Aujourd’hui je suis en route pour Emmaüs Bristol, prochaine communauté sur ma liste à visiter. Étrange sentiment que de constater qu’il ne s’agit que de la quatrième sur dix-sept… C’est le début d’un long voyage pourtant j’ai déjà tellement de visages et d’histoires en tête. A chaque départ, c’est un subtil mélange de frustration, d’excitation et d’appréhension qui m’envahit. Je serais bien restée discuter avec Paulo, Steph’, Yva, Ludo, David ou Louis. J’aimais bien trier les vêtements en silence aux côtés de Malch’ et Johane, ou encore manger des toasts à pas d’heure avec Léa. Mais en même temps, j’ai hâte de rencontrer d’autres personnes. Je suis aussi curieuse de découvrir comment à Bristol on s’organise pour gérer les tours de vaisselle (indicateur non négligeable de la manière dont est organisée, plus généralement, la communauté vu le nombre de cups of tea consommées quotidiennement ici!). Je suis un peu anxieuse à l’idée de devoir peut-être courir toute la semaine après les responsables pour poser mes 217 questions… Dans chaque nouvelle communauté, je sais aussi que je vais trouver quelques éléments supplémentaires de réponse à la toute simple question que je me pose souvent : qu’est-ce que veut dire Emmaüs au Royaume-Uni ?

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Emmaus Bristol, au coeur du street art. Bientôt un Abbé Pierre sur la façade!

Chaque pays adapte le modèle Emmaüs au contexte local, et j’ai un peu de mal à identifier quelles valeurs sont au cœur des groupes britanniques. Ces derniers baignent dans la culture des charities, dont les objectifs sont souvent la sensibilisation et la récolte de fonds pour une cause ou un groupe. Chaque communauté est d’ailleurs une registered charity. Pas évident donc pour les groupes Emmaüs de faire comprendre au public qu’ils sont une « charity pas comme les autres », basée sur les concepts de solidarité et de travail par et avec les plus exclus. Et j’ajouterais peut-être : pas évident pour les groupes eux-mêmes de se saisir pleinement de ces concepts… Je reste souvent perplexe devant le nombre de salariés employés pour gérer la communauté et ses magasins alors que souvent je croise des compagnons et compagnes qui cherchent (parfois désespérément!) quelque chose à faire : community leader, support worker, finance worker, chef executive officer, buisiness manager, shop managers, retail manager, kitchen manager, paid driver…Beaucoup de leaders pour encadrer les compagnes et compagnons ce qui limite les responsabilités de ces derniers. Souvent, les groupes me parlent de leur envie de mettre davantage en avant les « compétences » (skills) des compagnons/compagnes, soit acquises dans le passé, soit lors de formations à Emmaüs ou en-dehors. C’est évidemment super, mais j’ai l’impression qu’en se focalisant sur ce point et en organisant le travail autour d’une grosse équipe de salariés, un certain nombre de groupes passent à côté d’un aspect fondamental de la notion de travail à Emmaüs : la promotion et la valorisation au quotidien de toutes les petites initiatives individuelles ou collectives qui participent à la reconstruction personnelle.

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Très joli garden shop d’Emmaus Brighton, géré par un garden manager…

Un autre élément qui me pose question est la manière dont les Emmaüs entendent lutter contre l’exclusion. Au Royaume-Uni, les groupes ont choisi de travailler prioritairement sur la question des sans-abris : le principal slogan des groupes est « Emmaus, the homeless charity that works ». Selon certaines communautés, l’identification d’un groupe spécifique a été nécessaire afin de permettre aux Emmaüs UK, dont les plus anciens n’ont qu’une vingtaine d’années, d’être plus facilement identifiés au milieu des centaines de charities qui souvent agissent sur un thème bien précis. De plus, la prise en charge des sans-abris est au Royaume-Uni l’apanage des charities. Cependant, il me semble paradoxal que le second slogan d’Emmaüs UK soit « Working together to end homelessness » alors que la plupart des groupes que j’ai visités jusqu’à présent ne développent aucune activité d’interpellation politique ou de pression sur les autorités locales. Cette volonté de séparer Emmaüs de toute activité politique ou militante semble cependant être doucement remise en cause : un certain nombre de groupes Emmaüs ont décidé de prendre part à la March For the Homeless le 15 avril prochain qui aura lieu dans les grandes villes britanniques, irlandaises, nord-américaines, sud-africaines et australiennes. A suivre donc…

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Magasin Emmaus Bristol