Vendredi 28 avril 2017, le Conseil national de sécurité et de défense (NSDC) de l’Ukraine a adopté une « décision collective » afin d’élargir les sanctions contre un certain nombre de compagnies russes « accusées de soutenir l’annexion de la Crimée et le séparatisme à l’est de l’Ukraine ». Lundi 15 mai, le président ukrainien Petro Porochenko a signé ce décret introduisant ces nouvelles sanctions et faisant ainsi entrer l’Ukraine dans le « club restreint des 30 seuls États au monde qui interdisent des réseaux sociaux »[1].

Depuis l’annexion de la Crimée par Moscou en mars 2014, la liste des sanctions de l’Ukraine et des pays occidentaux à l’égard de la Russie et réciproquement ne cesse de s’allonger. Sans surprise, le Kremlin a rapidement fait part de sa déception quant à cette mesure qu’il juge « inamicale » et évoque déjà des possibles mesures de rétorsion.

Selon un communiqué cité par l’agence de presse Reuters, sont visées les entreprises « dont les activités menacent l’espace informationnel et la cybersécurité de l’Ukraine ». Au total, «1228 individus et 468 organisations et entreprises russes opérant en Ukraine » [banques, médias, chaînes de télévision russes entreprises travaillant dans le domaine militaire…] sont directement touchés par cette mesure. Parmi eux, les réseaux sociaux russes « VKontakte » (VK) et « Odnoklassniki » (OK.ru), l’ensemble des services de la plateforme média « Yandex » de même que le logiciel de gestion d’entreprise « 1C » leader sur le marché ukrainien et plusieurs chaines privées de télévision russes sont concernés.

 

De nombreux responsables ukrainiens soutiennent l’interdiction du site VKontakte qu’ils conçoivent comme un outil de propagande de la Russie dans sa guerre informationnelle avec l’Ukraine depuis le début du conflit à l’est du pays. Le blocage de ces sites serait « la plus grande contribution jamais faite à la souveraineté informationnelle de l’Ukraine » selon Yevhen Fedchenko, fondateur du site StopFake.

Pour Vitalii Moroz, «ces sites russes sont contrôlés par le FSB, [et] par conséquent ils constituent une menace pour la sécurité ukrainienne [d’autre part,] «beaucoup de soldats utilisent VK sur le front sans savoir que cela les met en danger de mort». En effet, ce site qui est utilisé par les militaires des deux camps pourrait constituer un cheval de Troie pour des groupes de hackers comme «Fancy Bear» (considéré comme relevant du renseignement militaire russe, NDR), « indiquant aux forces prorusses à la fois les mouvements de troupes et les positions de l’armée ukrainienne lors des combats »[2].

Dans un communiqué publié en ligne, un des représentants de Ukrtelekom, premier fournisseur d’accès à internet du pays, aurait déclaré qu’il suivrait avec intérêt les recommandations du gouvernement pour bloquer ces sites dans les semaines à venir. Pourtant, il est difficile de savoir si le gouvernement ukrainien a les moyens juridiques et techniques de mettre en place cette mesure, et surtout, dans combien de temps celle-ci pourrait devenir totalement effective.

 

Cependant, la signature de ce décret a provoqué la colère de nombreux organismes et personnalités en Ukraine, et a suscité l’étonnement de la communauté internationale qui suit avec attention la situation dans le pays.

Selon la représentante de Reporters sans frontières en Ukraine, Oksana Romaniouk, cette interdiction « étrange et inattendue » met en place des sanctions qui vont à l’encontre des « citoyens eux-mêmes ». En effet, selon une étude de l’agence Kantar TNS, 78% des Ukrainiens utilisent VKontakte soit plus de 20 millions d’individus plaçant le réseau social à la troisième place des sites les plus visités dans le pays, après Google et YouTube. Le service de messagerie Mail.ru ainsi que le moteur de recherche Yandex suivraient de près dans la liste des sites les plus populaires d’Ukraine.

D’autre part, les réseaux sociaux Vkontakte et Odnoklassniki constituent aujourd’hui un moyen essentiel de communication pour les personnes qui vivent dans les régions en guerre à l’est du pays, où quatre civils ont été tués samedi dernier encore, dans un bombardement prorusse à Avdiivska : il sont des sources d’information sur ce qu’il se passe dans ces territoires.

Cette mesure serait-elle un signe de raidissement du pouvoir ?

Pour Svitlana Matviyenko « les réseaux sociaux sont pour les gouvernements d’excellents moyens de contrôle et de manipulation sur la population », en particulier aujourd’hui, maintenant que les gouvernements se sont rendu compte du pouvoir de ces réseaux. Selon elle, « se livrer un à tel acte de censure est très grave, antidémocratique et reflète une certaine incapacité du gouvernement d’agir autrement ». Beaucoup s’interrogent sur la nature de cette mesure qui semble satisfaire la frange la plus radicale et la plus nationaliste de l’électorat ukrainien. Nombreux son ceux qui craignent qu’elle n’ouvre la porte à d’autres mesures restrictives de même type, risquant de pousser le pays vers les tendances autoritaires de ses voisins russe et turc.

«Voilà les leçons que le gouvernement tire des printemps arabes et de la révolution de Maïdan, interdire le réseau social, où il y a le plus d’Ukrainiens. […] Nous ressemblons de plus en plus à la Russie… sans pétrole » déplore le politologue Mikhaïl Minakov.

Sur plus de 11000 personnes ont répondu au en ligne sur le site UNIAN mit en ligne mardi 16 mai, 66% ont déclaré qu’ils étaient « catégoriquement contre » l’interdiction de VK, Yandex et d’autres sites russes. Tandis que 11% ont déclaré avec ironie qu’il serait plus facile de «interdire l’Internet complètement, comme en Corée du Nord».

Enfin, le député Evgueni Revenko, a estimé qu’introduire des blocages sur internet « était stupide et irrationnel, dans la mesure où les gens trouvent toujours des moyens de contourner les interdits ». Le service de messagerie en ligne, Mail.ru aurait ainsi déjà posté un tutoriel disponible en ligne pour apprendre aux internautes à utiliser « Virtual Private Networks » offrant un moyen de contourner la décision du gouvernement ukrainien et d’accéder aux sites officiellement bloqués depuis la signature du décret.

 

Mais cette mesure, largement controversée, coûteuse et difficile à mettre en place, devrait surtout amener les Ukrainiens et le reste de la communauté internationale à s’interroger sur les questions de cyber sécurité, de contrôle gouvernemental sur la liberté d’information et de communication, qui elle est indispensable pour l’évolution de nos sociétés démocratiques.

 

 

 

Roth Andrew, « In new sanctions list, Ukraine targets Russian social-media sites », The Washington Post, publié le 16 mai 2017. https://www.washingtonpost.com/world/in-new-sanctions-list-ukraine-blocks-russian-social-media-sites/2017/05/16/a982ab4e-3a16-11e7-9e48-c4f199710b69_story.html?utm_term=.8a6c4822ee18

Hromadske international, « The Russian Social Media Ban in Ukraine, Explained », publié le 16 mai 2017. https://en.hromadske.ua/posts/the-russian-social-media-ban-in-ukraine-explained

Vitkine Benoit, « L’Ukraine bloque l’accès à des sites et à des réseaux sociaux russes », Le Monde, publié le 17 mai 2017. http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/05/16/des-sites-internet-russes-bloques-en-ukraine_5128293_3214.html

Siohan Stéphane, « La guerre d’Internet fait rage en Ukraine », Le Temps, publié le 16 mai 2017. https://www.letemps.ch/monde/2017/05/16/guerre-dinternet-rage-ukraine

Ukraine bans most popular social networks because they are Russian-owned », 16 mai 2017. https://www.rt.com/business/388502-ukraine-bans-vk-yandex/

Luhn Alec, « Ukraine blocks popular social networks as part of sanctions on Russia », the Guardian, 16 mai 2017. https://www.theguardian.com/world/2017/may/16/ukraine-blocks-popular-russian-websites-kremlin-role-war

 

 

[1] Siohan Stéphane, « La guerre d’Internet fait rage en Ukraine », Le Temps, publié le 16 mai 2017.

ukraine »>https://www.letemps.ch/monde/2017/05/16/guerre-dinternet-rage-ukraine

[2] ibid.