de quartier sont les principaux à avoir perduré, que ce soit dans les luttes contre les expulsions, contre le racisme, ou lors d’émeutes aussi impressionnantes qu’éphémères. Pour beaucoup, l’engouement semble être revenu via les manifestations contre la guerre en Irak, rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes en 2003. Quant à eux, les étudiants sont passés par l’occupation des universités pour appeler au boycott d’Israël lors du massacre commis à Gaza à l’hiver 2008-2009, avant de les occuper de nouveau et d’être 50 000 à défiler en novembre 2011 contre l’augmentation des frais d’inscription.
  
  

  
En Angleterre, le montant des frais d’inscription est passé d’environ 3 000£ à 9 000£ pour une année en licence, entraînant une baisse de 14% du nombre d’inscrits dans les universités. En 2011-2012, l’endettement moyen d’un étudiant à la fin de son cursus est de 33 000€. Un certain nombre des étudiants débiteurs sont conscients de leur future impossibilité à rembourser, et tant pis pour les banquiers. A l’inverse des manifestations étudiantes en France, beaucoup des slogans entendus à l’intérieur du « cortège éducation » visaient directement le capitalisme, l’Etat et la police, et il n’y avait qu’une étudiante du parti travailliste pour brandir sans ironie un panneau avec inscrit « I love responsible capitalism » (« J’aime le capitalisme responsable ») …
  
Plus globalement, la politique d’austérité a débuté en 2010 par une hausse de la TVA de 17,5 à 20%, et un recul de l’âge légal de départ à la retraite à 66 ans (auparavant 65 pour les hommes et 60 ans pour les femmes). Ce mois-ci, Georges Osborne, chancelier de l’Echiquier (ministre « responsable des finances et du trésor ») annonçait 12,5 milliards d’euros de coupes dans les aides sociales, à ajouter au 18 milliards de livres étalées de 2010 à 2018. Demandant « Comment l’on peut justifier des aides au logement pour des gens qui n’ont jamais travaillé», Osborne a annoncé la suppression des aides au logement pour les moins de 25 ans, et demandé aux parents de réfléchir au nombre d’enfants qu’ils prévoyaient de faire, prévoyant une réduction des allocations familiales …
  
  

  
Parallèlement, au nom de la bien connue « lutte pour la compétitivité », le taux d’imposition sur les entreprises est passé de 50% à 45%, et l’impôt sur les sociétés de 26% à 22%. Sur le chemin de la manifestation, les locaux de Starbucks, entreprise connue pour les conditions de travail désastreuses et son refus de payer ses impôts, étaient particulièrement protégés par les cordons policiers. Un peu avant, des dizaines de jeunes cachant leur visage avec un foulard ou un masque de la mouvance Anonymous (repris du film V pour Vendetta) avaient déjà dévié du cortège, pour aller titiller les flics et les bourgeois en bloquant l’entrée des magasins de la très chic Oxford Street.
  
Si beaucoup de manifestants défilaient en scandant « Hey ! Ho ! David Cameron’s got to go » (« Hey ! Ho ! David Cameron doit dégager ! »), beaucoup ne semblaient pas résignés à remplacer l’austérité de droite par une austérité de gauche. Lors d’une allocution prononcée à la fin de la manifestation, Ed Miliband, leader du parti travailliste a été copieusement hué lorsqu’il a commencé une phrase par « Je ne promets pas des jours heureux, il y aura des choix difficiles … ». Les allocutions les plus acclamées furent celles des leaders des syndicats du service public et des cheminots, réclamant la préparation par le TUC (Trade Union Congress, la confédération syndicale), d’une grève de vingt-quatre heures.
  
  

  
Une partie de l’extrême-gauche semble être dans la même logique. Tout au long du cortège, le Socialist Party faisait signer une pétition appelant à l’organisation d’une grève générale de 24 heures « pour montrer qui fait tourner l’économie ». De son côté, le Socialist Workers Party, principale organisation de la gauche radicale, s’est prononcé en faveur de cette éventualité, tout en appuyant sur le fait que ce n’était « pas suffisant ». Par ailleurs, pour le SWP, il n’y a pas non plus à attendre l’organisation d’une telle journée pour agir, de nombreux conflits en cours dans les entreprises ou les quartiers pouvant pousser des milliers de personnes à la révolte.
  
Officiellement, les directions syndicales « se penchent sur la possibilité d’une grève générale », bien que les lois antisyndicales imposent de déclarer toute grève deux mois à l’avance, les seules actions spontanées restant la grève étudiante, l’émeute ou le blocage. Si l’on ne semble pas pour l’instant près du blocage généralisé qui pourrait faire sauter le gouvernement, le fait que cette discussion soit à l’ordre du jour symbolise un niveau de conflictualité politique augmentant, la dernière grève générale au Royaume-Uni remontant à 1926 …
  
Par ailleurs, bien que nous ayons insisté sur les lois antisyndicales rendant difficile le blocage de la production (et la lutte en général), il est évident que si le niveau de conflictualité venait à augmenter, beaucoup de personnes seraient prêtes à s’émanciper de toute référence à un cadre légal.
  
  
Illustrations : Outerfield Photography