Pendant trois semaines, les apprentis de la FAI-AR (Formation Avancée et Itinérante aux Arts de la Rue), en lien avec l’association tunisienne L’Art Rue ont investi la Médina de Tunis. Trois semaines de rencontres avec des artistes tunisiens mais aussi et surtout, avec la rue, l’espace particulier de la Médina, les gens qui l’habitent, l’occupent… Dans différents atelier autour du son, du corps, du mouvement, de l’image… ils ont tenté de comprendre ce que voulait dire être un artiste citoyen dans l’espace de la rue.

L’art : un moyen de résistance, un appui à la revendication démocratique ?

C’était l’idée des organisateurs de ces ateliers. Pour eux, les artistes ont joué un rôle considérable dans la préparation et l’accompagnement du processus révolutionnaire tunisien. Mais au-delà de cette idée, se pose la question de l’art (citoyen?) comme résistance, certes, mais aussi celle de l’art confronté aux résistances (citoyennes?). Il arrive parfois que les questions posées par les artistes aux sociétés, qu’elles soient légitimes ou pas, viennent se heurter à la résistance de ceux à qui elles s’adressent.

C’est en partie le sujet d’une conférence-débat —organisée dans le cadre de cet atelier— au cours de laquelle des artistes et des chercheurs sont intervenus pour tenter de répondre à la question :

« L’artiste citoyen dans l’espace public maghrébin : Comment l’art contribue-t-il à dessiner les contours d’un espace public démocratique ? ».

Parmi les intervenants, un journaliste, auteur et dramaturge algérien, Mustapha Benfodil à qui l’on interdit depuis plusieurs

Mustapha Benfodil

années de jouer ses œuvres sur le sol algérien. Il explique qu’on a le droit d’écrire tout ce qu’on veut en Algérie, mais le dire… c’est autre chose. Surtout dans l’espace public. Il a choisi de passer outre, de ne pas chercher à avoir l’autorisation de monter ses œuvres dans les théâtres comme il a l’habitude de le faire en France ou ailleurs, et d’entrer en confrontation directe avec l’autorité des censeurs. Il surgit dans l’espace public et y lit des textes (les siens ou ceux d’autres auteurs algériens) qu’il brandit comme des armes, pour provoquer une réaction : celle du Pouvoir et de sa police, mais surtout celle de la Rue. Parfois la rue l’a rejeté (laissant le pouvoir libre de réprimer), parfois, elle l’a rejoint comme exaltée par ses mots. Elle s’est dressée entre lui et la police. Les gens, les citoyens, refusant la censure. C’était en pleine période d’État d’urgence, les manifestations et les attroupements de toute sorte étaient interdits et sévèrement réprimés, mais une marche spontanée s’est lancée dans les rues d’Alger. En tête, Mustapha Benfodil lisait, clamait. La culture pour résister ? Oui. Et pour lui, reprenant les mots de Kateb Yacine, la culture est d’abord dans la rue.

Mohamed Kerrou (sociologue tunisien) lui, est intervenu pour questionner la façon dont l’art —le street art notamment— s’impose à la rue. Pour lui, la rue et l’espace public en général est aujourd’hui surinvestit en Tunisie. Tout le monde veut y faire

Mohamed Kerrou

quelque chose, y exister. Surtout parce qu’il était interdit à une quelconque forme d’expression sous le régime de Ben Ali.

Il s’est donc intéressé au projet DjerbaHood. Ce projet, développé par une galerie parisienne spécialisée dans le street art (Galerie Itinerrance) consiste à faire intervenir 150 artistes internationaux dans les rues d’un village de l’île de Djerba, Hara Sghira, et à leur demander de réaliser une œuvre dans les rues du village. Pour Mohamed Kerrou, comme sociologue s’intéresse non pas à la production artistique en tant que telle, mais au processus qui amène à la mise en place de ce projet. L’idée de départ est celle de faire émerger un « Véritable musée à ciel ouvert[1] ». Pour le sociologue, c’est finalement « un musée à ciel ouvert, dans une poubelle à ciel ouvert » qu’a produit ce projet. Cela parce que l’île de Djerba a été au cœur d’une politique de développement économique appuyée sur la survalorisation du tourisme de masse. Or, les événements survenus en Tunisie et dans la région ces dernières années ainsi que la (sur)médiatisation permanente des questions de sécurité, de terrorisme… ont fait fuir les touristes. A cela, il faut également ajouter le problème du traitement des déchets, pour ce qui concerne leur ramassage, mais également leur traitement.

Le sociologue pose également la question du présupposé sous-tendu par ce projet et qui, pour lui est largement présent dans le discours des acteurs du projet DjerbaHood. Lorsque l’on arrive sur le site internet du projet, une bande-annonce se lance (voir ci-dessous). Pour Mohamed Kerrou, cette vidéo est décomposée en trois idées qui reflètent les représentations qu’ont les organisateurs sur cet espace qu’ils viennent investir. D’abord, c’est l’idée que ces gens (les habitants du village) ne comprennent pas ce qu’est l’art:

C’est un challenge, parce qu’ils ne savent pas ce que c’est que le Street art.

Puis apparait l’idée de la colonisation :

J’ai eu un peu peur en arrivant ici, en peignant sur les murs… que des artistes du monde entier comme ça, qui viennent dans un petit village de Tunisie qui ne connaisse rien au street art, ce soit comme une espèce de colonisation picturale des murs.

Inquiétude rapidement mise de côté d’après le sociologue puisque la troisième idée est que finalement, ils ont fini par comprendre ce qu’était l’art et le street-art (conséquence positive de la colonisation ?). Ce qui s’illustre par l’interview de deux hommes. Tous deux ont un discours plutôt positif. Mais aucun des deux ne parle réellement de ce qui a été fait dans le village dans le cadre de DjerbaHood. L’un parlant surtout des changements en cours dans la société tunisienne, et l’autre parlant de la culture en général. Ce n’est qu’un troisième homme (peut-être une analyse genrée de cette vidéo serait, elle aussi, intéressante…),  tablette à la main qui, lui, parle des œuvres…

 

Le sociologue évoque également la dégradation d’une œuvre, qui d’après les organisateurs serait due au fait que le collage ne pouvait tenir sur un mur en chaux. Mohamed Kerrou raconte, lui, que les enfants du quartier lui ont expliqué s’être chargés eux-même de décoller l’œuvre du mur… Qu’importe où se situe la vérité, ce que disent ces enfants pose des questions importantes. Qu’est-ce qui fait qu’une œuvre sera socialement acceptable ou non ? Qu’est-ce qui pousse à vouloir la cacher, la faire disparaître, la détruire ?

Ce n’est là qu’une petite partie de la thèse, ou plutôt de l’interrogation, portée par Mohamed Kerrou. Mais elle invite déjà beaucoup à la réflexion sur ce qu’est l’art, sur son implication, son invitation dans l’espace public, social et politique.

Qui sont ces gens qui font « l’art » ? Comment le font-ils ? Pour quelle raison ? Pour qui ? Et pour quoi ?

L’art est-il nécessairement citoyen lorsqu’il se fait dans la rue ? Cela le rend-il fondamentalement résistant ou subversif ? L’illégalité de la pratique en fait-il un acte de résistance en soit ?

 

Et qu’en pensent les apprentis de la FAI-AR (ces artistes « en formation »), après trois semaines de workshop à Tunis ?

 

Être en résistance ailleurs. Face à quoi ? Face à qui ?

Jérôme Coffy

 

Dans nos discussions, revenait comme un refrain la notion « d’artiste citoyen »… je ne comprends pas ces termes, est-ce que l’on parle de banquier citoyen ou de vendeur citoyen ?

 

J’ai éprouvé les rues de la médina à la recherche de contacts avec les populations qui l’habitent, j’ai discuté, bu des thés et mangé des macroûtes à en faire grimper dangereusement mon taux de cholestérol.

J’ai cherché à fabriquer autour de ces rencontres un objet artistique, être au plus près d’une réalité, comprendre l’histoire de ce pays, les révolutions récentes, cette société en transit… 

 

Cela fait-il de moi un artiste citoyen ?

 

On me renvoyait régulièrement en ma qualité d’occidental, me percevait comme un porte-monnaie ou un opportuniste artistique.

 

J’ai le sentiment que les nœuds sont nombreux, déjà chez mes alter-égos artistes tunisiens avec qui je devais créer. J’avais du mal à lire en eux l’utopie, la rage de dire, de faire,…

 

L’acclimatation fut simple mais la digestion sera longue, j’analyserai plus tard et plus longuement cette expérience.

Jérôme Coffy (Pochoiriste, gribouilleur, bidouilleur, colleur)

Pina Wood

Lait caillé en bouteille, musque enroulé dans le tulle, harissa en tartine.

Mon âme de loup est devenue bélier combattant droguée à la citronnade-citrique.

 Pina Wood (Metteure en scène)

 


[1] http://itinerrance.fr/hors-les-murs/djerbahood/

Pour aller plus loin :

La FAI-AR

DreamCity (L’art rue)

DjerbaHood

Galerie Itinerrance