Il y a de cela tout juste une semaine, je me rendais pour la première fois à Gevgelija, à la frontière sud de la R. de Macédoine, dans le camp de Vinojug, situé à quelques centaines de mètres de la frontière grecque.

 

Comme à Tabanovce, au nord du pays, ce camp de transit est devenu un camp de blocage pour des centaines de personnes en migration après la fermeture des routes des Balkans en mars 2016. En ce 7 mars, ils sont 36 à demeurer enfermés dans ce camp et aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, j’apprends qu’ils sont encore 8 à y être enfermés.

 

Accompagnée des membres de MYLA, l’association qui m’accueille en R. de Macédoine et qui est présente dans les camps de Tabanovce et de Vinojug en tant qu’association d’assistance juridique, je traverse ce camp aux allures de camp fantôme.

 

Alors que nous passons à côté d’une série de conteneurs désormais vides (traces de « donations » de différentes organisations internationales et bailleurs de fonds, allant du UNHCR à USAID), on m’explique comment c’était « avant », pendant la « crise » de 2015-2016.

 

Les expressions du visage de mes interlocuteurs trahissent des souvenirs difficiles alors qu’ils me présentent l’ancienne entrée du camp. Des milliers de personnes y arrivaient chaque jour. Par petit groupe, ils se présentaient au conteneur de MYLA, situé juste à l’entrée du camp, où les avocats de l’association informaient les personnes de leurs droits et se chargeaient de faire les enregistrements de tous les passages. Ils évoquent les haut-parleurs qui ne cessaient de répéter le même message en différente langue tout au long de la journée : « vous êtes arrivés au camp de Vinojug…. » puis s’ensuivaient des informations générales sur les droits et la vie du camp. La plupart des personnes ne restaient cependant que très peu dans le camp, seulement le temps d’attendre le prochain train à destination de Tabanovce, au nord, en vue de rejoindre ensuite la Serbie. Quand nous arrivons dans la partie « réfectoire » du camp désormais déserte, ils parlent de toutes ces personnes qui attendaient un repas. C’était « full, full » comme ils ne cessent de le répéter.

 

Puis, les frontières ont été « fermées » tout comme le camp. Les personnes qui étaient à l’intérieur n’ont plus eu le droit d’en sortir pour rejoindre le nord tandis que toute nouvelle entrée était interdite. L’attente a alors commencé. Une attente de près d’un an. Les associations humanitaires et d’assistance juridique sont restées, proposant certaines activités pour organiser la vie du camp. Les passages continuant à la frontière, quelques personnes ayant pu échapper aux refoulements ont pu entrer dans le camp pour quelques jours. Certains ont décidé de partir. D’autres de faire une demande d’asile afin d’être transféré au centre de Vizbegovo, à Skopje. Et d’autres sont restés.

 

La veille de notre déplacement dans le camp, plus de 50 personnes y étaient encore enfermées. C’est dans la matinée du 7 mars, avant notre arrivée, que 20 personnes ont été renvoyées vers la Grèce. Selon les informations que l’on me donne, ce sont les personnes qui ont décidé de repartir vers la Grèce, espérant pouvoir y demander une relocalisation au sein de l’Union européenne.

 

Une atmosphère étrange règne donc quand nous arrivons. Comme si tout était en suspens, au ralenti. Sur les visages de ceux qui restent, dont beaucoup d’enfants, nous pouvons percevoir la lassitude et l’inquiétude. Un petit groupe joue au ballon au milieu du camp tandis que l’aire de jeux pour enfants est déserte. Les quelques conteneurs encore habités témoignent d’un an de vie dans ce camp, d’une tentative de reconstitution d’un petit « chez soi » temporaire, avec le peu qu’offre la vie dans un camp, entouré de barbelés et aux portes closes.

 

Personne ne sait ce qui va arriver dans les prochains jours. Personne ne sait ce qu’il va se passer pour les personnes renvoyées en Grèce. Des rumeurs circulent. Mais rien de fondé. La vie dans le camp continue donc, dans cette attente et cet enfermement qui la caractérisent.

 

Puis, c’est l’heure de partir, de rentrer à Skopje. Derrière les barbelés, cette inégalité entre nous, qui avons notre liberté de mouvement et ces familles, enfermées là depuis un an, m’indigne encore plus. Alors que nous montons dans la voiture, j’entends une des personnes qui nous accompagne murmurer « like a concentration camp ».