A la base je suis venue en Grèce pour militer contre les mises en enchère et les expulsions. Même si le phénomène n’a pas la même ampleur qu’en Espagne, les banques grecques attaquent depuis quelques années maintenant les propriétés des créditeurs dont les prêts sont dits non performants1. Leurs biens sont donc mis en enchère et vendus afin de rembourser leur dette, ou du moins une partie, car bien souvent la vente n’en couvre pas l’intégralité.

Lorsque j’arrive sur Athènes les avocats sont en grève depuis le mois de janvier et bloquent ainsi toute procédure judiciaire, les enchères avec. La grève prend fin le mois dernier, les procédures judiciaires reprennent donc.

Les enchères ont lieu toutes les semaines entre 15h 45 et 17 h au tribunal. Ma référente fait partie du groupe StopAuction qui agit à la Cour de Cassation d’Athènes, c’est donc là que je me rend.

Le mouvement de contestation contre les enchères prend forme en 2013, la même année le groupe est crée et rassemble un petit nombre d’activistes. Ils sont entre 15 et 20 au début du mouvement, aujourd’hui ils sont 5 à venir régulièrement aux réunions, plus ou moins le même nombre aux actions.

Pendant les mois de grève des avocats, durant lesquels les actions au palais de justice sont suspendues, j’essaie d’établir un état des lieux sur le logement en Grèce, et les mouvements militants qui le portent.

Je réalise que les mouvements militants pour le droit au logement ne sont pas ceux que l’on connaît en France. Le logement ayant toujours été une préoccupation d’ordre privé, l’accès à la propriété, un des but principaux (d’où un taux de propriétaires haut, avoisinant les 80%), le mal logement et le sans-abrisme sont perçus comme une honte et une faillite personnelle. Le gouvernement s’étant petit à petit désengagé sur les questions sociales au fils des 20 dernières années, ce champ est repris par des ONG nationales ou internationales diverses à travers des programmes sur du plus ou moins long terme pour soutenir la population dans les difficultés économiques et sociales qu’elle traverse, y compris les problèmes liés au logement.

Pas de politique de logement, pas ou peu d’associations sur le sujet et une conscience de la société civile quasi nulle.

Pourtant, on estime que la Grèce compte 20 000 sans abris. Et ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Quid des personnes mal logées ? Des jeunes actifs ou chômeurs retournés vivre chez leur parents suite à une baisse ou perte de leur revenus ? Quid des ménages vivant dans des conditions indignes, électricité et eau coupées, n’ayant pas droit à l’aide mise en place par le gouvernement en mars dernier ?2 La Grèce connaît un des taux de dépenses liées au logement des plus importants d’Europe. Quid des 30% de prêts non performants ? Le taux élevé de propriétaire, derrière lequel beaucoup de politiques se cachent pour assurer qu’il n’y a pas de problème de logement, masque une réalité bien moins reluisante.

En rencontrant les ONG proposant des programmes d’insertion par le logement aux personnes sans abris, je comprend que le problème n’est pas un manque de logement mais un manque de moyens. La population grecque a de plus en plus de mal à se loger dans des conditions dignes, et à faire face aux coûts que cela implique. Parmi les ménages propriétaires, on estime que 900 000 ménages sont en danger de perdre leur logement pour cause de dette publique ou privée. Pour le moment la loi Castelli de novembre 2015 protège les résidences principales de la plupart des ménages endettés, cette loi est valable jusqu’en 2018, qu’adviendra t-il ensuite ? De plus, les propriétés secondaires en Grèce ne sont pas que des maisons de vacances, mais peuvent également être occupées par des proches, qui eux ne sont protégé-e-s.

Avec la fin de la grève, les groupes militants contre les enchères reprennent du service. Au début du mouvement, en 2013, ils étaient 43 à travers la Grèce, et ils étaient capables de mener des actions collectives aux tribunaux. Aujourd’hui le mouvement est en berne, difficile à dire combien restent actifs.

Lorsque je me rend au tribunal, j’aperçois un groupe d’une dizaine de personnes agitées, courant d’une salle d’audience à l’autre. L’idée est de perturber les jugements afin que ces derniers soient non recevables et donc reportés, autant de fois et de temps qu’il le faut pour que la banque finisse par accepter de renégocier le prêt. Une heure durant, les militant-e-s s’exclament bruyamment, dénonçant le processus honteux qui est en train de se dérouler. Parmi eux, personne n’est affecté-e, du moins directement (ou n’en font pas part ouvertement) par une mise aux enchères. Ce sont des personnes engagées politiquement ou simplement sensibles à la question de l’expropriation. Car l’idée est là : la bataille ne se joue pas sur le droit au logement pour tous et toutes, mais pour conserver le droit à la propriété.

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Haut : Un militant d’EPAM, entouré de militants de divers mouvements, interpelle les notaire -à gauche. Bas : Militants devant la salle d’audience. Droite : Les enchères annoncées pour le 27/07. De droite à gauche : Magistrature / Créditeur / Emprunteur / Descriptif de la propriété (logement, entreprise…) / Dette

La majeure partie des militant-e-s présent-e-s aujourd’hui au tribunal font partie d’EPAM, un parti politique nationaliste et populiste, pas ouvertement d’extrême droite, mais défendant la propriété grecque pour les grec-que-s. Ils viennent toujours avec des pancartes, distribuent des flyers, et paraissent plus axés sur la communication que les autres mouvements présents, un air de campagne électorale.

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Militant d’EPAM, « C’est arrivé en Espagne, maintenant la Grèce. Arrive la résistance. »

D’autres groupes militent également, dans ce tribunal ou ailleurs en Attique et en Grèce, pourtant, mise à part une page facebook informant sur les prochaines mises aux enchères, rien ne les lie réellement les uns aux autres. Différends politiques ou de stratégie en sont la raison. StopAuction ne se positionne pas contre toute enchère de façon automatique, le mouvement considère que dans certains cas, la mise en enchère peut être bénéfique pour la personne concernée, ce qui n’est pas la position d’EPAM. Cependant, sans la présence durant le procès de ces dernières et sans une connaissance du dossier, difficile de savoir ce qu’il en est réellement.

Dans sa lutte le mouvement rencontre donc deux difficultés majeures : la convergence entre les différents mouvements, et la mobilisation des affecté-e-s. De ces deux difficultés découle un risque, celui de la récupération politique par les groupes nationalistes de la question du logement, tel EPAM.

A la cours de Cassation d’Athènes est également présent un groupe issu de la gauche radicale : ANTARSYA, avec lequel je n’ai pas réussi à rentrer en contact et qui n’affiche aucune proposition claire sur leur programme concernant le logement. D’autres groupes font des actions ponctuelles, tel que le mouvement anarchiste Rouvikonas, connu pour ses actions anti-austérité.

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Action du groupe Rouvikonas au tribunal le 21/07. Sur les flyers : « Aucune maison dans les mains des banquiers » / « Arrêt immédiat des enchères »

Mes impressions sont que les mouvements militants concernant le logement sont maintenant diffus et autonomes les uns des autres. Ce qui est très surprenant lorsqu’on le compare au mouvement de solidarité pour les réfugié-e-s, qui réussit à organiser des marches et actions communes. Bien sur l’impact sur la société n’est pas aussi visible. Avec les vacances estivales, tout semble être en suspend. En septembre le gouvernement va présenter sa politique économique pour l’année à venir, sont à craindre une austérité renforcée et une nouvelle attaque sur les propriétés des ménages endettés. La lutte contre les mises en enchères va donc devoir relever les défis de convergence et de mobilisation.


1Prêts non réglés depuis 90 jours ou plus

2Voir article précedent « Tour d’horizon sur la situation du logement en Grèce »