Vivian, tu viens du Havre, peux tu nous parler de ta ville ?

L’agglomération havraise est l’une des dernières grandes zones industrielles de France. En fait, la casse des bastions ouvriers n’a lieu qu’en ce moment en Seine-Maritime, plus de trente ans après le début du processus dans l’est et le nord de la France. La ville est à la fois connue pour son histoire sportive (Le Havre Athlétic Club a été le premier club de foot et de rugby fondé en France), musicale (là aussi, la proximité de l’Angleterre a eu une grande influence) et ouvrière. Le port du Havre est l’un des berceaux de l’anarcho-syndicalisme. Malgré l’hostilité de la Mairie, la Bourse du Travail est toujours très vivante. Plusieurs cultures politiques marquent encore le Havre : notamment syndicaliste révolutionnaire, communiste orthodoxe représentée par un maire communiste jusqu’au milieu des années 90. Un truc assez inédit : Pendant le mouvement pour la défense des retraites, les grévistes s’auto organisaient à la maison des syndicats, lors d’une Assemblée Générale, qui était décisionnelle, et derrière laquelle les syndicats se rangeaient. Un bulletin quotidien sortait de l’Assemblée et était soutenu par l’intersyndicale (de SUD à la CFDT), alors que ce bulletin appelait concrètement à la grève générale et aux blocages de l’économie. Ce tract a fait le tour de la France, des militants se l’envoyant parcequ’ils trouvaient cette radicalité exemplaire. C’est grâce à cette coordination que la raffinerie située à quelques kilomètres de là est la seule à ne pas avoir été débloquée par les CRS pendant la grève. Aujourd’hui, le chômage augmente plus vite au Havre que dans le reste du pays, et la ville se dépeuple. Pendant qu’elle ferme écoles, hôpital, cinémas, théâtres et salles de concerts, la mairie nous promet d’être une « cité balnéaire » et le « port de Paris ». Ce n’est pas un hasard si pendant que la ville est aménagée de manière à ce que rien de se passe, le centre ville est « muséifé », via la classification au « patrimoine mondial de l’UNESCO » du centre ville en béton construit par Auguste Perret au sortir de la seconde guerre mondiale (la ville a été entièrement détruite en septembre 44 par l’aviation britannique). Pour parler de ce que j’y fais, je suis étudiant au Havre, l’une des universités les plus récemment construites en France (il y a un peu moins de trente ans). Si rien n’est fait, elle sera aussi l’une des premières à disparaître, du fait de la « l’autonomie » des universités. Ma filière, les lettres modernes, est depuis un moment dans le viseur des libéraux. Au fait, je suis membre de la section locale de SUD-Etudiant.

 

Tu es solidaire de la cause palestinienne. Que peux tu nous dire de cet engagement ?

Ma première participation à un mouvement de lutte date de 2006, lors du mouvement contre le CPE. L’été suivant, Israël bombardait le Liban. Il m’a paru assez logique à ce moment de participer aux rassemblements contre la guerre, en compagnie de personnes rencontrées dans les manifs ou lors des blocages. Avec d’autres étudiants, je me suis rendu il y a deux ans dans les territoires occupés (notamment à Jérusalem et Hébron). Nous avions participé à plusieurs manifestations contre la colonisation, en compagnie des habitants palestiniens, et des israéliens membres des Anarchistes Contre le Mur. Je participe régulièrement à des événements (projections ou conférences suivies de débats) autour de la campagne pour le Boycott d’Israël, le but étant de discuter collectivement de notre soutien à la résistance palestinienne. Je pars prochainement à Londres. Je suis envoyé par l’Agence Média Palestine (une association créée il y a un an, qui est au service du mouvement de solidarité), pour développer les liens entre les mouvements de solidarité français et britannique. L’occupation de la Palestine me semble regrouper beaucoup des systèmes de domination : segmentation territoriale, division raciste de la population, exploitation extrême des palestiniens travaillant dans les colonies, etc.


Tu es étudiant en lettres modernes et très marqué politiquement, peux tu nous parler de certaines des oeuvres « engagées » qui t’ont marquées ?

Je me suis bien sûr intéressé à la littérature du Proche-Orient, peu après mon séjour en Cisjordanie. J’ai été marqué par les poèmes de Mahmoud Darwich sur la nécessité d’affirmer son existence face à ceux qui la nient, ou par un poème de l’auteur israélien Aaron Shabtai, publié lors des bombardements israéliens sur le Liban, et qui se terminait par « Puisse l’armée être défaite ! ». J’aime aussi beaucoup la poésie française, et notamment Rimbaud, qui affirmait que « l’amour est à réinventer » et qu’il faut « changer la vie ». Dans sa manière de chercher des correspondances entre mots, images et sons tout en développant une poésie politique, il me semble avoir radicalement affirmé la nécessité de changer le monde sans oublier de s’attaquer au rapport à l’existence qui en découle. Je suis enfin assez intéressé par la philosophie de Michel Foucault, qui écrivait dans un très beau texte sur l’engagement politique « n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire. ». Ca me semble toujours d’actualité.