Tolpuddle est un petit village du Dorset situé dans une campagne anglaise verdoyante à une douzaine de kilomètres de Dorchester. Les collines qui l’entourent sont couvertes de champs de céréales et de bosquets. Au cœur du village, l’église locale tente de lever des fonds pour sa réparation. Mais c’est aux marges du village, une fois par an, que la vie s’anime joyeusement. Le Tolpuddle Martyrs’ Festival rassemble chaque année syndicalistes et militants de tout le Royaume-Uni.

D’où vient ce nom de Festival des Martyrs ? De l’histoire de six travailleurs agricoles originaires du village de Tolpuddle qui, au début du dix-neuvième siècle, forment un syndicat pour protester contre les diminutions de salaires appliquées par les propriétaires terriens qui les emploient. Dans les années 1830, les syndicats ne sont plus illégaux. Mais moins de quatre ans après de violentes émeutes dans des campagnes anglaises marquées par une grande pauvreté, les propriétaires terriens cherchent à limiter le développement des syndicats – si nécessaire en mobilisant des textes de lois désuets. Les six hommes sont arrêtés et condamnés à sept ans de déportation en Australie pour avoir prêté serment de manière illégale.

Plaque apposée sur un cottage de Tolpuddle en l'honneur des martyrs

Mais l’histoire des martyrs de Tolpuddle n’est pas uniquement racontée pour dénoncer l’oppression et l’exploitation des travailleurs agricoles. Elle célèbre d’abord la résistance à cette oppression et les premières mobilisations syndicales de grande ampleur au Royaume-Uni. Car grâce à la solidarité de milliers de personnes à travers le pays, cette histoire a un « happy ending ». Rapidement après l’annonce de leur condamnation en 1834, la nouvelle se répand à travers le pays. Les syndicats, dont la reconnaissance officielle est encore très récente, voient dans cette décision une menace à leur existence. Ils initient une vaste mobilisation nationale qui permet de réunir 100 000 manifestants à Londres et de recueillir 800 000 signatures lors d’une campagne de pétition. Deux ans après leur déportation en Australie, les six syndicalistes se voient finalement accorder un pardon intégral. Ils sont enfin libres.

Cet été, le Festival des Martyrs de Tolpuddle se déroule les 18, 19 et 20 juillet. Comme chaque année, la mémoire des martyrs est commémorée par un dépôt de gerbes sur leurs tombes. Et comme chaque année, le festival est un lieu d’échanges et de rencontres pour les syndicalistes et militants venus de tout le pays. Pour moi qui suis basée à Londres, la solidarité commence avant même d’arriver dans le Dorset alors que je cherche un moyen de transport. A 8 heures du matin le dimanche, je monte dans le bus du NAPO, un syndicat de travailleurs des services judiciaires. Ces derniers ont pris l’initiative d’organiser un bus ouvert à tous ceux qui souhaitent se rendre du cœur de la capitale au lieu du festival. Nous voici partis pour quatre heures de route, rythmées à leurs débuts par les instruments traditionnels des infirmières et travailleuses à domicile philippines qui préparent leur spectacle pour la manifestation de l’après-midi.

A l’arrivée, le festival se révèle être un joyeux aperçu du militantisme de gauche traditionnel au Royaume-Uni. De nombreuses délégations régionales et sectorielles des principaux syndicats sont représentées ainsi que des syndicats plus petits ou corporatistes. Associations écologistes, et partis politiques locaux sont aussi présents. Les porte-paroles des différents mouvements se succèdent à l’estrade. Les interventions des élus politiques et syndicaux rappellent les nombreux combats à mener dans cette période où les politiques d’austérité renforcent les fortes inégalités de la société britannique. Le refus de la précarisation du travail et de la vulnérabilisation des travailleurs est répété ; les nombreuses coupes budgétaires dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la justice sont dénoncées ; et les appels à la mobilisation pour la grande manifestation du 18 octobre 2014 multipliés. Les promenades dans les allées permettent de dénicher une librairie spécialisée dans les mouvements de lutte et de discuter avec d’autres militants. J’y rencontre Ronnie Draper, du Bakers Food and Allied Workers Union (BFAWU) qui mène une campagne pour les droits des travailleurs des fast food.

J’y retrouve également les membres de la Landworkers’ Alliance, le membre britannique de la Via Campesina, avec qui je me mets en route pour la manifestation de l’après-midi.

Les militants de la Landworkers' Alliance à Tolpuddle

Les militants de la Landworkers’ Alliance à Tolpuddle

La marche se déroule dans le village et a l’avantage de permettre à tous les participants de croiser l’ensemble de la manifestation. Son parcours consiste en un aller-retour dans la rue principale de Tolpuddle. Les groupes se saluent quand ils se croisent, ils applaudissent lorsqu’ils découvrent une nouvelle organisation ou apprécient sa musique ou ses danses. Certains syndicats ont pour l’occasion sorti de magnifiques bannières en tissu.

Tolpuddle, lieu de mémoire et de souvenirs, devient alors un lieu des possibles, un endroit où recharger ses batteries militantes avant de repartir chacun de son côté se mobiliser pour un monde plus juste.