Il y a des journées un peu étrange, au cours desquelles les évènements s’enchaînent, vous échappent, vous rattrapent et vous vous retrouvez dans cette situation étrange de spectateur et acteur en même temps, sans trop comprendre pourquoi ni comment.

Cela fait désormais plusieurs semaines qu’un début d’article sur la situation politique en Macédoine traîne dans mes dossiers. Mais il restait en suspens. Puis, hier, je me suis mise à le reprendre. Mon idée était alors de faire un parallèle entre la situation politique actuelle en Macédoine et la manière dont, dans ce contexte, je vivais les élections présidentielles françaises.

Cet article n’était pas fini hier soir, hasard ? En attendant, la soirée d’hier lui a donné une nouvelle allure, me faisant aussi prendre conscience qu’il avait traîné depuis trop longtemps et qu’il était plus que temps de le reprendre et le publier, même si le point final est encore,  il me semble, lointain.

 

D’une situation politique dans l’impasse depuis plusieurs mois (voire années)… 

Avant de revenir plus en détails sur les évènements de la soirée d’hier soir, il est important de repréciser le contexte politique actuel de la Macédoine.

En effet, depuis plusieurs mois, la situation politique du pays est bien incertaine, voire dans l’impasse. Mais pour comprendre cette situation, il est nécessaire de remonter un peu plus loin.

Depuis plus de 10 ans désormais, le pays est gouverné par le parti nationaliste VMRO-DPMNE, avec pour Président de la République Gjorge Ivanov et, pour chef du gouvernement, Nikola Gruevski. Seul suffit un détour dans le centre de la ville de Skopje pour prendre l’ampleur de la politique nationaliste menée par le gouvernement depuis son arrivée au pouvoir. Réécriture de l’histoire autour des indénombrables statues du projet Skopje 2014, drapeaux macédoniens aux quatre coins de la ville, etc1. Pourtant, l’histoire de ce petit pays qu’est la Macédoine est fait de diversité, de mixité, d’échanges de cultures. Aujourd’hui encore, cette diversité culturelle dans le pays est présente et lui donne aussi son charme et son caractère. Mais comme bien souvent, selon l’instrumentalisation qui en est faite, cette diversité peut faire « bon ménage » comme pas…

En 2015, la révélation d’écoutes téléphoniques de plus de 20 000 personnes issues des milieux politiques, intellectuels et journalistiques, provoque un choc dans la population et un mouvement de manifestations se met en place. Or, il ne faudra que peu de temps pour que les pays étrangers tels que les USA, la Russie et aussi l’UE se saisissent de ce mouvement de manifestations et tentent d’y avoir leur mot à dire. Cela aboutira aux accord de Przino en juillet 2015, mettant en place un gouvernement provisoire en attente de nouvelles élections législatives. Ces dernières se dérouleront en décembre dernier. Or, bien que le parti nationaliste au pouvoir obtient une courte majorité, cela ne lui permet pas d’avoir la majorité absolue nécessaire pour former un gouvernement. Depuis ces élections, le pays demeure donc sans gouvernement.

Le 1er mars dernier, nouveau rebondissement. Alors que le chef de l’opposition sociale-démocrate, Zoran Zaev, a réussi à obtenir une majorité absolue de soutien en se ralliant aux partis politiques albanais et est donc en mesure de former un gouvernement, le Président de la République refuse de lui donner un mandat pour ce faire, en violation de la Constitution macédonienne qui ne lui en donne pas le droit. « Coup d’Etat » et « guerre civile  » deviennent alors les expressions à l’ordre du jour. La justification du Président pour refuser ce mandat ? Tels ont été ses paroles lors de cette soirée du 1er mars : « Tant que je serai Président de la République de Macédoine, je ne remettrai aucun mandat à une personne ou à un parti qui promeut ou possède dans son programme une plateforme visant à détruire la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République de Macédoine ». 

Depuis cette date, les rivalités politiques trouvent en effet un nouveau terrain d’expression. Ainsi, les nationalistes utilisent la coalition entre l’opposition sociale démocrate et les albanais pour remettre à l’ordre du jour le débat sur la reconnaissance ou non de la langue albanaise comme seconde langue officielle du pays. En effet, alors que le processus de paix signé à Ohrid en 2001 suite aux tensions avec la communauté albanaise de cette même année avait posé les bases d’une reconnaissance de la langue albanaise, désormais, les nationalistes utilisent cela comme une « menace » contre une « Macédoine unie » tel que le devient leur slogan. Depuis le mois de mars, tous ces partisans du parti nationaliste se retrouvent donc tous les soirs pour manifester dans les rues de Skopje autour de ce slogan.

Si un sentiment de tensions semblait dominer juste après ce refus du Président de donner un mandat à l’opposition pour former un gouvernement, une sorte de retour à la normal dans l’incertitude était de mise. Toujours sans gouvernement, le pays continuait tout de même d’avancer, malgré les incertitudes politiques à venir, notamment concernant la vie politique dans les communes, les élections municipales de cette année ne pouvant être convoquées sans gouvernement.

La soirée d’hier n’a fait que rappeler  à tout.e.s les tensions et la situation de crise dans laquelle se trouve le pays.

 

 aux évènements du 27 avril 2017

En effet, en fin de journée hier, il semblait qu’une solution pour la vie politique du pays pouvait être trouvée. En effet, l’Assemblée nationale (pour précisions, la Macédoine est un régime parlementaire monocaméral) était parvenue a nommer un nouveau président, Talat Xhaferi; leader albanais (mais dont la figure reste controversée, ce dernier ayant été ,isitre de la défense sous le gouvernement nationaliste).

Or, la nomination de ce porte parole albanais aura pour conséquence une réaction des plus violente. Dès cette annonce en fin de journée, une centaine de partisans nationalistes  se rendent vers le Parlement. Sans être arrêté par la police, plusieurs d’entre eux, certains cagoulés, pénètrent dans le Parlement violemment et agressent les parlementaires. Plusieurs sont blessés. Le Parlement est sacagé. Toute la soirée et une bonne partie de la nuit, les interactions violentes persistent et les partisans nationalistes restent dans la rue. Le mo. Sur les réseaux sociaux, les vidéos et les photos des violences commises dans le Parlement sont rapidement diffusées.

 

Dans tout ça, quelques réflexions personnelles

De mon côté, c’est donc d’abord sur les réseaux sociaux que j’apprends qu’il est en train de se passer quelque chose. J’essaye d’en savoir un peu plus quand une amie macédonienne m’envoie un message pour me dire de rester chez moi et de ne pas sortir ce soir là. Elle m’explique alors rapidement la situation et m’envoie des informations tout au long de la soirée. Elle est d’origine albanaise, je peux même pas imaginer ce qu’elle peut ressentir face à de tels évènements.

Je tente donc de suivre les évènements depuis chez moi. En bas, le bar met la musique plus fort que d’habitude mais cela ne parvient pas à cacher les bruits des affrontements dans le centre de la ville. Je pense à mes amis macédoniens qui vivent près du Parlement. Les messages et les vidéos des violences et des personnes blessées défilent de plus en plus sur les réseaux sociaux.

Me voilà prise dans des sentiments contradictoires. A côté de ces messages sur la situation en Macédoine, j’ai la presse française et les articles qui défilent sur le second tour Macron / Le Pen. Une part de moi a envie de crier au monde qu’il se passe des choses aussi en Macédoine. Mais une autre, plus rationnelle, ne veut pas tomber dans cette pression émotionnelle, cette histoire au présent dans laquelle nous tombons souvent trop facilement sous la prise des émotions. J’essaye donc de comprendre, me dit que j’en saurai certainement plus aussi le lendemain, sur mon lieu de volontariat.

Puis ce matin, en sortant, sentiment d’autant plus étrange que la vie semble continuer comme si rien ne s’était passé. Y compris au travail, personne ne semble vraiment enclin à répondre à mes questions, le travail prend le dessus même si un climat de tensions se fait sentir.

Certains éléments me manquent donc toujours pour comprendre l’ampleur de la situation et des conséquences. Mais il me semble tout de même important d’écrire ces quelques lignes et de publier quelque chose sur ce qu’il se passe en Macédoine.

Je ne suis dans ce pays que depuis quelques mois mais je m’y suis plus attachée que ce que je pensais en y arrivant. Cette situation me préoccupe pour les amis que je m’y suis fait mais aussi pour ce pays qui est plein de ressources, de richesses et d’intérêt.

Les élections présidentielles en France me semblent alors à la fois proche et lointaines. Proches car la situation en Macédoine me montre tous les enjeux et les possibles conséquences d’un pouvoir nationaliste. Lointaines car le débat sur le second tour me semble aussi tourner en rond sur lui-même et rester dans une sphère lointaine dans laquelle je ne me sens pas incluse. En début de semaine, j’étais interloquée de voir que, en Macédoine, la seule chose qui ressortait de nos élections était la différence d’âge entre Macron et sa femme. Mais en ce moment, je me dis qu’au final, cela démontre le peu d’intérêt de nos débats actuels.

Je ne sais pas ce qu’il va se passer désormais, comme beaucoup. Le week-end du 1er mai approche. Je vais donc faire comme la majorité des Macédoniens que je connais ici : m’échapper dans les montagnes.

 

POUR ALLER PLUS LOIN : 

Sur la situation politique en Macédoine : 

Philippe Alcoy, « Macédoine. Jusqu’où ira la crise politique ? », Révolution permanente, 6 mars 2017. En ligne:  http://www.revolutionpermanente.fr/Macedoine-Jusqu-ou-ira-la-crise-politique-7194

Zoran Kuka, « Danse au dessus du volcan : les Balkans et la « poudrière macédonienne », Le courrier des Balkans, 9 mars 2017. En ligne : https://www.courrierdesbalkans.fr/La-poudriere-macedonienne-peut-elle-a-nouveau-enflammer-les-Balkans

Jean-Arnault Derens et Laurent Geslin, « Qui veut la guerre en Macedoine?’, Mediapart, 29 avril 2017. En ligne : https://www.mediapart.fr/journal/international/290417/qui-veut-la-guerre-en-macedoine?onglet=full 

Sur les évènements de la nuit dernière :  

Balkan inside, Macedonia Political crisis. Page: http://www.balkaninsight.com/en/page/macedonia-political-crisis 

Scores injured as protesters storm Macedonian Parliament (PHOTOS, VIDEO): https://www.rt.com/news/386396-macedonia-parliament-protesters-fight/

« Irruption musclée de manifestants dans le Parlement macédonien »; Vice news: https://news.vice.com/fr/article/irruption-musclee-de-manifestants-cagoules-dans-le-parlement-macedonien?utm_source=vicenewsfrfb