4 mois déjà…

4 mois déjà que je suis là, 4 mois que je suis arrivée à Milan sans trop savoir où je débarquais, la seule certitude que j’avais était que j’allais contribuer à une lutte locale pour le droit au logement dans un quartier populaire de la zone Ouest de la ville.

Je me rappelle aujourd’hui parfaitement mon arrivée :  12H55 l’avion atterrit à Milano Linate sous un ciel un peu gris. Je sors de la zone de bagages pour me retrouver dans un véritable non-lieu que représentent tous les aéroports et, perdue je suis la seule consigne qui m’avait été donnée par mail : attendre quoi qu’il arrive R. !

Elle me reconnait tout de suite, vêtue de couleurs et le sourire aux lèvres, elle me tend alors  sa main douce et énergique pour se présenter et me souhaiter la bienvenue… Nous grimpons dans la petite Fiat bleue pour rejoindre directement le « Spazio di Mutuo Soccorso » dit le SMS où je vivrai pendant les mois à venir. Pendant le trajet, je regarde la ville, nouvelle, inconnue pendant que R. me raconte l’histoire des différents endroits et réalités auxquelles je vais me confronter. Je souris, Paris me semble loin déjà, et confiante je me sens prête à plonger dans une nouvelle aventure.

Nous arrivons donc dans le lieu de vie appelé « Espace de Secours Mutuel » : 5 bâtiments occupés par un groupe de jeunes ne tolérant pas de rester à contempler ce patrimoine immobilier à l’abandon depuis des années, vide et croulant alors même que des milliers de personnes sont dans des situations de logement désastreuses et urgentes. Ce lieu, en place depuis deux ans est devenu le support physique à de nombreuses activités qui reflètent la volonté politique d’affirmer que d’autres modes d’Habiter sont possibles, que d’autres mondes sont possibles et, qu’il est possible de construire des territoires résistants au modèle dominant.

Aujourd’hui le SMS, selon les concepts de secours mutuel, de solidarité, de métissage, d’entraide, mais surtout d’Autogestion, d’Auto production et d’Auto récupération a réussi à loger une centaine de personnes et à mettre en place un projet alternatif pensé depuis des années. Nous  y trouvons alors : un marché solidaire de l’utilisé et de l’échange, une université populaire, une salle de sport populaire, un espace pour les enfants, une Amap et des ateliers de tout genre : artistique, urbanistique, de sérigraphie, de bière artisanale, de cosmétiques…

Nous arrivons donc avec R. à la maison où tout le monde nous attend pour un déjeuner collectif joyeux et chaleureux dans la petite cuisine bicolore. Au menu : la Pasta !! et déjà je retrouve les saveurs d’une Italie qui me manquait…

Nous faisons connaissance : les colloques, M. des Pouilles, A. de Florence et C. du Pérou, également présents deux amis sud-américains vivant quelques étages plus bas.. Nous discutons pendant une bonne partie de l’après midi, cafés, cigarettes et sourires accompagnent cette première immersion. Puis, mon guide R. avec M. qui deviendra par la suite un autre point de référence dans mon aventure milanaise m’emmène découvrir le centre ville. Un autre monde, les boutiques de la rue Dante, le Duomo gigantesque chef d’œuvre gothique resplendissant sous les pas des touristes, le cèlèbre théâtre de la Scala et la place Verdi, la cour carrée de l’université des beaux arts, les gens coquets et âpretés en ce dimanche soir 1er Février.

Pour diner, le risotto mit du temps à cuire mais nous n’étions pas pressées, et la discussion continua avant que mon esprit encore un peu français tombe de sommeil pour une nuit sereine dans la grande chambre colorée et lumineuse au 18 Piazza Stuparich .

Les semaines et mois qui suivirent ont été riches de mille rencontres quotidiennes, d’aventures plus absurdes et impensables les unes que les autres, de luttes unies, menées par des jeunes, contre un modèle imposé qui ne convient pas. Ces mois ont été  rythmés par les rassemblements matinaux anti expulsions, par les assemblées collectives, par des repas communs, des grillades au soleil, des projets en action, des manifestations sonores et engagées,  des rencontres hebdomadaires avec les habitants du quartier, et par un réel quotidien alternatif au cœur du SMS…

Quand je rentre à la maison, après avoir déjà croisé A., P., R. e K. sur le trajet entre la place Lotto et le SMS, j’ouvre le grand portail et croise trois habitants avec leurs enfants dans la cour, sur les bancs en face de la balançoire. K. prépare comme à l’accoutumée le thé pour tout le monde, et déjà je me sens voyager vers d’autres contrées…I. tient son adorable bébé O. qui commence à marcher et à vouloir parler, chacun le chouchoute, le prend dans ses bras, lui raconte des histoires… Voilà les filles de L. qui descendent jouer, elles attendent leurs camarades M., A., et A., les trois enfants mascottes de D., chaque jour présents et participant à toutes les activités du SMS. Je remonte les escalier du bâtiment C et croise R., gentille et adorable avec moi, puis passe devant la maison de P., F., S. et M., d’où provient du son reggae plein volume, nous dansons 5 minutes, puis je passe devant chez D., et M., une agréable odeur de plat sud-américain fait palpiter mes papilles pendant que mon téléphone sonne, c’est E., qui me demande si elle peut utiliser notre machine à laver.

J’arrive à la maison, c’est calme, j’entends seulement la télé du voisin qui grésille dans une langue qui m’est étrangère…Je regarde par le balcon et observe cet incroyable d’endroit : un lieu plein de vie, d’envies, de détresse aussi et de rêves. Un lieu de solidarité quotidienne, de tolérance et d’entraide. Un lieu qui redonne espoir et courage à ceux qui n’ont rien, à ceux qui sont été rejetés de ce pays parce qu’ils sont étrangers, sans papiers, sans revenus ou sans travail. Un lieu où l’on considère qu’un autre modèle d’Habiter est possible, ensemble, par la solidarité, le secours mutuel et l’entraide. Un lieu où le collectif et la conscience politique prône sur l’individualisme et l’ignorance trop souvent remarqués dans des villes comme Milan. Un lieu à part, crée par des personnes hors du commun, des jeunes qui reprennent en main leurs destins.

Aujourd’hui, même si triste de la fin qui approche, je m’estime chanceuse et comblée d’avoir partagé des moments constructifs au sein de cet endroit particulier, je me sens honorée d’avoir pu participer aux diverses actions du groupe, je suis heureuse car ici j’ai appris. Probablement mes choix futurs seront différents, ma conscience personnelle sur le monde et ses habitants a évolué, mes perceptions quotidiennes ont changé et, je suis convaincue désormais que des alternatives possibles de vie existent.

Je reviendrai c’est sûr, je ne sais pas quand, je ne sais pas comment…Les liens crées ici ne sont pas éphémères, et même loin, tous ces visages m’accompagneront dans d’autres luttes et d’autres expériences. En attendant le départ, je continue de vivre avec eux, et d’observer ce modèle exemplaire rare qui chaque jour se forme et se construit.