C’est ici que (je) commence mon article. Face à la mer. Derrière une photo, il y a toujours une face cachée, vous savez celle barrée du mot « nikon » en jaune pisse et qui indique la date et l’heure de cette indispensable immortalisation de vous à 5 ans en slip vert fluo, dressée face à la mer. Depuis l’avènement du numérique, ces vieux souvenirs s’estompent. Bien ou mal? Je laisse mes amies véritablement amatrices de photographie, elles qui m’accompagnent sans le savoir, en juger. Moi qui n’ai appris à manier l’art de l’écriture de la lumière qu’à l’ombre d’un appareil fuchsia bon marché, j’ai toujours été plus doué pour décrire l’envers du décor. Alors, aujourd’hui, les mots derrière la photo seront les miens.

Sur cette photo, on voit la mer mais on ne voit pas la route qui m’en sépare, la côtière, que j’ai plus l’habitude de fréquenter à la nuit tombée, à la faveur d’un khtaf* au beau sourire qui me ramènera chez moi en échange d’une poignée de dirhams et de quelques minutes d’inconfort sur un petit banc de bois dans le coffre de son Kangoo.
Sur cette photo, on voit le vert de l’herbe et des plantes mais on ne voit pas le bloc de béton où je suis assis, les détritus qui jonchent le sol, la voiture qui vient de se garer derrière moi et les palissades de chantier à droite du cadre.
Sur cette photo, on imagine le calme de mon esprit, ou du moins l’apaisement  que procure le paysage. On n’y voit pas les 10 vidéos de Data Gueule qui démontent pèle-mêle compensations écologiques, empire de Samsung, business des prisons et franc CFA, tout ce qui nous fait rire, pleurer et nous stimule au quotidien au boulot. On n’y voit pas les heures passées à écouter les chroniques de Guillaume Meurice pour continuer à rire de l’état du monde avant qu’il ne s’effondre. On n’y voit pas la ville et son activité, mon chez moi pas loin derrière, le terminus des bus où les chauffeurs boivent le thé, les heures passées au bureau à lire le monde sur l’ordinateur, ou à s’en protéger, les vidéos de petites manifs (devant le ministère de la justice et la DGSN) qui disparaissent sous les doigts habiles des policiers (sécurité nationale oblige), les appareils dentaires qui barrent le sourire malicieux des jeunes femmes, ce vieux probablement bourré qui citait polnareff en pensant que c’était alain souchon qui disait qu’au final, « on irait tous au paradis », à la fin d’une soirée sur le féminisme islamique, le goût délicieux des « cheese cakes » du boumalek qui (con)tiennent probablement moins du fromage que l’incontournable « feurmaj » à la tête de bovin repeinte aux couleurs du communisme et de coca-cola.

On n’y voit pas toutes ces choses et tout le reste, tout ce que je n’ai pas la place d’évoquer dans un tel exercice, tout ce qui se vit et qui ne s’exprime pas, par pudeur ou par manque de mots, tout, surtout, ce que je n’ai pas su noter, ce que je n’ai pas su voir. Toutes ces petites choses qui font un monde et qui nous font l’aimer et le détester, qui nous font nous battre et qui font battre nos coeurs (et pas seulement celui de la France…), loin des furies guerrières et des basses manœuvres de ceux qui s’arrogent le droit d’en disposer selon leur bon vouloir et contre tout intérêt général (bisous bichon, lâche pas l’affaire, y a encore moyen de creuser!).

Et puisqu’on s’était dit qu’on finirait en chanson et que j’ai bien vu qu’après Polnareff, vous en demandiez encore en trépignant derrière vos écrans, je vous laisse méditer ce classique des chants révolutionnaires du XXIème siècle. Et oui, on n’arrête pas le progrès !