Après avoir effectué un stage au Gisti (Groupe d’Information et de Soutien des immigrés) à Paris, Alizée part avec Migreurop à Lampedusa, en Italie, pour aborder la question du droit des étrangers. Comme à Evros, sur la frontière gréco-turque où elle s’est rendue en novembre, elle devra mener des investigations de terrain sur les conséquences de la rigueur des politiques migratoires européennes.

1. Alizée, tu pars à Lampedusa pour la promotion des droits des migrant.e.s, comment en es-tu venue à cet engagement ?

En 2008, lors d’une manifestation pour la régularisation de sans-papiers à Bruxelles, la police arrêta une centaine de personnes. Parmi elles, des étudiant.e.s, relâché.e.s quelques heures plus tard. Quant aux personnes sans-papiers, on apprit très vite qu’ils/elles seraient acheminé.e.s vers un centre fermé avant d’être expulsé.e.s vers leur pays d’origine. Jusqu’alors je suivais de loin le mouvement et c’est véritablement à partir de cet évènement que je me suis intéressée à cette question, interloquée par les pratiques des autorités.

2. Tu agis avec Migreurop, comment as tu découvert ce réseau ?

J’ai intégré un master en Relations Internationales et j’ai été amenée à étudier les politiques européennes en matière d’immigration et d’asile ainsi que la gestion des flux migratoires entendu comme un « enjeu mondial ». Cette étude tranchait complétement avec mon approche initiale de la question, plus pragmatique et personnellle.
En octobre 2010, le ministre de l’intérieur grec annonçait la construction d’un mur sur la frontière gréco-turque pour « protéger » sa frontière de l’arrivée de migrant.e.s. Un mois auparavant, l’Europe célébrait les vingt ans de la chute du mur de Berlin. Ce paradoxe m’a interpellée et j’ai choisi d’approfondir cette question lors de l’écriture de mon mémoire. J’ai cherché à comprendre comment expliquer la construction de murs, cette politique de séparation matérielle à notre époque et en Europe. J’ai étudié le contexte dans lequel les murs autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ont été construits et le projet de barrière sur la frontière gréco-turque où je me suis rendue pour une étude de terrain.
J’ai découvert Migreurop à travers la lecture de ses rapports ainsi que les publications de ses membres. L’approche du réseau m’a particulièrement plu. Je partageais déjà certaines de ses idées, notamment leur condamnation des politiques d’enfermement de personnes n’ayant commis aucun délit.
Ma réflexion sur ce sujet a également évolué lors de mon stage au Gisti (http://www.gisti.org/index.php). J’ai suivi de près l’élaboration d’une plainte visant les militaires français pour non assistance à personne en danger et ayant causé la mort de 63 réfugié.e.sdans leur tentative de traversée de la Méditerranée, en pleine insurrection libyenne, pour rejoindre les côtes italiennes.
Depuis je m’intéresse particulièrement à la question des « Boats people » en Méditerranée -qui embarquent sur des bateaux de fortune pour rejoindre les côtes européennes- surprise, de nouveau, des conséquences désastreuses de nos politiques migratoires et de l’impunité dans laquelle meurent des milliers de personnes chaque année. La rigueur des politiques migratoire est justifiée par le besoin de se protéger de l’immigré -figure de tous les maux- malgré les conséquences désastreuses en terme de vies humaines perdues. Face à l’indifférence générale, il est utile de rappeler que l’article 13 de la Convention Universelle des Droits de l’Homme annonce que toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État.

3. Lampedusa est une île peu connue, t’y es tu déjà rendue et peux-tu nous parler de la mission pour laquelle tu pars?

Je n’y ai encore jamais été, il faut dire que l’île est plutôt isolée… Elle est en réalité plus proche des côtes tunisiennes que de celles de la Sicile et de l’Italie. L’île se trouve en plein milieu de la Méditerranée, elle est minuscule, seulement 20 km2. Les habitants vivent de la pêche et du tourisme l’été.
Lampedusa est bien connue dans le reste de l’Europe pour l’arrivée des Boats people au cours de l’année 2011. Ma mission consiste en effet à faire un état des lieux de la situation sur l’île en ce qui concerne les débarquements, mais il s’agit également d’identifier les différents acteurs, leurs champs d’actions et leurs interactions dans la gestion de cette question sur l’île et dans le canal de Sicile plus largement.
Je pense qu’il est essentiel d’avoir une bonne compréhension de la situation pour informer et déconstruire certains discours véhiculés dans les media autour de la nécessaire sécurisation des frontières extérieures de l’Europe et du besoin de se protéger de nos pays voisins.

Au delà de la mission pour laquelle je pars, je suis très curieuse de découvrir l’organisation de la vie sur l’île et d’y rencontrer les autochtones. Je connais la Sicile où je suis allée il y a deux ans et des régions du Sud de l’Italie (Campagne, Pouilles..). J’ai déjà pu remarquer et ressentir le décalage entre le Nord et le Sud du pays, les différences structurelles et au delà, certaines caractéristiques bien particulières qui éloignent cette région de l’uniformisation des métropoles européennes et qui préservent au contraire, les traditions et un mode de vie authentique.

4. Pour mieux te connaître, peux tu nous citer une œuvre (littéraire, cinéma..) qui t’a particulièrement marquée ?

Lampedusa est inscrite dans l’imaginaire collectif comme la porte d’entrée des migrant.e.s dans l’Union européenne et a été l’objet de manipulations médiatique et politiques. Pourtant, avant tout Lampedusa est une île de pêcheurs magnifique. Il y a trois ou quatre ans j’ai découvert Respiro un film italien d’Emanuele Crialese. Le réalisateur narre d’une manière très poétique et libre la vie d’une mère de famille, à Lampedusa, étouffée par la condition sociale de la femme dans les années 60 et en lutte contre les pressions de sa communauté. Le film est lyrique, subtil et laisse totalement rêveur.
Emanuele Crialese a réalisé un troisième film, sorti en salle en 2011, Terra Ferma. Lampedusa est de nouveau la protagoniste du film, qui met en scène l’arrivée de Boats people sur l’île et leur accueil par la population locale.
Pour terminer, cette citation, « la révolte est un réflexe de l’homme vivant » de René Magritte, peintre surréaliste belge, que j’apprécie et qui a marqué mes années d’étude à Bruxelles.