J’ai de l’imagination !

Comme entrée en matière, je conçois que ça paraisse prétentieux.

Tu ne me crois pas ? Bien, je peux le prouver. Aller, je t’invente toute une histoire juste, là, comme ça.

Bon, je fais quel genre ? Pourquoi pas une dystopie ? Ces histoires ont toujours été mes favorites.
« Le meilleur des mondes », « Fahrenheit 451 », « La planète des singes »,… je me suis toujours demandé où les auteurs allaient chercher leur inspiration.

Nous vivons dans le monde le plus sûr et le plus prospère de l’histoire de l’humanité : la durée de vie augmente, la mortalité infantile diminue ; la technologie amène un niveau de confort et de loisir sans précédent et il existe désormais un droit du travail qui garantit à quiconque d’avoir suffisamment d’argent et de temps pour profiter de cette vie.

Alors je me demandais : quelle drogue dure faut-il consommer pour imaginer un monde dans lequel tout fout le camp ?
En fait, c’est assez simple : il suffit de tout prendre à l’envers.

Imaginons un monde dans lequel une partie minoritaire de la population centraliserait toutes les richesses de la planète en laissant mourir l’autre partie dans la plus grande indifférence.

La technologie qui permet le confort et les loisirs est également responsable de la disparition de la biodiversité, du changement climatique global, de l’appauvrissement des sols et de la pollution en général.

Ces technologies sont aux mains de quelques compagnies financières qui détiennent également les médias et les journaux. Grâce à leurs campagnes de lobbying, ces compagnies ont convaincu la population que toutes les actions faites, étaient pour son bien et ainsi ont gagné voix privilégiée auprès des gouvernements, faisant par là même voter des lois qui réduisent l’humain et la planète à l’état de simples ressources exploitables par l’industrie. Dans ce monde, la nature n’a plus le droit d’être, elle doit servir sous peine de disparaître.

Les gouvernements créent la peur dans le cœur de leurs concitoyens puis l’utilisent pour instaurer des mesures toujours plus sécuritaires et liberticides. Ce système est si bien pensé que ceux qui en sont les perdants en deviennent les premiers défenseurs. Dès qu’une voix dissonante se fait entendre, la masse aura vite fait de trouver des sobriquets ridicules pour décrédibiliser sa divergence et stopper net toute velléité de changement.

Le credo de ce monde est : mieux vaut un mal sûr qu’un bien possible.

 

Cependant, et malgré la difficulté de proposer une vision alternative à ce système de marketing et de propagande, certaines personnes se sont réunies pour défendre un modèle de vie qui soit respectueux de l’humain (quelle que soit sa situation géographique), de la terre et de la biodiversité. Cette organisation propose une vision paysanne de l’agriculture qui avait presque disparu lorsque les lobbies ont convaincu le monde qu’il fallait industrialiser le processus de production de nourriture afin que l’humanité n’ait plus jamais faim.

Ainsi, les exploitations agricoles ont diminué en nombre et grossi en taille et ont augmenté leur production grâce à la mécanisation, les fertilisants, les pesticides et grâce à des semences travaillées en laboratoire pour donner une récolte abondante.

Fort de ce rendement incroyable, les Etats ont décidé que seules les semences industrielles devraient avoir le droit d’être commercialisées et ils ont alors créé les catalogues officiels de variétés.

Ces catalogues nationaux sont une liste des variétés de semences dont seules celles inscrites ont le droit d’être vendues ou échangées. Pour être inscrites, les variétés doivent respecter quelques critères :

  • Tout d’abord, les variétés doivent répondre au triple critère D – H – S
    • Distinction : une nouvelle variété inscrite doit être significativement distincte des autres déjà inscrites ou présenter une amélioration nette d’une variété inscrite.
    • Homogénéité : la lignée de la variété est pure. Si on faisait une analogie avec les humains, on parlerait de consanguinité.
    • Stable : la variété reproduit à chaque utilisation les mêmes caractéristiques. Attention, on parle bien des caractéristiques d’une variété et non de celles de la production de cette variété. Parce que les semences vendues par les industriels sont des « hybrides F1 », c’est-à-dire que la première année vous allez les semer et avec la bonne dose de fertilisant et de pesticides, vous aurez la récolte miracle. Mais s’il vous venait l’idée de laisser une partie de la production pour en tirer les semences et de les ressemer l’année suivante, votre récolte serait ridicule car la semence aura complètement dégénéré et ne présentera plus aucune des caractéristiques de la première génération.
      C’est un petit stratagème mis en place par l’industrie pour s’assurer qu’aucun agriculteur ne développera l’idée saugrenue de faire des économies en sautant l’étape « achat de mes semences auprès de mon obtenteur agréé ».
  • Enfin le dernier critère pour inscrire sa variété au catalogue, est de payer. Payer cher et longtemps puisque en plus du coût d’inscription, il faut continuer à débourser pour maintenir la variété au catalogue pendant 20 ans (après quoi elle tombe dans le domaine public).

Ce ne serait pas juste pour le semencier s’il ne devait que payer. En parallèle au catalogue, il a été mis en place le Certificat d’Obtention Végétal (ou COV de son petit nom car nous sommes dans un monde dans lequel il faut aller vite) qui est un droit de propriété intellectuel.

Cela veut dire que toute personne qui utilisera les semences liées à un COV devra payer des royalties à son propriétaire sauf si le but est la sélection et le croisement en vue de la création d’une nouvelle variété, en quel cas, la semence est libre.

Mais les compagnies ont réfléchi et se sont demandé s’il n’était pas possible d’aller plus loin.

Elles trouvèrent une réponse dans les brevets. Un brevet est également un droit de propriété, au même titre que le COV à la différence qu’il n’est pas permis d’utiliser la variété brevetée pour quelque usage que ce soit, même en vue de la création d’une nouvelle variété, sans rémunérer le détenteur du brevet.

Il y a une astuce, car normalement un brevet ne peut être déposé que sur une invention et non sur une découverte ou une observation d’un phénomène naturel. L’invention doit également contenir un caractère innovant et technique, répondant à un problème par une solution qui ne pourrait pas sembler évidente à quelqu’un qui connait le domaine.

Or le vivant n’est qu’observation. Lorsque vous voyez qu’une plante résiste à la sécheresse ou à un prédateur, vous n’inventez rien, vous le constatez. Ce n’est donc pas possible de breveter cette spécificité. Sauf si vous pouvez faire en sorte que ladite spécificité, qui arrive au hasard dans la nature, devienne propre au produit. Dans ce cas, vous ne brevetez pas la variété mais le caractère spécifique de cette variété. Ceci a été rendu possible par les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM).

Grâce au développement des sciences biochimiques, il est devenu réalisable de séquencer l’ADN et de déterminer la fonction d’un gène. Imaginez : vous séquencez un génome responsable de la résistance à une maladie, à un pesticide, à un insecte ou un génome responsable de la couleur ou du goût et vous l’introduisez dans une variété de semences. Vous pouvez alors breveter cette variété sur base des spécificités du génome introduit. Cette séquence ADN vous appartient alors et tout organisme présentant la même séquence vous appartient également (avec une marge d’erreur de l’ordre des 30%) même si elle est retrouvée dans une toute autre variété que celle pour laquelle vous aviez déposé le brevet à la base.

Le brevet est une vraie aubaine pour les compagnies car il permet de sécuriser toute la chaine de vente. Bien sûr les campagnes de lobbying ne parlent jamais de l’aspect pécuniaire , elles préfèrent mettre en avant le progrès humain, la sécurité alimentaire, l’abondance, … mais dans les faits, la mainmise des compagnies sur le vivant engendre une érosion de la biodiversité et emprisonne les agriculteurs dans un étau très particulier : en amont ils devraient acheter chaque année leurs semences auprès des compagnies et leur payer les royalties associées sans plus jamais avoir la possibilité de récupérer les semences dans les champs et en aval, ils devraient débourser pour les pesticides, fongicides, engrais, … absolument nécessaires aux semences OGM. Tout cela a un double coût, financier et environnemental car tous les produits vaporisés dans les champs s’infiltrent dans le sol, le rendant de moins en moins fertile et vont se déverser dans les nappes phréatiques, contaminant l’eau qui sera bue par la population.

Ironiquement ce modèle est soutenu par une partie des citoyens, trop contents d’économiser au super marché ce qu’ils dépenseront plus tard chez le docteur.

Dans la région de l’univers que je crée, les brevets sur le vivant et les OGM sont toujours interdits. Mais une autre région plus à l’ouest les a déjà mis en pratique et notre région est en train de discuter de la possibilité de revoir sa législation pour fusionner les COV et les brevets et permettre la commercialisation des produits issus des nouvelles techniques OGM sans qu’il soit indiqué qu’ils en font partie. Ces nouveaux OGM présentent les mêmes problèmes que les anciens mais ils sont appelés différemment (New Breeding Technology) et c’est suffisant pour faire entrer le cheval au cœur de la cité de Troie.

Dans toute bonne histoire, il faut des opposants, des gens qui refusent de se plier à un système et luttent pour rendre leur monde plus juste et respectueux du vivant. Dans mon histoire, ce groupe est celui introduit plus haut qui, face à une nouvelle attaque des compagnies et des Etats, se réunissait deux semaines plus tôt pour décider d’une position commune à présenter aux Etats contre les brevets et les nouveaux OGM.

Une position claire et unie qui fait la part belle au droit de pratiquer une agriculture qui ne soit pas destructrice et qui permette aux paysans de développer la diversité dans leurs champs en faisant co-évoluer leurs semences avec leur environnement ; la part belle au droit de consommer des produits sains. Une position qui montre que la nature ne doit pas devenir l’esclave de quelques compagnies omnipotentes pour qui l’environnement n’est que billets en devenir.

Bien sûr, ce n’est pas évident et le déséquilibre des moyens engagés par les compagnies et le groupe fait clairement pencher la balance dans un camp mais heureusement, je peux me dire :

« Ouf ! C’est une fiction, tout est dans ma tête. »