Du 7 au 10 Mars avait lieu à Schwabisch Hall en Allemagne le Congrès pour les Droits des Paysan(ne)s. 53 nationalités étaient représentées, à peu près 300 personnes présentes : hommes et femmes, paysan(ne)s, communautés de pêcheurs, peuples autochtones, éleveurs et travailleurs ruraux de toutes les régions du monde, ONG, experts et figures politiques.

 

C’était de façon organisé et en grande pompe que l’on s’est vu materné de la première heure le matin jusqu’à l’heure du coucher pendant 3 jours. Des locaux magnifiques, haut de plafond, spacieux, architecture alsacienne, impressionnant. A chaque pause, on avait la possibilité de se restaurer, le midi et le soir c’était plus copieux encore. Des traducteurs étaient présents pour toutes les langues. Le soir pas question de s’ennuyer à errer dans les rues de Schwabisch Hall : des sorties étaient prévues (abattoirs, ferme laitière, porcherie), chaque sous groupe était escorté en bus. Puis l’heure de se restaurer arrivait : possibilité de se noyer sous l’alcool, de se faire péter le bide plusieurs fois de suite, d’assister à des dance traditionnelles roumaines etc. etc. etc.

Dispositif impressionnant et quelque peu déroutant donc.

 

Moi qui pensais assister à une succession d’interventions, de témoignages de paysans ou d’experts sur les droits des paysans. Que nenni. J’ai participé à faire évoluer la Déclaration mesdames zé mesdames.

 

Si t’as la flemme de lire, cette vidéo est très bien :

Si tu veux plus de détails tu peux lire aussi :

 

Une élaboration qui ne date pas d’hier

Le projet actuel de déclaration est le fruit du travail effectué par La Via Campesina (LVC) depuis plus de 15 ans, appuyé par FIAN International et le CETIM (Centre Europe Tiers Monde), avec le soutien d’autres mouvements sociaux. Ce processus opte pour une stratégie unique : faire reconnaître la déclaration par l’ONU, gouvernance internationale du système des droits humains, basée sur des enjeux émanant des mouvements paysans de base.

 

2000-2004: Le SPI (Serikati Petani Indonesia), syndicat indonésien membre de LVC établit les premiers contacts à Genève dans le but de rechercher la reconnaissance et l’institutionnalisation de droits pour la paysannerie.

 

2004-2008: Trois rapports sur les violations des droits des paysans sont rédigés par LVC et FIAN puis présentés au sein de la Commission des Droits de l’Homme en 2004, 2005 et 2006. LVC commence alors le projet de rédaction d’une Déclaration avec son groupe de travail des droits humains. En juin 2008, se tient à Djakarta la Conférence Internationale des Droits des Paysans, avec la participation d’une centaine des délégués paysans et paysannes de La Via Campesina et d’un millier de membres de SPI. La Déclaration des Droits des Paysannes et Paysans de La Via Campesina voit le jour. La Vème Conférence Internationale de Maputo approuve la Déclaration et le CCI la valide en mars 2009.

 

2008-2012: Travail au sein de l’ONU. Lors de la crise alimentaire, l’Assemblée Générale de l’ONU à New York et le Conseil des Droits de l’Homme à Genève interrogent LVC sur les mesures à prendre pour s’attaquer à la crise. LVC y répond par sa Déclaration comme étant l’outil indispensable pour la lutte contre la faim et la discrimination de la paysannerie partout dans le monde. En 2009, le Conseil des Droits de l’Homme a mandaté le Comité consultatif en vue de réaliser une étude sur la discrimination dans le contexte du droit à l’alimentation. En mars 2012, le Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme présente son Étude sur la promotion des droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Le Comité recommande au Conseil des droits de l’homme de créer un nouveau mandat au titre des procédures spéciales afin de renforcer la promotion et la protection des droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et d’élaborer un instrument international. La Déclaration sur les droits des paysans, adoptée par le Comité consultatif et inspirée largement sur la déclaration de LVC, a pour but de servir de modèle à cet instrument. En septembre 2012, les 47 États membres du Conseil adoptent la résolution historique 21/19 qui établit le premier OEIWG (Open-Ended Intergovernment Expert Working Group) ayant pour mandat de négocier, finaliser et présenter un projet de Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales, avec 23 États votant en faveur, 9 contre et 15 abstentions.

 

2013-2017: La première session du groupe de travail s’est déroulée en juillet 2013. Une première lecture de la Déclaration est faite, ouvrant un débat auprès de nombreux pays et sous la forte pression des pays du nord qui contestent le mandat de rédiger une telle déclaration. Cette première session se conclut par la recommandation de rédiger un nouveau texte en vue de la deuxième session.

En juin 2014, la résolution 26/26 fut adoptée avec 29 votes en faveur, 5 contre et 13 abstentions et le mandat du deuxième groupe de travail fut prorogé. Il s’est ensuite réuni pour la deuxième session en février 2015. La troisième résolution sur ce dossier -30/13, fut adoptée avec 31 votes en faveur, 1 contre et 15 abstentions tout en confirmant la poursuite des négociations en 2016 et 2017.
La troisième session de l’OEIWG s’est déroulée en mai 2016, avec une lecture du nouveau projet de déclaration. Les pays du nord continuent à refuser l’adoption de cet instrument mais des voies de dialogue se sont ouvertes. La position de l’UE évolue lentement et pour la première fois accepte, dans les conclusions du rapport, de se sentir concernée par ceux qui se trouvent en situation de vulnérabilité. Ce dernier groupe de travail à été marqué par la forte présence du soutien d’autres organisations de producteurs et productrices, notablement le Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP), l’Alliance mondiale des peuples autochtones transhumants (WAMIP), le Conseil international des traités indiens (CITI), le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) et la Fédération Internationale des Mouvements d’Adultes Ruraux Catholiques (FIMARC), entre autres. La Via Campesina et les autres organisations ont fait un total de 64 interventions contre 5 lors de la première session en 2013. La prochaine session a lieu en mai 2017.

Quel contenu ? Que défend-elle ?

La Déclaration suit la structure de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des

 adopté en 2007. Elle commence par un important préambule qui rappelle que de nombreux paysans, partout dans le monde, ont combattu à travers l’histoire pour la reconnaissance des droits des paysans et pour des sociétés justes et libres, et qui se termine en formulant l’espoir que cette déclaration représente un pas en avant essentiel pour la reconnaissance, la promotion et la protection des droits et des libertés des paysans.

Le premier article de la Déclaration des droits des paysannes et des paysans donne une définition des paysans, selon laquelle : Un paysan est un homme ou une femme de la terre, qui a un rapport direct et spécial avec la terre et la nature par la production d’aliments et/ou d’autres produits agricoles. Les paysans et les pay­sannes travaillent la terre eux‐mêmes, ils comptent surtout sur la main-d’œuvre fa­miliale et d’autres formes à petite échelle de main-d’œuvre organisée. Paysans et paysannes sont traditionnellement intégrés dans leurs communautés locales. Les paysans prennent soin des paysages locaux et des systèmes agro-écologiques. Le terme paysan s’applique à toute personne ayant comme occupation l’agriculture, l’élevage, l’artisanat découlant de l’agriculture ou un métier y ayant trait dans une zone rurale. Ce terme s’applique donc aux paysan(ne)s sans terre.

 

La Déclaration défend notamment ces quelques éléments :

 

Le droit à la terre et aux autres ressources naturelles, y compris le droit à utiliser les terres non productives, la reconnaissance de la fonction sociale de la
terre, la régulation des acteurs non étatiques et les obligations extraterritoriales des États, le «territoire», la réforme agraire, la limitation ou l’interdiction des grands domaines et la concentration excessive de la propriété foncière, l’obligation pour l’État de donner la priorité aux paysans dans l’accès aux terres publiques, la création d’un patrimoine agricole public inaliénable, la suppression de la discrimination pour l’accès à la terre, la création de zones / territoires paysans.

 

Le droit à un revenu et à des moyens de subsistance décents, y compris le droit à un niveau de vie suffisant. L’obligation des États de: réglementer les marchés, interdire le dumping et les monopoles, maintenir des prix justes et rémunérateurs pour la production agricole; protéger l’accès aux marchés, la vente directe, la production, l’échange et la transformation artisanale des produits des paysans au moyen de normes différenciées et adaptées; l’achat et la vente de la production paysanne à des prix équitables, le droit à déterminer le prix et le marché des obligations de production agricole des États afin d’assurer la stabilité de l’emploi et des revenus suffisants.

 

Le droit aux semences et la biodiversité, y compris le droit des paysans d’utiliser, de cultiver, de réutiliser, de conserver, de développer, d’échanger, de transporter, de donner et de vendre leurs semences; de rejeter les brevets sur les semences et la biodiversité; l’obligation des États de promouvoir et de soutenir les banques de semences paysannes et leur conservation in situ, d’interdire les OGM et de limiter l’utilisation des semences industrielles, de respecter les obligations extraterritoriales avec référence spécifique à la régulation du développement des acteurs non étatiques comme les entreprises transnationales; ces dispositions devraient également s’appliquer à la reproduction animale.

 

Le droit à la souveraineté alimentaire, y compris le droit à un modèle de développement dans lequel les paysans peuvent choisir les modes de production, distribution et consommation d’aliments d’une manière telle qu’elle valorise et améliore les conditions sociales et de travail au sein des systèmes agricoles et alimentaires. Dans ce modèle de développement, les paysans et paysannes ont le droit de diriger les bien communs et de participer à des politiques publiques afin de mieux réglementer les systèmes agricoles et alimentaires.

 

Le droit d’accès à la justice et l’arrêt de la répression et de la criminalisation des organisations et syndicats paysans.

 

La définition de la paysannerie et d’autres personnes travaillant dans les zones rurales, y compris la référence à l’ « agriculture paysanne »; la relation spéciale des paysans avec la terre et le territoire, non seulement de nature économique, mais aussi culturelle et sociale; la paysannerie pratiquée comme fondement de l’agriculture familiale.

 

Les droits des femmes rurales y compris l’approche substantive de genre; les obligations des États à prendre des mesures pour interdire la discrimination, de jure et de facto, envers les femmes rurales; pour garantir l’accès à la terre, aux semences, à l’eau, à toutes les ressources naturelles et aux crédits, la participation à la conception des politiques rurales et de l’aide au secteur rural, afin d’éviter la féminisation de l’insécurité et de la pauvreté rurale.

 

Quel positionnement des Etats ?

Les pays de l’UE et les Etats-Unis ont d’abord voté contre l’élaboration de la Déclaration en 2012, alors que la plupart des pays d’Afrique, Amérique latine et Asie étaient pour. Grâce au plaidoyer des sociétés civiles en Europe, les Etats-Unis ont été les seuls à voter contre la prolongation du mandat du groupe de travail sur la Déclaration des droits de paysans en 2015, les Etats membres de l’UE se sont abstenus.

 

Quels intérêts ?

Les mauvaises langues diront que c’est encore une mesure juridique non contraignante. Mais comme l’a très justement dit Guy Kestler (paysans français et membre du Réseau Semence Paysanne) : beaucoup de paysan(ne)s n’ont pas conscience de leur droit et ce support est tout d’abord un support de légitimation des droits paysans et un support d’information pour ces derniers. La déclaration est un élément central de la stratégie pour défendre les droits et dénoncer l’agro industrie et les discriminations qui sont perpétrées envers les paysan(ne)s.

 

Comment on élabore une Déclaration ? Aparté sur un temps de travail

Pour les temps de travail il y avait des thématiques (droit à la terre, droit au revenu, criminalisation des paysan(ne)s etc.), chacun s’inscrivait là ou il voulait. Il y avait ensuite formation de petit groupe. Le groupe « droit à la terre » était le plus nombreux et rassemblait une 50ène de personne. Il y avait quelques témoignages de personne concernées par cette thématique (notamment victime d’accaparement des terres), l’intervention d’un juriste/avocat qui avait étudié la déclaration et faisait part de son avis, des manquements selon lui etc. Puis le groupe s’est subdivisé en groupe de langue pour faciliter les interactions (avant il y avait des traducteurs français, anglais et espagnol). Chaque groupe avait sa méthodologie mais le but était de faire des contributions sur la déclaration et sur la thématique. Un rapporteur était désigné et un modérateur. Puis chaque rapporteur a synthétisé les contributions de son groupe à l’assemblée réunie. Tout a été noté.

Puis il y a eu des groupes par continent pour s’assurer que toutes les réalités étaient prises en compte. Il y a eu l’avis d’autres juristes/avocats sur les manquements et les améliorations possibles selon eux. Puis des sous groupes se sont organisés pour débattre de certaines thématiques ou d’action à mener pour faire connaître la déclaration et faire du lobby auprès des Etats qui s’abstiennent encore.

 

Il reste cependant du chemin pour que cette déclaration voit le jour. De plus, cette déclaration sera un support de revendication des droits paysans mais n’empêchera pas ce système assassin de la paysannerie de perpétrer ses crimes. Tous les combats reste à venir.

A suivre…

 

 

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Pour aller plus loin :

https://defensedesdroitspaysans.org/ : Espace de connaissance sur les droits paysan(ne)s

http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RuralAreas/Pages/3rdSession.aspx/ : Le site officiel du Haut- Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour les groupes de travail sur le thème du projet de déclarations sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Vous trouverez tous les documents officiels des trois sessions du groupe de travail: résolutions, interventions, conclusions, déclarations. EN, FR, ES, ALL, CH, RU

https://defendingpeasantrights.org/ : il s’agit d’un blog permettant de donner plus de visibilité à l’ensemble des connaissances pour la défense des droits des paysans, hommes et femmes, dans le monde entier. C’est un espace pour rassembler les différents types de matériaux et de ressources tels que: déclarations, documents et études affirmant les droits des paysans; droits constitutionnels, les lois et les politiques nationales existantes; décisions des tribunaux de protéger les droits des paysans; avis d’experts juridiques et travaux académiques; traités et déclarations de l’ONU, des principes et directives reconnaissant les droits des paysans. EN