A ce français rencontré à Cotonou qui a cru un soir me faire un compliment en me comparant à une « déesse peule ».

La population sénégalaise est composée selon les estimations d’une vingtaine d’ethnies différentes. Wolofs, sérères, peuls, soninkés, malinkés, lébous, pour en citer les principaux. Nomades ou sédentaires, musulmans, chrétiens ou animistes, historiquement éleveurs ou pêcheurs, chacun de ces groupes réunit des caractéristiques particulières, fruits de l’histoire et des mélanges, caractéristiques qui elles même se fondent, se confondent, se recoupent au gré des voyages des hommes et au fil du temps, formant dans mon pays une mosaïque humaine vivante et infiniment complexe, dont je reconnais ne pas saisir moi-même toute la subtilité et les nuances.

Ce que je sais, c’est que je ne suis pas peule. Et pour cette raison, bête et simple, ce que tu aurais voulu faire passer pour un compliment, je l’ai perçu comme une insulte. Je conçois pourtant ce que l’expression a d’attrayant pour un français récemment débarqué sur la lourde terre africaine, assez informé pour connaître ne serait-ce que le nom de cette ethnie (l’emportant ici sur bon nombre de ses concitoyens) mais pas assez tout de même pour se permettre de l’utiliser ainsi, négligemment et d’une façon faussement poétique. Je te l’accorde, « déesse peule », ça sonne bien. C’est joli, un peu mystique, ça fait divinité noire des steppes arides aux parures d’or, fille d’empereur aux pouvoirs magiques régnant noblement sur des tribus d’éleveurs aux confins du monde. Sauf que voilà, je ne suis pas peule. C’est bien essayé pourtant, je suis sénégalaise et il y a des peuls au Sénégal, tu aurais pu tomber juste après tout, tu n’a pas non plus dit mossi ou yoruba, on pourrait presque louer l’effort, sauf que voilà, je ne suis pas peule, alors c’est raté. J’aurais pu me sentir flattée pourtant : il est d’usage de louer le teint clair et la finesse des peuls, dont beaucoup considèrent qu’ils constituent le plus beau peuple du continent – je laisse soin au lecteur de méditer sur la corrélation entre ces deux informations.

Malgré cette légendaire beauté des peuls (ô combien confirmée parmi celles et ceux que je connais) à laquelle tu faisais peut-être allusion, cette formule de drague un peu lourdingue qui t’avait sans doute été inspirée par l’air tiède de Cotonou et quelques verres de mauvais rhum n’a fait que m’offenser. En ignorant superbement le « Mais je ne suis même pas peule …» un peu interloqué avec lequel j’ai tenté de te répondre, tu as confirmé le désintérêt total que tu avais pour celle que j’étais et d’où je venais. Ce qui t’intéressait, hormis une certaine partie de mon corps que j’estime inutile de mentionner ici de manière explicite, c’était l’image que je te renvoyais. Une image d’Afrique sublimée, d’exotisme tropical. Cette phrase que tu as lâchée imprudemment n’est rien de moins que la représentation symptomatique de la trop grande méconnaissance que l’Occident a de l’Afrique. Méconnaissance qui explique que l’on retrouve encore des professeurs à Sciences-Po pour nous dire que l’Afrique est un pays – et s’agacer qu’on les corrige. Qu’un français familier du Togo puisse s’étonner qu’ayant grandi au Sénégal, je ne comprenne pas ce que me disait en éwé une vieille femme rencontrée dans un village situé près de Lomé.

Ces remarques pourraient paraître anecdotiques, voire exagérées. Elles ne le sont pas. Elles ne sont que quelques exemples parmi l’infinité des affronts que les pays, les traditions et les peuples africains doivent essuyer chaque jour. C’est ce mépris pour les spécificités de notre Afrique plurielle, dont les réalités complexes sont si souvent ignorées ou sur-simplifiées, que j’ai entendu dans ta phrase. C’est ce mépris-là que nous nous devons, aussi, de laborieusement déconstruire et dénoncer. Car c’est lui, issu de la méconnaissance, qui alimente les préjugés et les jugements à l’emporte-pièce. En faisant de moi cette déesse peule figure de tes fantasmes, c’est mon identité que tu as négligée. Le problème, on y revient, c’est que je ne suis pas peule. Une déesse non plus d’ailleurs, enfin je crois, il faudrait vérifier, je t’accorde le bénéfice du doute. Pour le « peule » par contre il suffisait de demander, mais ça, tu ne l’as pas fait. Tu ne voyais de moi que ce tu voulais en voir.

Alors non, ne t’en déplaise, je ne serai pas la dernière de tes découvertes africaines. Tandis que tu répercutais sur moi un imaginaire collectif persistant et faussement flatteur, j’existais. J’existe. J’existe et d’ailleurs, je le répète et c’est bien la dernière fois, je ne suis pas peule.