Voilà maintenant près de deux mois que je suis arrivée en République de Macédoine et je ne peux que constater une fois de plus les conséquences des fermetures des frontières et des politiques d’externalisation du contrôle des frontières européennes aux pays tiers. Refoulements, violations des droits humains, enfermement, violences, murs, business sécuritaire au mépris des droits, … Dans cet article, je vous propose donc de revenir sur la situation en République de Macédoine depuis la fermeture des frontières de cet Etat, en mars 2016.

 

Petit détour sur « l’avant » fermeture des frontières

Mais tout d’abord, petit retour sur « l’avant » fermeture des frontières, histoire de re-contextualiser et apporter quelques précisions à mon précédent article[1].

Les migrations ne sont pas un phénomène nouveau en République de Macédoine. En effet, depuis le début des années 2000, du fait des politiques européennes de durcissement des contrôles à la frontière sud de l’Union européenne[2], les « routes des Balkans » sont de plus en plus utilisées. Mais c’est surtout à partir de 2015 que ces « routes » vont être de plus en plus médiatisées en Europe, avec des milliers de personnes à les emprunter. En République de Macédoine, plus d’un million de personnes ont traversé le pays au cours de cette année, avec parfois plus de 7000 personnes par jour, selon les données recueillies par MYLA (Macedonian Young Lawyers Association)[3]. Arrivées de Grèce par la frontière sud de la République de Macédoine, à Gevgelija, les personnes en migration traversent le pays à pied, suivant la ligne de chemin de fer qui relie le sud du pays à Tabanovce, au nord, où elles peuvent poursuivre leur route vers la Serbie. Certes petit Etat d’environ 25 700 km², la République de Macédoine n’en demeure pas moins un Etat à la géographie montagneuse. Les premiers mois de l’année 2015 voient ainsi s’accumuler les articles de presse dans les médias annonçant le décès de migrants, tués par un train qu’ils n’avaient pas pu entendre ni voir arriver du fait du relief et des montagnes[4]. Face à cette situation, une mobilisation citoyenne se met en place autour d’un groupe facebook « Help the refugees in Macedonia »[5]. S’organisent alors des collectes de vêtements, de chaussures et de nourriture afin d’organiser des distributions sur la route. Des actions sont également menées afin de guider les personnes en migration dans leur route, en leur indiquant les points les plus dangereux ou encore, les lieux privilégiés des « trafiquants »[6]. Mais ce sont aussi des pressions vers le gouvernement qui vont être menées par ce groupe de citoyens (une petite centaine de personnes), afin que soient prises des mesures concrètes pour sécuriser la route pour les personnes en migration. Ces pressions vont conduire à la date du 19 juin 2015, date d’un amendement à la loi asile qui introduit le « papier » des 72 heures. Désormais, toute personne qui exprime le souhait de déposer une demande d’asile en République de Macédoine à la frontière se voit remettre un permis de séjour régulier dans le pays, valable 72 heures. Si ce délai doit permettre aux personnes de se rendre dans un poste de police pour déposer leur demande d’asile, cela va surtout permettre aux migrants de bénéficier d’un titre de séjour temporaire et donc, de pouvoir utiliser les transports communs, bénéficier des services de santé, etc., pendant un délai largement suffisant pour leur permettre de traverser le pays. Ainsi, la plupart des personnes vont pouvoir prendre le train jusqu’à Tabanovce, avant de chercher à rejoindre la Serbie[7].

Cependant, dès le 19 novembre 2015, le gouvernement décide de réserver ce papier à certaines nationalités seulement. Une « sélection » selon les nationalités commence donc à être opérée aux frontières[8]. Désormais, seuls les Afghans, Irakiens et Syriens sont autorisés à entrer dans le pays, à faire une demande d’asile à la frontière et donc à bénéficier de ce fameux « papier ». Pour les autres personnes, ressortissantes d’autres Etats, il faut donc recommencer à emprunter les routes de montagne pour traverser le pays.

Puis, en mars 2016, suite à la signature de l’accord UE-Turquie, c’est la fermeture des frontières[9].

 

Fermeture des frontières : quelles conséquences ?

La fermeture des « routes des Balkans » en mars 2016 a des conséquences directes en République de Macédoine, le pays passant, en l’espace de quelques temps, de pays de transit à pays de blocage.

Aux frontières : enfermement et blocage

C’est tout d’abord aux frontières nord et sud de la République de Macédoine que la fermeture des « routes des Balkans » impacte directement le paysage.

Ainsi, les deux centres de transit aux frontières nord et sud de la République de Macédoine (Tabanovce au nord ; Vinojug-Gevgelija au sud) sont, à partir de là, fermés. Concrètement, ce sont plusieurs familles, en majorité syrienne, qui se retrouvent bloquées dans ces camps, devenus lieux d’enfermement et d’attente. Dans le même temps, la présence de plus en plus forte d’organisations internationales dans le pays contribue à une forte augmentation du nombre d’ONG locales présentes dans ces camps. Financées sur projets, elles développent des actions d’assistance juridique, des ateliers créatifs, des ateliers éducatifs pour les enfants, etc., rythmant la vie des camps. Des mobilisations citoyennes se mettent également en place dans ces espaces. Tel est l’exemple du « Mercy Café » dans le camp de Tabanovce. Ouvert par Meredith, américaine vivant en République de Macédoine, ce café devient le cœur de la vie du camp, le lieu où les personnes enfermées viennent partager, échanger et essayer d’oublier la vie du camp autour d’un café ou d’un thé et de nombreux sourires et éclats de rire.

Cependant, ces camps, qui ne devaient être qu’une solution provisoire, s’inscrivent désormais dans la durée. Bien que visibles par les conteneurs et les barbelés qui les matérialisent, ces camps demeurent par ailleurs très largement méconnus dans le reste de la population macédonienne. Aux frontières, dans des lieux tenus à l’écart, ces camps se banalisent peu à peu tout en étant oubliés et invisibles pour beaucoup. Cependant, des familles y demeurent bloquées, sans aucun statut légal ne leur permettant de faire prévaloir leurs droits. La seule solution qui leur est proposée : faire une demande d’asile en République de Macédoine.

La demande d’asile : solution ou impasse ?

Mais cette « solution » proposée par la demande d’asile est-elle réellement une « solution » ?

Si, suite à la modification de la loi asile en 2015 et au « papier » des 72 heures, de nombreuses personnes ont exprimé le souhait de faire une demande d’asile en République de Macédoine, la fermeture des « routes des Balkans » a provoqué une diminution des demandes d’asile en République de Macédoine. Cependant, il n’en demeure pas moins que rares sont ceux qui souhaitent faire une demande d’asile dans le pays. La plupart de ceux qui s’y résignent le font afin de pouvoir être transférés au centre ouvert de réception des demandeurs d’asile de Vizbegovo, à Skopje, mais quittent le pays bien avant la fin de la procédure de leur demande d’asile.

Par ailleurs, le pays ne leur offre que peu de possibilités pour obtenir un statut de protection internationale. En effet, un amendement de la loi asile d’avril 2016 a réduit considérablement la possibilité d’obtenir le statut de réfugié ou de protection subsidiaire en République de Macédoine. Désormais, les personnes en provenance d’un Etat de l’Union européenne ou de l’OTAN sont considérées comme étant en provenance d’un pays tiers sûrs et donc, voient leur demande de protection internationale refusée[10]. Or, la plupart des personnes présentes en République de Macédoine sont en provenance de Grèce, donc d’un pays de l’Union européenne.

De nombreux enjeux autour de la demande d’asile en République de Macédoine (sur lesquels nous reviendrons dans un prochain article) font donc que cette « solution » de la demande d’asile telle qu’elle est proposée ne reste, dans les faits, qu’une « impasse », sans réels résultats effectifs.

Push backs quotidiens

Autre enjeu de la fermeture des « routes des Balkans » que l’on peut constater en République de Macédoine : les push-backs, ou refoulements à chaud aux frontières.

En effet, les frontières ont beau être présentées comme étant fermées, les passages demeurent aux frontières, associés à de nombreuses violations des droits de l’Homme.

Ainsi, la frontière grecque, et donc de l’UE, retient particulièrement l’attention des autorités macédoniennes. La plupart des personnes cherchant à entrer en République de Macédoine depuis la Grèce et qui sont interceptées par les autorités sont ainsi, depuis la fermeture des frontières, refoulées directement vers la Grèce, en totale violation du droit international et notamment du principe de non-refoulement de la Convention de Genève de 1951.  Et les autorités macédoniennes en sont fières ! Ainsi, à la fin de l’année 2016, elles se vantaient d’avoir refoulées plus de 25 000 personnes en Grèce, entre le 8 mars et le 26 octobre 2016[11]. En totale impunité, ces push backs sont ainsi devenus le quotidien à la frontière sud.

Il en est de même à la frontière nord, avec la Serbie, mais cette fois-ci, ce sont les autorités serbes qui refoulent illégalement des personnes en migration de la Serbie vers la République de Macédoine. Et cela, y compris si les personnes ne sont pas entrées en Serbie par la République de Macédoine mais par la Bulgarie.

Si des données précises sont difficiles à obtenir sur ces refoulements, le constat à en tirer est le même que celui que nous pouvons tirer à d’autres frontières de l’UE. En effet, au vu de cette situation, comment ne pas penser à un parallèle avec ce qu’il se passe à la frontière sud de l’UE, dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, avec les devoluciones en caliente, refoulements à chaud de l’Espagne vers le Maroc.

 

Et maintenant ?

Mais ces push backs révèlent aussi, et surtout, que malgré une soi-disant « fermeture » des frontières dans les Balkans, les passages continus. Symbole, une fois de plus, de l’inefficacité des murs érigés aux frontières, sous toutes les formes qu’ils peuvent prendre, au regard de leur objectif affiché d’arrêt des flux migratoires. Et, encore une fois, la conséquence pour les personnes en migration reste la même : l’obligation de prendre plus de risques.

En effet, si, après le « rush » de 2015 et 2016 en République de Macédoine, les médias s’intéressent de moins en moins à la situation des personnes en migration dans le pays. La mobilisation citoyenne qui s’était créée en 2015 perd en intensité, les camps aux frontières deviennent de plus en plus invisibles, une certaine banalisation prend forme… Pourtant, des choses continuent de se jouer dans le pays.

Aux frontières, les passages continuent, comme nous avons déjà pu l’évoquer. Ces passages se font par le biais de différents réseaux de passeurs, eux-mêmes conséquences de la fermeture des frontières. Les personnes en migration sont ainsi obligées de prendre de plus en plus de risques, d’emprunter des routes plus cachées afin d’échapper aux forces de l’ordre et de rejoindre le nord du pays. Ainsi, autour du camp de Tabanovce au nord, se multiplient les campements et installations informels et temporaires de personnes en transit.

Mais c’est surtout la question de l’après qui se pose. La situation de ces personnes en migration en République de Macédoine semble donc avant tout caractérisée par ce mot qu’est l’attente. Tout semble comme en suspens, dans l’attente de ce qu’il se passera en cas de fin de l’accord UE-Turquie et d’une potentielle réouverture des frontières. Mais cette attente n’est pas passive. Des choses semblent se mettre en place petit à petit, à l’abri des regards. Nous avons déjà pu aborder les derniers évènements survenus dans le camp de Tabanovce[12]. De même, depuis ces évènements, les push backs qui étaient quotidiens à la frontière sud sont de moins en moins présents, les refoulements se faisant désormais « légalement », sous l’égide de l’accord de réadmission entre l’UE et la République de Macédoine. A côté de cela, nous pouvons aussi souligner l’accord récemment passé entre la République de Macédoine et Frontex afin de permettre à l’agence de mener des opérations dans le pays[13] ou encore, l’accord conclu entre les pays d’Europe de l’est et des Balkans afin de proposer un cadre d’action commune afin de coopérer dans le contrôle des frontières en cas de réouverture des frontières[14].

La question qui se pose alors, sans réponse pour l’instant : vers quoi tout cela mènera-t-il ?

 

 

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[1] Emilie, « Et vous, la Macédoine, ça vous parle ? », Blog Vues d’Europe et d’ailleurs, 17/12/2016.

[2] Rappelons à ce sujet la mise en place du système espagnol SIVE (sistema integrado de vigilancia exterior) en 1999, ayant eu pour conséquence un durcissement des contrôles migratoires des côtes de l’Afrique de l’ouest vers les îles Canaries et par conséquent un déplacement des routes migratoires vers les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla avant que ce système de contrôle soit également mis en place aux frontières de ces deux enclaves, provoquant un nouveau déplacement des routes migratoires par la Libye et par enchaînement, vers l’est de l’Europe.

[3] Oxfam  (coord.), Closed Borders. Program report on the impact of the borders closures on people on move, with a focus on women and children in Serbia and Macedonia, septembre 2016, 18 p.

[4] Pour exemple : Associated press in Skopje, “14 migrants killed by train while walking on tracks in Macedonia – police”, The Guardian, 24/04/2015. En ligne: https://www.theguardian.com/world/2015/apr/24/several-migrants-hit-by-train-killed-central-macedonia

[5] Groupe Facebook : https://www.facebook.com/groups/help.mk.refugees/

[6] Rappelons cependant que les « passeurs » sont bien souvent le résultat des politiques de fermeture des frontières.

[7] Oxfam  (coord.), Op cit., p. 4.

[8] MYLA, Emergency response, 2015: a year in review, March 2016.

[9] Oxfam  (coord.), Op cit., p.5

[10] Zarko Hadzi-Zafirov, “The Safe third country concept and amendments to the law on asylum and temporary protection of the year 11/04/2016”, MYLA Legal opinions, July 2016. Disponible en ligne :

[11] Déclaration officielle du porte parole du secteur des affaires publiques du Ministère de l’intérieur macédonien: http://aa.com.tr/mk/%D0%BD%D0%B0%D1%81%D0%BB%D0%BE%D0%B2%D0%B8-%D0%BD%D0%B0-%D0%B4%D0%B5%D0%BD%D0%BE%D1%82/%D0%BE%D0%B4-%D0%B7%D0%B0%D1%82%D0%B2%D0%BE%D1%80%D0%B0%D1%9A%D0%B5%D1%82%D0%BE-%D0%BD%D0%B0-%D0%B1%D0%B0%D0%BB%D0%BA%D0%B0%D0%BD%D1%81%D0%BA%D0%B0%D1%82%D0%B0-%D1%80%D1%83%D1%82%D0%B0-%D0%B2%D0%BE-%D0%BC%D0%B0%D0%BA%D0%B5%D0%B4%D0%BE%D0%BD%D0%B8%D1%98%D0%B0-%D0%BE%D1%82%D0%BA%D1%80%D0%B8%D0%B5%D0%BD%D0%B8-%D0%B2%D0%BA%D1%83%D0%BF%D0%BD%D0%BE-25069-%D0%BC%D0%B8%D0%B3%D1%80%D0%B0%D0%BD%D1%82%D0%B8/675047

[12] Emilie, « Brève. Réadmissions aux frontières de l’UE », Blog Vues d’Europe et d’ailleurs, 13/02/2017.

[13] European Commission, Report from the Commission to the European Parliament, the European council and the Council on the operationalisation of the European Border and Coast Guard, COM(2017) 42 final, Brussels, 25.01.2017

[14] “SE, central Europe states eye closer border cooperation to deter migrants”, 9 Février 2017. En ligne: http://www.channelnewsasia.com/news/world/se-central-europe-states-eye-closer-border-cooperation-to-deter/3503710.html