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« Les Marocains » – Leïla Alaoui

 

 

Est ce que c’est l’interminable et écœurant débat qui agitent les politiques français sur la déchéance de nationalité qui me fait me questionner sur ma bi-nationalité en ce moment? Probablement cela a-t-il une influence. Ces interrogations ont toujours été vives en moi, ce n’est pas un hasard si mes pas me ramènent encore et toujours au Maroc. Toujours est-il que, depuis peu, les discussions que j’ai avec des amis marocains ou étrangers ici à Rabat, l’évolution de ma mission et le recul que je tente de prendre sur mon utilité et ma fonction au sein du FMAS et pour l’AITEC, me posent de nombreuses questions quant à mon identité ou plutôt, mes identités.

Depuis Rabat, je regarde de loin l’ignominie de ces questions de déchéance de nationalité qui n’ont, selon moi, pas l’ombre d’un intérêt et qui, de plus, servent une idéologie bien sombre. Je constate la différence de traitement médiatique et sur les réseaux sociaux du décès de la jeune et talentueuse photographe Leïla Alaoui à Ouagadougou des suites des blessures qu’elle a subie dans l’attentat du 15 Janvier. Française et Marocaine, un seul de ses deux pays est intervenu au Burkina Faso pour tenter que des soins de qualité lui soient prodigués, un seul de ses deux pays lui rend hommage et pleure son départ, un seul de ses deux pays a offert de rapatrier son corps. Dans les médias français, sa double-nationalité est mentionnée, systématiquement, « la Franco-marocaine de 33 ans… ». Je ne peux m’empêcher d’y voir quelque chose qui me dérange. Être Franco-marocaine c’est être un petit peu moins Française que juste Française ?

La volonté de hiérarchisation de l’appartenance à un État qui émerge en ce moment me donne des vertiges.

 

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Leïla Alaoui (collaboration avec le GADEM)

 

Je suis Française. Je suis Marocaine.

Je me sens Française. Je suis née en France, j’y ai grandi, j’y ai toujours vécu, j’ai reçu l’enseignement de l’école de la République, je connais les codes, le fonctionnement de sa société même si elle me laisse parfois perplexe et j’y ai construit mon esprit critique.

Au Maroc, je suis la fille du pays, leur bent bladi. « Ton père est marocain, alors tu es marocaine! ». C’est aussi simple que ça ? Et bien oui, il faut croire. Je me sens Marocaine, je respecte et je partage de nombreuses valeurs très fortes ici, j’admire la bienveillance de ce peuple et je me retrouve dans l’empathie qui habite la plupart des Marocains. Je n’ai cependant que peu vécu ici. Et à chaque expérience, à chaque nouvelle ville que j’habite, à chaque nouvelle rencontre, c’est un nouveau pays que je découvre, un nouveau visage. La complexité et la diversité de la société marocaine me laissent sans voix.

Les multiples facettes de ce pays qui est le mien me fascinent. Souvent, on entend les marocains évoquer la « schizophrénie » de cette société. Je ne saurais me prononcer là-dessus. J’observe, j’écoute, je tente d’appréhender au mieux, le cœur ouvert. En cela, peut-être que parfois, je me positionne en dehors.

Cette mission, ce volontariat, je l’ai construit, pensé, comme une participation au militantisme marocain. Nombreuses ont été les réflexions que je me suis posées, notamment quant à mon positionnement en tant que volontaire au sein des structures associatives que j’ai intégré, quant au rôle qui devait être le mien, les objectifs ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.

J’ai estimé qu’il n’est pas de mon ressort de parler de ma façon de concevoir les mobilisations ou de de tenter de diffuser les concepts ou les prismes d’analyse à la question climatique auxquels j’adhère. Car les notions que j’utilise et qui me parlent sont par exemple celle de Justice Climatique. Cependant, construit loin de l’Afrique, ce concept et les nouvelles formes de mobilisations et de convergences entre mouvements qui en naissent n’ont que peu cours ici. Ni bien, ni mal, ce constat est factuel.

Mon rôle, celui que j’ai choisi de me donner est celui d’accompagner, avec les moyens dont je dispose, les marocains dans la construction des mobilisations qu’ils désirent mettre en place en marge de la COP22. Mobilisations pensées par eux, pensées au sein de leur histoire, celle de leur militantisme et modelée par le contexte de ce pays. Mais c’est aussi celui de comprendre les mobilisations, ce qui les motivent et la façon dont elles se mettent en place; c’est appréhender la façon dont la société civile se mobilise autour des questions environnementales, climatiques et sociales, la façon dont elle lutte. Mais c’est également faire des liens, créer des partenariats, tenter de participer à rendre les voix contestataires audibles. Je me demande alors si la conception que j’ai de ma mission n’est pas l’une des raisons pour laquelle je me suis placée, de fait, en tant que militante Française en mission au Maroc.

 

"Les Marocains" - Leïla Alaoui

« Les Marocains » – Leïla Alaoui

 

Dans les nombreuses discussions que j’ai avec mes amis, que cela soit en matière de politique, de société, de religion, lorsque l’on me demande mon avis, j’hésite. Moi qui n’ai jamais été réfractaire à dire haut et fort ce que je pense, en particulier lorsque cela m’indigne, je me retrouve coite lorsque l’on me demande mon avis. Je ne sais plus ce que je suis en droit d’exprimer comme opinion et si ma légitimité est telle que je puisse m’autoriser à en avoir une. Légitime ou pas, j’en ai une pourtant. Mais alors, qu’en faire ?

Chaque jour, je me nourris des rencontres que je fais, j’apprends des discussions que j’ai, j’admire la finesse d’analyse et le recul qu’entretient la société Marocaine sur elle-même. Peut-être que maintenant est-ce le moment de simplement me détacher de cette obsession de poursuite de légitimité. Peut-être que maintenant il faut juste accepter que l’on est où l’on est et que chacun a la légitimité de vivre des choses, de les ressentir et de se baser sur l’ensemble de ce vécu pour se construire une opinion. Elle se modèle au contact des valeurs, du passé, de la subjectivité de chacun.

Mon individualité se nourrit de la pluralité de mes origines.

J’en suis riche et fière.