Demain ? 6 de Maio ? Amadora ? Risques d’expulsions ? Prendre la ligne rouge qui mène à Sintra depuis la majestueuse gare du Rossio vers Santa Cruz Damaia, quartier de la municipalité d’Amadora, banlieue Nord-Ouest du Grand Lisbonne. Cette ligne marque la fin de la zone de confort de « Lisbonne la blanche », merveille urbaine qui enjôle et capte toutes les attentions, et s’engouffre dans ses interstices plus communément reconnues comme cités dortoirs.

amadoraestaçao

La place principale de Damaia, qui fait face à la station de « comboio » (équivalent de notre RER bien aimé), est un lieu de rencontres et de petits business. A quelques centaines de mètres à peine s’érige la communauté « 6 de Maio » auto-construite il y a plus de 40 ans, et aujourd’hui officiellement recensée par le code postal 2700-772. Serait-ce un moyen d’affirmer la reconnaissance géographique du quartier ? En est-il de même avec ses habitants ?

Pour se faire un premier avis, voici une rapide description (sélectionnée parmi tant d’autres du même acabit) palabrant sur les charmes insoupçonnés de la banlieue Lisboète :

« Certains des quartiers africains, dans la périphérie de Lisbonne, sont tristement célèbres pour les pires motifs : pauvreté, trafique de drogue, violence, etc. Le crime organisé n’a pas tardé à surgir. Les maisons dans ces quartiers, de véritables ghettos, accueillent tant bien que mal des familles déstructurées et vulnérables, souffrant de déracinement culturel, d’absence d’aides sociales et services éducatifs adéquats, et ayant des difficultés d’accès à la citoyenneté portugaise ».

Bofia

Bofia

Bien entendu « 6 de Maio » est l’archétype même de ces quartiers, et compte à son actif de nombreux articles qui mettent en lumière le dynamisme du narco-entreprenariat local; La Bofia (tendre expression pour désigner les gardiens de la paix) intervient de temps à autre pour remettre un peu d’ordre, parfois de façon quelque peu agressive. Les prestations de services publics y sont particulièrement soignées, la preuve en est, cela fait plus de 15 ans que les services d’habitat de la municipalité œuvrent activement pour un processus de relogement des plus efficaces ! Trêve de plaisanteries, tirons à présent un portrait réaliste du quartier :

Banlieue informelle construite dans les années 70, le ghetto 6 (comme l’a rebaptisé sa jeunesse incendiaire) est majoritairement peuplé par des confrères venus des pays de l’ancien empire colonial portugais, en quête de nouvelles aventures sur le vieux continent. Son identité est, de fait, fortement imprégnée par le métissage des cultures Cap-Verdiennes, Guinéennes et Angolaises.

papitos

Cependant, le gouvernement Portugais ne voit pas de bon augure l’éclosion fertile de ces nouveaux quartiers et lance, en 1993, le PER –Programme Spécial de Relogement- qui, pour la faire courte, consiste en l’éradication pure et dure des baraques qui viennent ternir l’image de l’aire métropolitaine de Lisbonne et Porto. Le PER a pour ambition d’effectuer un recensement global de la situation socio-économique des habitants de ces communautés et, à terme, d’appuyer financièrement leur relogement (qui, cela va de soi, doit précéder l’expulsion !). Il se trouve cependant que plusieurs milliers de personnes sont arrivées dans ces quartiers APRES le recensement officiel du PER, et n’ont donc pas eu la chance de faire parti des privilégiés inscrits dans le plan de relogement national.

Par exemple, la municipalité d’Amadora, à laquelle nous nous intéressons aujourd’hui, estime qu’environ 35% des familles qui résident dans ses quartiers auto-construits ne sont pas inclues dans le PER, ce qui correspond à grosso modo 3000 familles en situation d’expulsion latente. Amadora n’étant pas un cas isolé, l’ensemble des quartiers informels des périphéries de Lisbonne et Porto sont sous le joug de cette politique complètement obsolète !

Pour comprendre les tenants et aboutissants de la situation de 6 de Maio, il est recommandé de se pencher, au préalable, sur l’étude de cas du quartier Santa Filomena, issu de la même municipalité, dirigée par l’équipe socialiste de Carla Tavares.

En effet, celle-ci s’attèle avec ardeur, et ce depuis 2012, au démantèlement du quartier de Santa Filomena. Cette date marque le début du bras de fer entre la municipalité, les habitants et les associations de solidarité qui sont intervenues afin d’appuyer leur lutte.

Santa Filomena

Santa Filomena

Un pas en avant, trois pas en arrière : les démolitions forcées se sont multipliées et de nombreuses familles furent contraintes d’abandonner leurs maisons. Pendant ce temps là, les autorités publiques affirmaient avoir proposé aux habitants exclus du PER de les accompagner vers de nouvelles alternatives de logements. Après avoir creusé un peu, il apparait que ces alternatives soient réduites à : la reconduite des familles vers un abri destiné aux sans-logis ou le paiement de 2 à 3 mois de loyers afin de « faciliter » leur réinstallation.

Devinette : les familles de ce quartier disposent en moyenne de 250 à 300 euros par mois pour subvenir à leurs besoins, que leur reste t-il, si, à l’issue des ces trois mois, elles sont contraintes de payer un loyer avoisinant les 300 euros pour se loger ? Peut-on alors affirmer que l’alternative proposée par la municipalité s’effectue dans le respect du droit constitutionnel qu’est le droit au logement ? Mystère…

La dynamique de lutte qui s’est inscrite dans le quotidien de Santa Filomena a cependant permis de mettre des bâtons dans les roues des grues de démolition de la municipalité et ainsi contraindre fortement le processus en marche. Les associations de solidarité se sont alors mobilisées pour dénoncer ces abus auprès du Provedor de Justiça (institution portugaise dédiée à la défense des droits fondamentaux des citoyens) et demander l’actualisation du PER afin d’assurer un relogement adéquat pour toutes et tous !

La municipalité d’Amadora a cependant annoncé que les démolitions allaient se poursuivre à Santa Filomena, et ce jusqu’à l’éradication totale du quartier. Les familles non-inscrites dans le PER furent, quand à elles, priées de trouver (par leurs propres moyens) des solutions alternatives de relogement.

Les agressions répétitives de la municipalité d’Amadora à Santa Filomena sont une grave atteinte au droit au logement, pourtant inscrit dans l’article 65 de la constitution portugaise : « Chacun à le droit, pour lui-même et pour sa famille, a un logement de taille adaptée, respectant les conditions d’hygiène et de confort, ainsi que l’intimité personnelle et la confidentialité de la famille.»

Les chiffres permettent de mesurer l’impact de ces démolitions : 280 personnes risquent de se retrouver à la rue (83 familles) parmi lesquelles 104 sont encore des enfants ; 79 sans emplois ; 87 étudiants, et 13 souffrent d’invalidités ou problèmes de santé.

Concentrons-nous à présent sur une esquisse d’organisation de lutte au sein du quartier 6 de Maio, lieu de mémoire et d’identité. Comment se sont déroulés les évènements au cours de ces 15 derniers jours ?

Tout a commencé quand la municipalité d’Amadora a, par surprise, émis un avis d’expulsion sur 5 portes d’entrée, de 5 maisons du quartier, au sein desquels vivent 5 familles (incluant des personnes malades, des nourrissons ainsi que l’ensemble des être humains susceptibles de dormir sous un modeste toit) et leurs proches.

Rapidement, la nouvelle s’est répandue parmi les milieux activistes et de là est né un collectif de solidarité ayant pour volonté de venir en aide et accompagner les habitants du quartier dans une dynamique de lutte afin d’éviter à tout prix que de barbares expulsions ne soit opérées dans l’indifférence générale !

Assemblée

Assemblée

Il a donc fallu faire en sorte de tâtonner (très rapidement) vers une organisation des plus opérationnelles ! Réunion après réunion, jour après jour, la mobilisation s’est construite. Des volontaires (habitants et activistes) se sont retrouvés quotidiennement pour les « piquetes » (équivalent lusophone de « sitting ») de 7 à 10 (heures…du matin !) afin de faire preuve d’une organisation sans faille face à la bofia qui rodait, prête à dégainer la machine-à-destruction à la première occasion. Cette organisation a également pour ambition de prévenir la presse et mobiliser l’ensemble du réseau dans les plus brefs délais en cas d’exécution des menaces.

Démolition

Démolition

Alors que le Provedor de Justiça demande à la municipalité d’Amadora de mettre fin aux démolitions qu’il considère comme illégitimes, celle-ci nie en bloque : les démolitions prévues ne sont que des maisons vides, dont les familles auraient déjà été relogées dans le cadre du PER. Mais la réalité du terrain laisse entendre tout autre chose… dans le cadre de ce rapport de force, les témoignages des habitants et des personnes présentes sur le terrain sont essentiels !

 

« Si ils pouvaient me reloger gratuitement, car je reçois seulement 200 euros pour élever mes deux enfants pour 3h de travail quotidien et cela me préoccupe énormément car la municipalité m’a donné un avis d’expulsion sans me proposer aucune alternative ! »

Dona Adriana

« Nous ne sommes pas des sauvages, nous prenons soin de nos maisons pour élever nos enfants dignement. La mairie nous considère comme des numéros et ne nous propose pas de solution de relogement viable : nous payer deux mois de loyer ? Et après comment va-t-on faire pour continuer à payer avec nos 250 euros de revenus mensuels ? Avec ce taux chômage, qui va trouver un emploi ? Il ne faut pas se leurrer, les gens ne vivent pas ici par plaisir ni parce que le quartier est particulièrement agréable, c’est juste qu’ils n’ont pas d’autres alternatives ! Les démarches administratives ?  De nombreuses personnes du quartier ne savent ni lire ni écrire et les services sociaux semblent avoir déserté le quartier… »

Dona Paula

« Dona Antonia (assistante sociale en charge du plan de relogement pour la municipalité d’Amadora)  n’a aucun respect pour les êtres humains. Elle trouve des solutions à ceux qui ont les moyens de payer un loyer, ceux qui n’en ont pas sont jetés à la rue. Je n’ai pas peur de le dire, chacun d’entre nous devrait avoir le droit à un logement digne ! Et à la place nous sommes mis à la rue ! Vous trouvez ça juste ? On ne peut pas laisser faire ça !  Il faut qu’on soit unis ! » 

Dona Maria da Piedade

 

Pendant ce temps un travail de recensement est effectué dans le quartier pour récolter les documents et papiers nécessaires à la défense juridique des personnes ayant reçu un avis d’expulsion. Le premier rendez-vous organisé entre notre avocat et les services sociaux / de logement de la municipalité promet de futurs échanges musclés.

Malgré tout, ces différentes actions semblent porter leurs fruits : après deux semaines de mobilisation et organisation de « Piquetes » quotidiens, aucune démolition n’a eu lieu ! Pour célébrer cette petite victoire une fête est organisée dans le bairro. Ce sera l’occasion pour les habitants du quartier de se détendre un peu, de relâcher la pression et surtout de renforcer la cohésion et les liens de solidarité en cette période de troubles ! C’est un grand succès : La cachupa (traditionnel met Cap-verdien), aguardente et différents groupes de danses viennent réchauffer les cœurs sur fond de Kuduro et hip-hop local. Ce soir la plèbe du ghetto 6 s’encanaille !

Festa

Festa

Au-delà du ressentiment général face à l’agressivité de la municipalité d’Amadora il est important de mettre en avant la détermination des habitants et activistes qui ne perdent pas pied et poursuivent leurs actions. Les prochaines étapes seront surtout focalisées sur le processus d’organisation interne des habitants. Ce WE se tiendra la toute première réunion de l’assemblée des Habitants du quartier, qui fait chaque jour de nouvelles recrues ! Il est fondamental de réfléchir collectivement à la mise en œuvre d’une structure organique avant tout portée par les habitants du quartier.

Au-delà de la défense de leurs droits fondamentaux, la mobilisation citoyenne qui se met en place permet de mettre en lumière une critique sociale aigue de la gestion de l’espace urbain. Elle exprime un ras-le-bol général quand aux ambitions spéculatives des groupes financiers sur les terrains occupés. Dans ce contexte, les municipalités-marionnettes sont chargées de mettre en application l’appareil répressif de l’Etat.

La lettre ouverte, rédigée afin d’inciter les mouvements politiques à intervenir, à déjà suscité deux prises de Rendez-vous avec le Parti Communiste Portugais et le Haut Commissariat de l’immigration dans le courant de la semaine prochaine. Alors que la dynamique de lutte semble bien enclenchée pour le quartier 6 de Maio, de nouvelles menaces on resurgit à Santa Filomena et dans d’autres quartiers du Grand Lisbonne. La question qui se pose désormais est comment généraliser ce plan d’action sans perdre pied ?

To be continued…