Nietzsche disait « Chaque mot est un préjugé ». Voici l’occasion de réfléchir sur nos représentations autour de la migration.

 

Ça commence généralement comme ça : « Bonjour, je suis Coline, je travaille sur un projet concernant les travailleurs migrants saisonniers dans l’agriculture».

« Travailleurs migrants » : cette expression, en soi, recouvre une variété de situations et d’histoires mais dans nos représentations mentales/sociales, les raccourcis sont rapides… Voici le top 3 des réponses que j’ai pu entendre, car on me laisse rarement le temps d’expliciter ce que j’entends par « migrants »

1) Les institutions répondent souvent : « Ici on ne s’occupe pas des réfugiés, madame ».

Actualité et « crise des réfugiés » obligent, la surmédiatisation des « vagues de migrants » venant trouver refuge en Europe pèse sur nos représentations. Pourtant les mots ont un sens et « réfugiés » et « migrants » ce n’est pas tout à fait pareil. Le réfugié est définit par l’ONU comme « une personne forcée de quitter son pays à cause d’une crise politique majeure : guerre, violences ethniques »[1]. D’ailleurs, dans le droit français, les demandeurs d’asile (première étape du parcours du réfugié en France) n’ont généralement pas l’autorisation de travailler !

2) Quant à certains agriculteurs : « Ah non moi j’ai jamais embauché de migrants, j’emploie un couple d’italiens et des étudiants… »

A chaque époque sa bête noire, il semblerait qu’aujourd’hui les travailleurs espagnols, italiens ou portugais ne soient plus perçus comme des « migrants ». Et pourtant, la migration est simplement le fait de quitter son pays pour un autre. Donc un espagnol, un italien, un américain venus en France pour une durée relativement longue sont des migrants. Mais cette réaction montre que la migration est associée à  la notion de différence culturelle : la religion, la couleur de peau, les modes de vie…

3) Ou alors : « Oulah non on peut plus prendre des sans-papiers, y’a trop de contrôles ».

Et voilà une autre face du « migrant », forcément associé à l’illégalité, à la précarité de la situation et aux contrôles policiers.

Bilan : pour la plupart d’entre nous, les migrants sont immédiatement perçus comme des réfugiés ou des clandestins, originaires de pays « moins développés » (c’est comme ça qu’on dit non ?).

caricature migrant

Des représentations ancrées sur les migrants

Et pourtant quand je parle des « saisonniers migrants », j’évoque certes des maghrébins qui sont venus travailler dans l’agriculture via les contrats de l’Office des Migrations Internationales, des sans-papiers de l’Afrique de l’Ouest qui ont pu être embauchés « au noir » dans les champs, des équatoriens ou boliviens qui arrivent par bus via des entreprises de détachement temporaires espagnoles… Mais je veux aussi parler de ces européens de l’Est qui viennent passer les saisons en France pour pouvoir vivre de leur activité au pays, des espagnols qui enchainent les saisons dans leurs camions en sillonnant la France, des italiens fidèles à un exploitant qui reviennent chaque année pour les vendanges … Bref une multiplicité de situations, de trajectoires qui ne concernent pas uniquement les réfugiés, les sans-papiers et les non-européens. En fait, « le terme générique de migrant est trompeur, comme celui de réfugié. On peut décliner à l’envie la typologie d’une réalité d’abord complexe », en témoigne un rapport d’Amnesty International[2].

Alors je me suis demandée si je ne devrais pas plutôt parler de « travailleurs étrangers » au lieu des « travailleurs migrants ». Un petit détour par le vocabulaire, la sociologie des migrations et la psychologie sociale m’a convaincue du contraire.

Selon la Convention internationale des Nations-Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles, un travailleur migrant est simplement une « personne qui va exercer, exerce ou a exercé une activité rémunérée dans un État dont elle n’est pas ressortissante« .[3]La migration suppose bien une idée de déplacement, de « parcours »[4] sans faire référence à un motif particulier. Et c’est bien ce qui nous interroge dans ce projet : pourquoi des travailleurs font le choix de quitter leur pays pour faire les saisons en France ? Pourquoi les employeurs ont-ils tendance à employer majoritairement des migrants ?

Parce que les représentations sont bien ancrées, Ritimo a publié un « petit guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations« [5] qui rappelle ces quelques chiffres :

  • La majorité des migrations dites « économiques » se font à l’intérieur même des pays ;
  • 60% des migrations s’effectuent entre pays au même niveau de développement (Sud-Sud, Nord-Nord) ;
  • Parmi les motifs de migration, les raisons économiques arrivent en quatrième position derrière les motivations personnelles/familiales, les raisons éducatives/culturelles et les raisons politiques/ethniques. La migration économique concernerait 8% des migrants;
  • 46% des immigrés arrivés en France en 2012 étaient européens (INSEE).

L’occasion de réfléchir un peu sur nos représentations personnelles de la migration….

ritimo guide

Guide édité par RITIMO

[1] CAILLOCE Laure, « Migrant, réfugié : quellques différences, entretien avec Catherie Withol de Wenden », 22.09.2015, CNRS, Le Journal

[2] Cité par TRIPIER M, « Immigration et national, des mots piégés? », paru dans La Revue du projet n°56, avril 2015, publié sur Mediapart le 1er mai 2015 https://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/010515/immigration-et-nation-des-mots-pieges-maryse-tripier

[3] http://www.lacimade.org/faq/qu-est-ce-qu-un-migrant/

[4] Héran F., Parlons immigration en 30 questions, Doc’ en poche, La Documentation française, 2016, 2eme édition.

[5] http://www.ritimo.org/Guide-de-survie-pour-repondre-aux-prejuges-sur-les-migrations