Quel vent de changement ?

L’on s’active dans les rues de Bruxelles où, chaque matin, je me joins à l’afflux des travailleurs. Nombreux sont ceux qui se rendent à Schumann, le quartier des affaires européen. Je suis d’ailleurs l’un d’entre-eux, à ceci près que je ne vais guère m’appliquer à quelque activité de lobbying auprès d’une institution communautaire. En effet, nul besoin de rappeler que plusieurs dizaines de milliers de lobbyistes arpentent chaque jour la ville. Je lisais d’ailleurs récemment que l’on y dénombrait pas moins de quatre lobbyistes pour un fonctionnaire européen !

C’est ainsi au beau milieu de ce business-décor que s’intègre ma mission sur la justice sociale et écologique. Inéptie ? Bien au contraire, quoi de plus pertinent que de participer à la déconstruction, puis à l’élaboration d’une société post-capitaliste à quelques pas des instances européennes !

A peine arrivé en Flandre – Bruxelles est géographiquement située en territoire flamand bien que très majoritairement francophone ; rassurez-vous je n’oserai pas me lancer dans les complexités administrativo-politiques de ce pays –, j’ai pu justement gouter à quelques discussions sur l’avenir, en compagnie de la fondatrice et présidente du Climate Express. Aujourd’hui urgentiste, Natalie était quelque peu ennuyée par ses études de médecine. Elle a voulu alors pimenter son cursus universitaire et aiguiser son sens de l’esprit critique en validant parallèlement un diplôme de « Sciences Morales ». Par ailleurs elle occupe actuellement ses quelques heures de répit à l’écriture d’un livre sur l’activisme climatique. C’est à ses côtés et à ceux de son compagnon, qui est affilié au Comac, le parti des jeunes communistes belges, que j’ai pu ainsi initié mon aventure militante au Climate Express. Vous aurez ainsi compris ma certaine timidité, face à ces deux personnalités, au vécu militant déjà fort imposant.

Le lendemain, je me suis rendu à un grand rassemblement international sur le climat. Etaient présents de nombreux mouvements de base, notamment d’Europe occidentale. Ordre du jour : unifier et harmoniser les différentes actions prévues pour le prochain accord onusien sur le climat (COP 21), lequel aura lieu en décembre à Paris. Toute l’énergie de cette réunion a été en somme concentrée sur la forme de la mobilisation, et, selon moi, peu de crédit a été accordé au fond. Un bref débat ainsi qu’un groupe de travail a néanmoins tenté de définir quelques lignes de ce que pourrait être le fil narratif conducteur de cette mobilisation.

Une très grande majorité des participants étaient d’accord notamment sur un point : « nous voulons un changement de société ». Quelques minutes ont été en outre accordées à quelques choix sémantiques autour d’un modèle post-capitaliste : « destroy capitalism » dit l’une, « smash capitalism » proclame l’autre. Les rires ont fusé mais des rires non moins consentants, et qui ne manquaient pas de révéler l’acquiescement général de l’assemblée. À ma droite se tenait une jeune ukrainienne qui m’a partagé la réflexion suivante : « les gens présents dans cette salle sont-ils au moins capables de définir le capitalisme ? ».

Ainsi, lors de ce rassemblement, il m’a semblé se profiler un consensus sur les contours et la tournure que devrait prendre la mobilisation avant, pendant et après la COP 21. Beaucoup, parmi les participants avec qui j’ai eu la chance d’échanger, affirmaient que le fond dans tout ça n’importait peu et que « le principal [était] de faire soulever les foules ».

C’est formidable, et je me réjouis d’un tel élan fédérateur. Je dirais même qu’il fait chaud au cœur de participer à une telle aventure. Mais j’ai été et demeure encore perplexe. En effet, quel message donner aux gens que l’on s’efforce de mobiliser ? Prenons un cas pratique. Le Climate Express souhaite enrôler pas moins de 10 000 citoyens belges. Formidable, allons-y ! Mais comment-être sûr de rallier tout ce beau monde à la cause climatique et sociale ? (Car le nouveau fil rouge c’est bien celui d’entrecroiser le social et l’environnemental – même du côté de la recherche on s’y est mis !)

Nous manifestons pour un monde socialement plus juste et écologiquement respectable. Certes, mais est-ce suffisant afin d’attiser l’intérêt et la mobilisation effective des citoyens ? Quelle est l’histoire sous-jacente que l’on racontera pour rendre une telle cause tangible et qui exercera suffisamment d’attrait ? Nous appelons à « détruire le système économique actuel », destroy capitalism, mais quel est ce système post-capitaliste auquel on aspire ?

Une première réponse m’a été apportée par un court manifeste, Les convivialistes, dont je recommande vivement 

. Celui-ci esquisse les jalons d’un nouveau contrat social et écologique. À partir de cet essai, il me semble aujourd’hui indispensable qu’un processus dit « top-down », tel un programme politique, vienne soutenir le travail de mobilisation entrepris au sein de la société civile.

Finalement, cette semaine je suis heureux, je pars dans un mois à Tunis pour me rendre à mon premier Forum Social Mondial. J’espère y trouver davantage de réponses, notamment dans la convergence des luttes.