Dans mes cercles d’affinité, au moins politique, on a l’habitude de se souhaiter une bonne partie de pêche pour le jour que beaucoup d’autres considèrent comme l’aboutissement de leur vie de citoyen-ne-s. Si j’étais un peu mesquin, j’ajouterais qu’en réalité, c’est plutôt « l’emboutissement » de leur vie de sujet politique. Bref, je profite de la bienheureuse trêve électorale (ça fait du bien, hein!) pour prendre la parole.

Malheureusement, des petits farsceuristes – ceci est un mot-valise, à vous de remettre votre cerveau en marche (!)… je sais, c’est dur après des semaines de matraquage idéologique citoyenniste mais j’ai confiance en vous – des petits fasceuristes, disais-je donc, m’ont volé ce premier moment de détente en « leakant » 15Go de mails persos des sous-fifres du futur plus jeune président de la République Française. Les plus geeks d’entre vous auront donc la chance de découvrir en exclu les intrigues amoureuses de Machine, porte de parole de Monsieur, ou le nom du caniche de Truc en allant décortiquer les dossiers piratés et rendus publics. Personnellement, vous ne m’entendrez pas crier au loup et au complot russe. Oui, c’est clairement grossier, mais pas plus que tous les hoax d’extrême-droite qui fleurissent chaque semaine sur les réseaux sociaux. « Et ça personne n’en parle, hein ma pov’ Michelle ! » Non, pour revenir à un peu de sérieux, je ne vais pleurer parce que les pros de la comm macronienne ne sont pas foutu-e-s de sécuriser un minimum leurs boites mails (pas votre date de naissance, pas le prénom de votre compagnon, pas la marque de croquette de votre chien… rien dans votre mot de passe ne doit avoir à voir avec votre vie, c’est pourtant pas compliqué, on apprend ça en cours de techno au collège !). Et j’attends avec impatience que Mediapart fasse son travail rigoureux d’investigation qu’on rigole un peu des « macronistes d’adhésion » qui flambent sur Twitter en proclamant que ça prouve la propreté de leur leader. Eh les bolosses, vous avez des pouvoirs surnaturels pour déchiffrer 15Go de données informatiques avant de les avoir télécharger?! Si ça prouve une chose pour le moment, c’est que la connerie n’épargne personne, et sûrement pas les cadres dynamiques qui redécouvrent les bienfaits de la marche.

Ceux-là et celles-là iront voter bien sagement. Et comme le dit si justement le beau slogan féministe, « les filles sages vont au paradis… »

Et donc, chez nous, on va à la pêche. Enfin, à la pêche ou pique-niquer ou ce que vous voulez ! Nos vies ne sont pas des longs fleuves tranquilles mais les dimanches de scrutins, les cours d’eau sont désertés et nous, gros-ses malin-e-s, on a toute la place pour faire et mettre ce qu’on veut derrière la métaphore. Je n’en rajoute pas sur ce point, j’espère développer mes arguments en paix dans un autre article quand tous les moralistes « antifascistes du printemps » seront retournés grenouiller autour de leur bénitier républicain.

En attendant, je ne défends pas les vertus de la Nature contre la dépression électorale. Comme disent les zadistes, cette fois :

Et si j’ai bien suivi le non-emballement médiatique autour des 168 blessures (bilan non exhaustif) soignées par les Street Médics [1], la Nature a bien besoin de panser ses plaies pour mieux reprendre racine dès le soir ou le lendemain (coucou c’est re-nous!). Mais de quoi la Nature que nous sommes doit-elle se défendre ?

Des chasseurs ! D’abord, des chasseurs du dimanche, ceux qui entendent bien vous enlever ce cruel (vraiment, vous hésitez encore !?) dilemme dominical entre une partie de jambes de l’air au bord de la Garonne en fleurs et un après-midi à faire la queue à votre ancienne école primaire en regardant d’un œil torve vos ancien-ne-s camarades pour essayer de déterminer d’où sortent ces satanés millions de votes en faveur de la peste brune… Fini, ce bon temps que les marocain-e-s nous envie (je jure) où le choix de ne pas aller voter n’était pas restreint par une tranche horaire de travail incongrue tombée, paf!, en plein sur le nez de ton week-end ma poule !

, et que ça saute ! Et encore, ça, c’était avant… Depuis, il s’est « radicalisé sur Internet », le salaud !

Mais aussi et surtout des chasseurs de vies, les Mangemorts des défilés lepénistes qui jettent à l’eau Brahim Bouaram comme les flics jetaient les Algériens dans la Seine en 1961 ou leurs fils spirituels qui tuent Clément ou Pavlos (Rest In Power) d’un bout à l’autre de l’Europe. [Faute de pouvoir intégrer une vidéo, vous êtes prié-e-s de cliquer sur ce lien pour soigner vos oreilles des chansons de Saez qui tournent en ce moment.] Les mêmes ou leurs cousins en uniforme qui détruisent des vies dans l’indifférence générale, directement comme celle de d’Abdelhak Goradia ou simplement parce qu’ils ne font « que leur métier » et qu’ils ne sont « pas payés à réfléchir »…

Tout à l’heure, je suis sorti de chez moi heureux, pour aller déguster le coucher de soleil sur l’Océan Atlantique. Cliché mais efficace. J’étais avec un ami du quartier, on marchait tranquille, loin de toute prétention intellectuelle ou politique. On a croisé un « fou du quartier » comme on en croise tous les jours ici. Il voulait une clope ou un joint, a demandé si j’étais russe et on a ri en lui répondant que oui. Quand on s’est posés face à l’horizon, Ayoub* m’a raconté son histoire. « Le gars qu’on vient de croiser, j’étais à l’école avec lui. Ouais, il a l’air 10 ans plus vieux mais c’est parce qu’il a vrillé. Avant, il était comme nous. On l’appelait l’abeille parce qu’il bougeait tout le temps d’un endroit à un autre. Il est parti en Europe quand on était ados, pour travailler, envoyer un peu d’argent à ses parents ici… C’était un gars bien, pas du deal, les trucs comme ça. Il avait des vrais métiers, dans les restos, les hôtels, tout ça. Et il envoyait toujours un peu d’argent à la famille. Quand ses parents sont morts, ses frères ne lui ont rien dit, ils ont vendu la maison et ils ont disparu avec l’argent. Lui, quand il est rentré et il a rien trouvé, il a vrillé. Il est resté comme ça ici depuis. Heureusement, ici, nous tous les jeunes, les gens de ma génération, on le connaît donc on le dépanne un peu, on lui file des sous, un peu de clopes, un peu de shit… » Quand on repasse devant lui alors que le ciel est toujours rose, mon cerveau a pris 10 ans. On discute un peu avec lui. En fait, il a été expulsé si je l’écoute bien. Et c’est ça aussi qui l’a fait vriller, ajoute Ayoub. Bienvenue de l’autre côté de la Méditerranée, de l’autre côté des CRAs et des frontières, de l’autre côté des pudiques « éloignements » et autres OQTF du Ministère de l’Intérieur… De l’autre côté des idées du FN déjà mises en application par les gouvernements de droite et socialistes.

Alors oui, chacun son loisir le dimanche, « en mai, fais ce qu’il plaît », tout ça tout ça… mais surtout s’il-te-plaît, comme le dit si bien un camarade brésilien (citation adaptée, j’espère qu’il ne m’en voudra pas) « quelque soit ton choix, n’oublies pas que notre terrain de lutte ne peut pas se restreindre aux urnes. Le lundi 08 mai, nous serons confronté.e.s à des luttes profondes encore indéfinies. Avec celles-ci, nous serons forcément obligé.e.s de nous structurer davantage et de construire encore plus durablement nos moyens de résistance et d’organisation face à ce futur qui, pour le moment, nous semble assez sombre. Et là, cher.e.s camarades, nous ne pouvons pas nous donner le luxe de nous culpabiliser mutuellement par nos choix de la veille. N’oubliez surtout pas que les ressentiments nés dans des situations pareilles ont la peau dure et donnent des fruits certes pourris mais durables. »

Allez, un petit conseil botanique pour terminer : quand les fruits sont pourris, abattez l’arbre ! A bientôt dans la rue !

 

Ps. Et #JusticePourCurtis

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[1] Je suis toujours fasciné par cette indignation généralisée de la gauche procédurière bien-pensante contre les potentielles blessures de gens surarmés et qui ont des armures longuement étudiées pour résister à tout, alors qu’une fois sur deux, c’est une amie/un frère/un fils/une sœur/un père/une grand-mère qui rentre de manif blessée, intoxiqué, mutilé, traumatisée après des heures anonymes et culpabilisantes aux urgences pour les plus chanceu-x-ses, en GAV pour les autres… on n’a pas tou-te-s la « chance » de manifester avec son petit cortège de molosses de sécurité privée. « On nous attaque, on se défend… Désolé si c’est toi qui prend! »