Contexte et premières réflexions sur la mission à Milan

La maison est une nécessité incontournable, elle nous permet de nous construire une intimité et elle nous offre la stabilité indispensable pour pouvoir rêver et projeter un avenir. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme décrit le logement comme l’un des éléments du droit à un niveau de vie suffisant, tout comme l’alimentation, les services sanitaires ou l’habillement. Néanmoins, ce droit inaliénable ne semble pas être une priorité des agendas politiques actuels de certains gouvernements. Sans devoir être des analystes politiques ou des chercheurs expérimentés, nous pouvons nous en rendre compte simplement en nous promenant dans nos villes, où toujours plus de personnes ne trouvent d’autre abri que la rue.

Le droit au logement en Italie

Quant à l’Italie, elle est un beau pays, riche en culture, paysages et produits de qualité, mais elle n’est certes pas connue pour ses politiques sociales. Il suffit de penser que c’est l’un des rares pays européens qui ne prévoit pas un revenu minimum garanti pour ses habitants. D’autant moins, elle est dotée d’une aide sociale au logement. La contribution que la Caisse d’Allocation Familiale donne en France pour soutenir la population dans le paiement du loyer, bien qu’elle ne soit pas toujours suffisante ou immédiate à obtenir, en Italie elle n’existe pas et ne semble pas être proche d’exister. Le droit à un logement décent et à un prix raisonnable n’est pas à la portée de tous. En réfléchissant à ce propos, pour ma part, je ne suis pas contraire de manière générale à la propriété privée ni à un marché immobilier qui prévoit de la rentabilité et du profit, mais à condition que ces derniers ne constituent que le surplus d’une situation qui garantie à la base des possibilités et des ressources égales pour tous.

Concernant les politiques italiennes pour le logement, il faut savoir qu’elles prennent une direction assez positive après la période du déclenchement des grandes luttes étudiantes et populaires des années 60 et 70 avec la revitalisation du logement social et l’introduction en 1978 des paramètres pour la définition des loyers. Pourtant, ce virage est interrompu en 1998 par l’approbation de la loi 431/98 sur les locations, loi très protectrice pour les droits des propriétaires, qui abolit les paramètres introduits précédemment, et libéralise les loyers en laissant au marché la fonction de les modeler. A partir de ce moment, la direction des politiques du logement n’a jamais réellement changé. Pendant les vingt dernières années plusieurs modifications ont été apportées, pourtant elles ont toujours eu la fonction de colmater le problème du logement plutôt que de le résoudre. La loi du 2014 nommée « Piano Casa » représente la dernière nouveauté en date. Comme tout texte de loi, son langage est très technique et n’est pas facilement accessible, pourtant plusieurs groupes militants issus de différentes régions italiennes l’ont étudié et lourdement critiqué en y reconnaissant « un jeu politique visant à favoriser encore une fois les logiques du bétonnage et de la spéculation au détriment de qui est obligé à vivre dans la rue, sans une maison ni un travail » (Comité Abitare nella Crisi). En particulier, l’article 5 de la loi a été le sujet d’une farouche critique des mouvements sociaux pour le droit au logement. Ainsi, cet article criminalise l’occupation abusive des logements vides en prévoyant l’impossibilité pour les occupants de stipuler les contrats de fourniture d’eau, électricité et gaz et l’effacement de leurs droits de résidence, entre autres la possibilité d’inscrire les enfants à l’école ou de profiter du service sanitaire public.

« Habiter » à Milan

Dans ce sens, Milan ne fait pas exception. Au contraire, il représente un cas emblématique des conséquences que les rythmes d’une métropole visant à s’affirmer sur la scène internationale peuvent engendrer en termes de ghettoïsation, précarité et injustice. Depuis sa première urbanisation au début des années 1900, Milan a toujours fait face aux importants changements sociétaux et économiques en se dotant de plans urbanistiques qui tendent à favoriser un marché immobilier particulièrement agressif. En particulier, la période de l’après deuxième guerre mondiale marque sensiblement l’histoire urbanistique et sociale de la ville. La nécessité de reconstruction et le boom économique la conduisent dans une phase de croissance et expansion impétueuses et petit à petit Milan commence à se rendre compte d’être le centre d’un territoire beaucoup plus vaste qui supère ses limites administratifs. Au même temps, une importante vague migratoire en provenance du sud de la péninsule intéresse la ville et déclenche la naissance des grands quartiers populaires en périphérie, où le prix du sol était moins élevé. C’est justement dans cette dynamique que le quartier San Siro, terrain de ma mission des prochains mois, est finalisé et prend la forme avec laquelle on le connait aujourd’hui.

A Milan, nous nous retrouvons aujourd’hui face à une ville complexe, aux confins évanescents et aux rythmes rapides. Il s’agit aussi d’une ville où on compte environ 8000 logements invendus, presque le même nombre d’habitants en quête d’une maison, 10 000 logements populaires vides et plus de 23 000 familles dans les listes d’attente.
Face à cela, de plus en plus les quartiers populaires font l’objet de l’action collective de ses habitants qui, soutenus et coordonnées par des groupes militants citoyens, semblent développer la capacité de se regrouper, en concevant des réponses créatives et de secours mutuel. Dans ce sens, il me parait alors pertinent de considérer l’habiter non pas comme un simple positionnement de l’individu dans l’espace, mais plutôt comme une relation que les personnes entretiennent avec ce-même espace. Il s’agit en effet d’un concept qui est rempli de relations avec l’espace intime – le chez soi – mais aussi avec les espaces extérieurs et toutes le personnes qui les traversent. A ce propos, Je crois qu’il est indispensable de prendre en considération cette interdépendance entre les individus et de souligner l’importance des pratiques collectives de l’habiter. C’est dans le même sens, je crois, que le DAL en France agit volontairement de façon collective en soutenant l’efficacité de bouger ensemble pour revendiquer aussi des situations individuelles.

Le centre social autogéré « Cantiere »

C’est justement le DAL, avec ses 26 ans de lutte et d’expérience, l’association d’envoi de ma mission. Du coté italien, je serai par contre accueillie par le centre social autogéré « Cantiere » qui depuis 2001 anime la vie du quartier San Siro à Milan. Depuis sa naissance, le Cantiere s’est ouvert à la population à travers des salles pour étudier, l’accès internet gratuit, des soirées musicales alternatives et à bas prix. Il a été espace de confrontation et de construction politique et il a développé des activités importantes de lutte pour le quartier. En 2009, le Comité Habitants San Siro a été créé pour défendre les familles des expulsions, dénoncer la situation des logements populaires milanais, mais aussi pour organiser des événements culturels et d’animation pour et par les habitants du quartier. Finalement, en 2013 un nouveau espace a été occupé pour en faire un « Spazio di Mutuo Soccorso » (SMS – Espace de Secours Mutuel) qui s’est donné comme but celui de donner collectivement de réponses aux différents besoins de la population. Un gymnasium populaire, un marché du troc, une université populaire et plusieurs laboratoires ne sont que certaines des activités organisées aux SMS.

Comment le Cantiere s’est-il légitimé auprès de la population du quartier? Comment il était vécu par les habitants au début de son activité et comment l’est-il aujourd’hui? Par rapport aux relations entre le groupe militant et la population, peut-on parler de pratiques de démocratie participative? Quels sont les impacts de la présence de ce Centre sur le quartier? Quels sont les liens que le Cantiere entretient avec les autres réalités militantes de la ville et du pays? Et avec les institutions locales? Dans quelle mesure et comment la lutte menée par le Cantiere peut et veut avoir un impact sur les politiques citoyennes?

Voici certaines des questions qui guideront mon expérience milanaise jusqu’en Aout et qui nourriront ma réflexion à propos de la lutte et de la participation comme pratiques d’un habiter qui est aussi appropriation de l’espace et résistance aux règles et aux rythmes de la métropole.

Prochainement: Le droit au logement en Europe et la Coalition Européenne du Droit au Logement


Références:

Collectif OffTopic ; « Home sweet Home »; Pieghevole n.4; 2016
Garda E.; Notes du cours « Forme di urbanizzazione e modelli di sviluppo: lo sviluppo di Milano »; 2015
Lambert P. ; « Le droit de l’homme à un logement décent »; Revue trimestrielle de droit de l’homme; 2001

www.offtopiclab.org

www.abitarenellacrisi.org

www.laboratoriodiquartiere.it

www.cantiere.org