Bon voila en gros 2 mois et quelques semaines que je suis arrivée à Laylac dans le camp de Dehisheh près de Betlehem, en Palestine (je situe au cas où ). Tous les jours j’apprends des choses, tous les jours je rencontre des nouvelles personnes, et, tous les jours je cherche à comprendre un peu plus ce qui se passe ici. Aujourd’hui j’ai décidé de t’en parler.

Lorsque tu es en Palestine et que tu es étrangère, où que tu ailles les gens ont tous une histoire à te raconter en lien avec l’occupation. Des histoires qu’ils veulent partager avec toi, parce qu’ils comptent sur toi pour rendre leurs paroles à l’extérieur, auprès de ta famille, tes ami-es, ton entourage. De fait, tu te retrouves dans une situation où tu as une responsabilité. Une responsabilité qui peut être très bien vécue par certain-nes, mais qui pour moi qui suis une freak de l’exigence (bah oui sinon la vie serrait moins drôle) pose un certain nombre de questions sur ma légitimité et ma capacité à porter un discours pour lequel je ne suis pas légitime.

Mais bon au bout d’un moment je me dis que quand même, il faudrait un peu, que je m’y mette. Parce que, même si c’est compliqué pour moi je peux quand même te parler de mon ressenti, en étant consciente et en assumant que ce que je te livre n’engage que moi. Donc voila, clope au beck (une pensée pour Sylvain) je me lance.

 

J’ai décidé de te parler d’une personne qui compte beaucoup pour moi ici ; S. est une femme qui vient tous les matins à Laylac pour y faire le ménage. S à été ma première rencontre en dehors de l’équipe officielle de Laylac. Très vite elle m’a invité à venir chez elle pour un thé, une chicha, un repas, une nuit. Palestinienne de Jordanie elle a laissé toute sa famille et sa vie à Amman pour épouser, S, son mari originaire de Dehisheh. Derrière son rire et son affection se cache une profonde solitude qu’elle m’a confié un après-midi autour d’une cigarette. S n’a pas pu assister aux funérailles de ses parents parce qu’en épousant son mari, elle s’est enfermée dans une prison à ciel ouvert, la Palestine. S n’a pas vu sa famille depuis des années. S n’a que son mari et ses enfants. L’isolement de S. est probablement celle de tout un peuple.

Je me demande ce que doit être sa vie ici, j’aime passer du temps avec elle. Ces derniers temps elle est très inquiète pour ses deux fils aînés E 17 ans et A 15 ans. Lors de la dernière incursion de l’armée israélienne les amis de A étaient dans les rues du camp à jeter des pierres aux soldats, comme beaucoup d’autres jeunes de Dehisheh. Cette fois S a réussi à maintenir A à la maison, mais, A grandit et, avec lui, grandit le risque d’être envoyé en détention administrative

Comme tout les hommes du camp entre 15 et 45 ans, A est désormais une cible lors des incursions hebdomadaires. Dans la majeure partie des cas les arrestations conduisent à de la détention administrative. Cette disposition permet à l’armée israélienne d’arrêter n’importe quel citoyen palestinien au motif qu’il représente un « danger pour l’état d’Israël », de l’emprisonner sans aucune forme de jugement, et de le maintenir en prison pour des durées renouvelables à l’infini. La détention administrative est utilisée de manière systématique par Israël, elle est une arme de dissuasion. La plupart des personnes que j’ai rencontré jusqu’ici ont tous au moins un membre de la famille prisonnier politique. Comment tu vis avec ton frère, ton mari, ton cousin, ton père en prison, ou même avec la forte probabilité qu’ils puissent être emprisonnés sans raison valable à n’importe quel moment ?

En plus de faire face aux incursions israéliennes le camp fait aussi face à la violence de l’autorité palestinienne. Une autorité qu’une partie du camp ne reconnaît pas et dont elle dénonce la corruption et les alliances avec l’armée israélienne. Les représailles de la PA ( palestinian authority) contre les activistes politiques de Dehisheh ne se sont pas fait attendre longtemps, dernièrement les attaques de l’autorité palestinienne sur le camp se sont intensifiées. La dernière incursion dont j’ai été témoin, n’avait rien de diffèrent de celle menée par l’armée israélienne , à une chose près, elle était menée par la PA. Même gaz lacrymo, même bombe assourdissante, même technique, même boule au ventre pour les copains du camp, sauf que cette fois, face aux palestiniens se trouvaient d’autres palestiniens. Cette dernière attaque était particulièrement violente. Certains camarades palestiniens parlent de la PA comme de la deuxième force d’occupation en Palestine. Une prise de position forte qui n’est pas commune et qui m’a beaucoup questionnée sur la légitimité de la situation en France.

Pour moi aussi le pouvoir en France est confisqué et maintenue au sein d’un cercle restreint et corrompu. Dans quelle mesure je peux dire que les politiques des gouvernements ses 10 dernières années étaient légitimes pour moi ? Si ce n’est dans la forme en quoi la violence extrême dirigée contre les classes populaires en France diffère-t-elle de celle que la PA emploie contre le camp et les réfugiés en général ? Le travail des moukhabalat (services secrets palestiniens) qui ciblent les militants palestiniens, un écho aux techniques de fichage à l’encontre des militants et activistes politiques depuis l’instauration de l’état d’urgence et lors du mouvement contre la loi travail. Des points communs qui ont rendu les habitant de Dehisheh très sensible au dernier évènement en France. Quelques jours après l’agression racial et le viol de Théo par la police français Dehisheh s’est mobilisé autour d’une action de solidarité « justice pour Théo, Palestine ». La solidarité internationale n’existe pas que dans un sens et ça fait du bien !

 

Bien sûr la situation politique en Palestine n’est pas la même du fait de l’occupation israélienne mais si on regarde spécifiquement les rapports de force entre la PA et la population palestinienne, alors nos cas ont plus de similitudes qu’on ne le pense…