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Aujourd’hui, comme tous les mardis matin, je me rends au petit-déjeuner anti-expulsion organisé tous les jours dans le quartier de San Siro par le Comité des Habitants du quartier. San Siro est un quartier populaire de Milan constitué de nombreux logements sociaux. Avec la crise du logement qui touche actuellement de plein fouet la ville (hausse en flèche des loyers et peu de logements disponibles) de nombreux ménages n’ont pas d’autre choix que d’occuper l’un des nombreux logement laissé vide par ses propriétaires, tant privés que public ou semi-public, avec l’objectif peu dissimulé d’alimenter la spéculation immobilière.

Ce matin donc, me voilà prête à 8h du matin pour rejoindre les habitants du quartier. Tout est calme ; peu de personnes sont présentes aujourd’hui, tous les militants étant occupés à préparer le festival célébrant les 15 ans d’occupation du Centre Social Cantiere. Une petite table est installée dans la cour d’un bâtiment dont l’un des appartements vacants est occupé depuis une semaine par une famille péruvienne expulsée quelques jours avant. Thé et croissants sont à disposition des militants matinaux, quelques voisins s’arrêtent pour discuter, certains en profitent pour se plaindre de différents désagréments qu’ils connaissent dans le quartier… On discute, les tensions retombe autour d’un thé, la voisine en mal d’oreille disponible retourne vaquer à ses occupations. Nous ne sommes désormais plus que cinq, engourdis par le froid et la petite pluie fine qui étreint Milan depuis hier.

Soudain, la torpeur s’évanouit. Le téléphone du Comité sonne : une expulsion est en cours dans le quartier voisin de Giambellino, un quartier populaire dont la réputation n’est pas des meilleure dans la ville (« le Bronx de Milan », me dit-on). Moment de flottement : que faire, y aller, malgré le peu de militants disponible, ou bien rester ici au cas où les policiers débarqueraient pour déloger la famille péruvienne ? D’autres détails nous parviennent au compte-gouttes : il s’agit d’une famille composée d’une mère et de ses trois enfants, dont une mineure, et un garçon autiste de 19 ans. Peu de gens sont présents pour les soutenir. Nous décidons finalement de nous mettre en route, au regard du drame qui semble se jouer à quelques pâtés de maisons de là. Deux banderoles, un mégaphone, et hop ! en voiture, direction Giambellino.

A l’arrivée, je découvre avec stupeur l’ampleur des forces de polices déployées pour mettre à la rue ces quatre personnes : trois camions de gendarmes mobiles et deux voitures de policiers sont garées à proximité, et une barrière de policiers bloquent l’accès à la cour du bâtiment où à lieu l’expulsion.

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Les effets personnels de la famille expulsée. Derrière la grille, l’appartement continue d’être vidé…

Les services sociaux sont également présents afin de prendre en charge la jeune fille de 17 ans jusqu’à sa majorité dans quelques mois (mais que deviendra-t-elle après? pas de réponse…) ainsi que le jeune garçon autiste. L’aînée, majeure, et la mère de famille, seront placées dans deux autres « communitat » (communautés dont le fonctionnement me demeure encore flou). Ce matin, sur ce trottoir mouillé de pluie, dans la grisaille de ce mardi de mai, j’assiste, impuissante et le cœur lourd, au déchirement brutal d’une famille, tandis que derrière la grille l’expulsion continue, les ouvriers embauchés pour ce triste travail jetant meubles et effets personnels en tas dans la cour. La jeune fille, les yeux rougis par les larmes, en t-shirt malgré le froid (les expulsions sont en général très matinales et ne laissent guère de temps aux familles pour se préparer) s’agite, va chercher son chat, parle à ses copines, perdue. Dans quatre mois, elle sera majeure, et la « communitat » où elle va être emmenée, réservée aux mineurs, ne pourra plus la prendre en charge. Elle ne sait pas où elle ira après.

Sentiment d’impuissance également ressenti par les militants du Comité des habitants de San Siro, et celui propre au quartier de Giambellino, très peu nombreux ce matin. Ces derniers temps, après plusieurs mois d’intense activité de résistances, le rapport de force semble avoir tourné en faveur du Comité. Ses membres sont épargnés par les expulsions depuis plusieurs mois. Les mesures touchent désormais en grande majorité les familles les plus « difficiles » à défendre du fait d’un cumul de problématiques économiques, sociales, administrative, comme c’était le cas ce matin. Selon Gonzalo, militant de longue date au sein du Comité, ce n’est pas un hasard si la municipalité s’en prend en priorité à ce type de ménages, mais une tentative délibérée d’étouffer la contestation en mettant le Comité face à des situations embarrassantes et souvent difficiles à défendre.

Malgré tout, la mobilisation tient. Demain matin, le petit-déjeuner aura de nouveau lieu dans le quartier San Siro, en espérant cette fois que nous n’aurons pas à assister à ce genre de scène trop fréquente à Milan…