Chronique d’une interpellation politique

 

Le lundi 23 janvier, était prévue la signature du protocole de préfiguration pour le territoire Est Ensemble entre les maires de l’EPCI (établissement public de coopération intercommunale) « Est Ensemble », le président de l’ANRU (François Pupponi), le président d’Est Ensemble (Gérard Cosme) et le ministre de la ville (Patrick Khanner).

Un protocole de préfiguration, c’est un préalable obligatoire à tout projet de renouvellement urbain. Il est signé entre les parties concernées soit l’État, les collectivités, les bailleurs mais aussi … les habitants ! Enfin, soyons précis. Il n’est pas formellement signé par les habitants mais ceux-ci sont censés y avoir contribué. Or, dans beaucoup de quartiers, la concertation n’a pas eu lieu. C’est notamment le cas à Gagarine, quartier de Romainville, menacé de démolition.

Afin de s’opposer à ces projets décidés sans co-construction et consultation, plusieurs associations (DAL-HLM, APPUII, association Spoutnik du quartier Gagarine de Romainville et la coordination Pas Sans Nous) ont lancé un appel au rassemblement au siège d’Est Ensemble où avait lieu la signature. L’intention était de montrer que de manière générale, la concertation citoyenne et la co-construction, toutes deux inscrites dans la loi, ne fonctionnent pas de manière effective.

Depuis mi-janvier, une campagne d’interpellation publique a également été choisie comme moyen d’action par l’association APPUII et celle-ci résonne directement avec les revendications de la manifestation du 23 janvier.

Appel au rassemblement


9 heures. J’arrive donc le lundi matin, sors du métro 5 Bobigny Raymond Queneau et cherche un peu mon chemin direction le siège d’Est Ensemble. J’aperçois une foule mais ne percute pas. J’imagine un rassemblement plutôt intimiste. Puis finalement, sur le chemin, je commence à réaliser que cette procession va probablement au même endroit que moi. En fait, on sera plus que ce que j’avais imaginé.

9 heures 15. On a investi le hall du siège d’Est Ensemble. Les gens de l’accueil semblent dépassés ; un mec me dit en rigolant « c’est sûrement la première fois qu’ils se font envahir comme ça ! ». Le début est assez calme, on attend.

9 heures 30 passées. Les slogans commencent à être entonnés :

« So-so-so-solidarité, avec les mal-logés ! »

« Qu’est ce qu’on veut ? – des logements !

Pour qui ? – pour tous !

Pour quand ? – maintenant ! »

« tous ensemble à Est ensemble, ouai ! »

« on est là, on reste là ! »

« le Grand Paris nous chasse ! »

10 heures 30. Finalement, une délégation d’une dizaine de personnes montera dans les locaux d’Est Ensemble, reçue par la responsable aménagement d’Est Ensemble, la responsable rénovation urbaine et la directrice de cabinet du président de la communauté de communes.

Ce rendez-vous aura permis d’exposer nos revendications aux représentants d’Est Ensemble. A propos de la cité Gagarine, les habitants dénoncent :

  • L’absence totale de concertation sur le projet,

  • La démolition de l’école, qui oblige parents et enfants à se débrouiller en attendant,

  • Le choix imposé de démolir des logements sociaux de qualité,

  • Le non relogement d’une famille, expulsée en 2015, toujours à l’hôtel…

Plus largement, les associations présentes dénoncent aussi des problèmes qui concernent tous les quartiers populaires avec la mécanique du Grand Paris qui conduit à toujours plus d’exclusion des familles les plus pauvres et des projets urbains qui profitent davantage aux bailleurs, aux promoteurs privés et aux entreprises de BTP qu’aux habitants.

Pour aller plus loin …

L’appel à mobilisation relayé par la Coordination Pas sans nous : 

Un article du Parisien : http://www.leparisien.fr/romainville-93230/est-ensemble-droit-au-logement-reclame-des-rehabilitations-douces-23-01-2017-6608574.php

Communiqué de la Coordination Pas sans nous : https://www.passansnous.org/stop-a-renovation-urbaine-concertation-habitant-e-s/

Ce rassemblement me ramène directement à mon quotidien à APPUII, l’association qui m’accueille à Saint-Denis pour cette mission d’échange. APPUII (Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international) intervient à la demande de collectifs d’habitants la saisissant pour se mobiliser pour ou contre des projets urbains, et tente alors de les outiller et de renforcer leur capacité à agir.

Alors quand les personnes présentes au rassemblement à Est Ensemble dénoncent le fait que les projets urbains profitent d’avantage aux bailleurs et compagnie qu’aux habitants, on se demande finalement : quelle place est faite aux habitants dans tout ça ? Ont-ils leur mot à dire dans des projets qui le concernent directement ? Quels outils et pistes d’action ont-ils pour être entendus ?

Interpeller les pouvoirs publics comme moyen d’action

APPUII a lancé une campagne d’interpellation sur le sujet : quelle place est donnée aux habitants dans les projets de rénovation urbaine ? Sur le format d’une carte de vœux à envoyer aux décisionnaires des projets qui nous concernent, la campagne s’intitule « La rénovation urbaine avec les habitants, ça commence quand ? ». L’idée est de dire que ça commence en 2017, vous l’aurez compris.

En fait, le groupe de travail – si bien nommé – « interpellation » a produit à la fois une carte de vœux, à remplir soi-même, selon ses propres revendications, besoins etc, ainsi qu’une brochure explicative. Celle-ci est constituée de trois points, eux-mêmes divisés en une mécanique bien rodée : « ce que la loi prévoit, ce que nous constatons, ce que nous proposons ». Les constats sont issus d’une enquête réalisée en 2016 sur la mise en place de la participation des habitants dans les quartiers en rénovation urbaine.

Replaçons le contexte. En 2014, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine faisait naître de nouveaux espoirs en plaçant le principe de co-construction au cœur des projets urbains. L’idée étant d’obtenir une coopération et une co-élaboration des projets entre professionnels, élus et habitants. Pour cela, elle imagine la création de « Conseils citoyens » et de « Maisons du projet ».

La loi définit les Conseils citoyens comme ayant « vocation à participer pleinement à la gouvernance des contrats de ville et étant partie prenante de la démarche contractuelle, à chacune de ses étapes (élaboration, mise en œuvre, suivi, puis évaluation) et sur l’ensemble de ses volets, y compris en matière de renouvellement urbain ». Concernant les Maisons de projet, la loi prévoit « la mise à disposition d’un lieu, qui pourra, pour les sites concernés par un projet de renouvellement urbain, être constitué par la Maison du projet ». (Art 1 et 7 – Loi n° 2014-173 du 21 février 2014).

Et pourtant, malgré la brèche ouverte par le principe de co-construction inscrit dans la loi, les modes de faire sont restés inchangés. La brèche s’est rapidement refermée et les pratiques n’ont pas évolué. M.R. résumerait la situation en disant que l’urbain est privilégié au détriment de l’humain.

Les résultats de l’enquête menée par APPUII témoignent d’un premier point : les habitants sont en fait absents des instances de décision. Les conseils citoyens n’ont pas été associés à l’élaboration des contrats de ville, ni des protocoles de préfiguration, ni invités à siéger aux comités de pilotage des projets, ni aux comités techniques. Bref, ils sont relativement invisibilisés et exclus des processus de décision.

Deuxième constat. Sait-on co-construire ? Comment informer ?

Ici se pose la question du langage commun. L’enquête dresse une difficulté des habitants et des conseils citoyens à s’approprier les documents, qui ont été pensés uniquement par et pour des professionnels de l’urbanisme, et donc difficilement déchiffrables pour des non-avertis. À cela se combine le manque de formation des habitants sur les enjeux urbanistiques. Par ailleurs, la difficulté réside également dans le fait de travailler en commun, avec les professionnels qui déclarent ne « pas savoir faire avec les habitants ».

Alors, entre des habitants qui n’ont pas été formés au langage urbanistique professionnel et des professionnels qui n’ont pas été formés aux méthodes de concertation et de co-construction, le fossé se creuse et l’incompréhension s’installe.

Bien sûr, ce deuxième point s’articule avec le premier. Des habitants qui se mobilisent une première fois pour tenter de participer à la construction commune d’un projet les concernant directement, mais qui font face à une ignorance des professionnels ou des élus, et se heurtent à des limites techniques, finissent par se décourager rapidement et la volonté de participation peut s’essouffler. Quand on a aucune prise, quand on un sentiment d’impuissance totale, comment se mobiliser ? Comment s’acharner et s’épuiser à la lutte ?

Le troisième point concerne les ressources allouées aux instances citoyennes pour une co-expertise plus effective. En effet, la plupart des collectifs d’habitants ne disposent pas de lieu spécifique pour leurs rencontres. Les Maisons de projet dont nous parlions plus haut n’ont finalement ouvert que dans six sites sur trente-et-un.

Bon, je reconnais, le tableau dressé est assez sombre. Finalement, l’inscription dans la loi d’un principe de concertation n’est pas respecté. Les habitants sont toujours autant démunis face à des projets qui les dépassent et dans lesquels ils ne se retrouvent pas. Mais les solutions existent, les propositions des acteurs militants ne manquent pas, mais une réelle volonté politique est nécessaire afin d’entamer un changement profond dans la manière de « faire nos villes ».

Vous pouvez retrouver la campagne d’interpellation menée par APPUII ici et consulter les propositions qui sont alors faites pour imaginer une politique urbaine plus respectueuse de tou.te.s.