L’été touche à sa fin. Beyrouth commence à se remplir à nouveau tout doucement et retrouve son rythme chaotique après un mois d’Août qui avait plutôt commencé calmement. Pourtant depuis une dizaine de jours, une série d’événements violents sont venus assombrir le ciel libanais. Il n’y a pas pratiquement pas un jour où les journaux ne soient pas porteurs d’une mauvaise nouvelle tandis que la tension générale est palpable au quotidien et que la situation humanitaire des réfugiés syriens devient vraiment problématique.

Une accélération d’événements violents 

Le 15 Août, une voiture piégée a explosé dans la banlieue Sud de Beyrouth, bastion historique du Hezbollah dans un quartier très vivant faisant une trentaine de morts et des centaines de blessés. Les journaux libanais ont couvert l’événement en décrivant cet attentat comme « le crime le plus meurtrier depuis la fin de la guerre civile libanaise ».  Comme si le cours des choses voulait leur faire un pied de nez, un double attentat à la voiture piégée à Tripoli, deuxième ville du pays vient endeuiller à nouveau le pays, à peine une semaine plus tard et exploser le nombre de morts. Dans cette ville que des affrontements entre deux de ses quartiers rivaux ont régulièrement secouée depuis le début du conflit syrien, plus de 40 personnes ont perdu la vie et plus de 500 personnes ont été blessés. Deux attentas ont eu lieu à quelques minutes d’intervalles devant deux mosquées de la ville. Entre temps, des tirs israéliens ont eu lieu sur une position d’une organisation palestinienne entre Saïda et Beyrouth suite à des tirs de roquette de Tyr vers le territoire israélien. Des kidnappings ont eu lieu dans la vallée de la Bekaa.

Dans l’un de ses articles, un journal libanais reprenait les événements qu’il considérait comme liés à la crise syrienne depuis début 2011. On y voit clairement une aggravation de la situation depuis quelques mois et en particulièrement au cours de ces 10 derniers jours. Les discours des politiciens à chaque fois restent les mêmes, ceux-ci plaidant pour une unité de façade devant les médias et se tirant dans les pattes dès que la situation redevient calme. On déclare des journées de deuil mais dans certains quartiers et villes libanaises, on tire des feux d’artifice le soir d’attentas. C’est un peu difficile à suivre parfois. Chaque acteur avance ses théories, lit les événements au travers de sa propre grille de lecture. Le Hezbollah accuse Israël d’instrumentaliser le conflit syrien pour déstabiliser le Liban et qu’il n’a toujours pas digéré sa défaite de 2006. Les partis opposés au Hezbollah y voient un avertissement lancé à se dernier de se retirer du conflit syrien où il aurait des milliers d’hommes engagés et un poids significatif, particulièrement mis en lumière durant la bataille de Qousseir. En tous cas, il semble assez clair que ces événements visent à déstabiliser le Liban et à l’entraîner dans le conflit syrien alors que jusqu’à maintenant, il semblait avoir relativement limité les répercussions sur son territoire.

Suite aux attentats à la voiture piégée, un plan de sécurité a été déployé dans le pays par les forces de sécurité. Cette fois, il ne s’agit plus seulement d’une tension dans l’air mais bien d’une réalité physique : les militaires et les hommes des forces de sécurité intérieur peuplent les rues, les ronds-points et stationnent devant les bâtiments religieux et officiels. Particulièrement impressionnant fut dimanche dernier matin où en traversant le quartier chrétien d’un bout à l’autre, j’ai repéré des policiers à l’entrée de chaque lieu de culte, de chaque petite église de quartier. Il y a aussi les sécurités de quartier et de partis, bien armes qui font régner l’ordre sur leurs territoires respectifs, ceci n’augurant rien de bon si celles-ci prennent la place de l’Etat dans le maintien de l’ordre général. A Dayieh, où le premier attentat a eu lieu, les services de sécurité du Hezbollah interrogent à tour de bras et ce n’est vraiment pas le moment d’aller flâner dans le coin. En général, ce n’est plus trop le moment de flâner. Mauvaise influence des journaux ou air du temps, c’est la première fois que je marche dans la rue à côté d’une voiture en me disant qu’elle pourrait bien exploser. Ce matin en ouvrant le site du journal francophone L’Orient le jour, c’est un article intitule « Le Liban s’enfonce dans une véritable psychose du pire » qui m’accueille. Bonjour l’ambiance!

« Nadia est morte, Bassem est mort, Mama est morte et Papa aussi »

En arrivant au Liban, j’ai mis en place une de ses fameuses alertes google – Lebanon + refugees – en pensant trouver quelques articles sur les questions d’enfermement des migrants. Résultat, je me retrouve avec une revue de presse complète deux fois par jour relatant les centaines d’articles libanais, américains, européens ou encore asiatiques sur la fameuse crise humanitaire au Liban. Chaque jour on a droit à un article du style « Le nombre de réfugiés syriens a atteint le seuil de 700 000 au Liban » mais on peut également opter pour des versions plus lyriques « A refugee chid who has touched my heart » (Un enfant réfugié qui a touché mon cœur) ou encore d’affichage « La fondation x-y d’Arabie Saoudite aide les enfants syriens à relever la tête. » Bref. On ne sait plus où donner de la tête. Depuis quelques jours les journalistes reprennent en cœur un chiffre annoncé par le Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) et l’UNICEF : 1 million d’enfants syriens auraient quitté le pays depuis le début du conflit. Ces chiffres, ces articles, ces gros titres, on s’y habitue tristement. Au quotidien, quelle réalité recouvrent-ils ?

Des travailleurs syriens qui attendent au bord de la route qu’un employeur journalier leur donne de quoi travailler pour une bouchée de pain. Des enfants aux cheveux blondis par le soleil qui courent les rues, qui défilent entre les grosses jeeps aux carrefours et attendent patiemment au bas des bureaux de pouvoir vendre leur camelote ou leurs roses défraîchies. Des étudiants de Damas qui ont tout quitté pour trouver des travaux qui ne correspondent ni à leur formation, ni à leurs envies. Des soirées de déprime généralisée après l’annonce d’attaques chimiques dans les banlieues de la capitale syrienne au cours desquelles personne n’a le cœur d’aller boire des bières dans un bar branché de Gemeyze, chacun restant plutôt devant son écran, son youtube, son facebook pour y suivre les nouvelles. Les soirs d’attentas dans des quartiers connus de Damas, aimés et pleins de souvenirs où les amis syriens appellent en boucle ceux qui sont restés là-bas pour s’assurer que chacun est sain et sauf. Les contrôles aux frontières et la nécessité d’effacer de l’ordinateur et des carnets toutes les données, tous les écrits contre le régime avant de quitter Beyrouth pour prendre la route de Damas en cas de fouilles. Le triste foisonnement de vidéos sur le net ainsi que les témoignages qui nous arrivent de Syrie attestent de la radicalisation de groupes armes éparpillés dans le pays qui n’hésitent plus à tuer de simples passants parce qu’ils ne savent pas combien de fois ils doivent se baisser pour faire la prière du matin. Nausée. Hier, une amie arrivant de Damas me lisait une « blague » qui circule sur le net faisant référence aux livres scolaires pour enfants syriens où l’on suit une famille – Nadia, Bassem et leurs parents – dans toutes les moments de leur vie: Nadia a perdu une dent, Bassem a attrapé un beau poisson, Mama est partie avec des amies au souk etc. Mon amie me dit: « Voila, la nouvelle édition du livre est arrivée! La suite de l’histoire: Nadia est morte, Bassem est morte, Mama aussi est morte et puis Papa aussi est bien mort. » Et elle éclate de rire suivie par l’autre ami syrien présent. Un rire noir, glacial, un rire de guerre qui secoue les côtes quelques instants et donne encore plus de poids au lourd silence qui suit.

A la fin de l’année, une personne sur quatre vivant au Liban sera un réfugié syrien

Les agences onusiennes annoncent qu’à la fin de l’année, une personne sur quatre vivant au Liban sera un réfugié syrien. Un quart de la population. Evidemment ça dépasse l’entendement. Nous sommes sur un territoire d’environ 10 500 km 2, une superficie plus réduite encore que celle du département de l’île de France. Parfois, ça remet les idées en place de faire des comparaisons. Face à cette situation sans précédent, les discours officiels et dans les rues commencent à changer de direction appelant à protéger le Liban d’une situation humanitaire qu’il ne maîtrise déjà plus. Le parlementaire Michel Aoun leader du Bloc du changement et de la reforme a proposé de fermer les frontières et de n’accepter seulement les cas d’urgence humanitaire avec l’accord des Ministères de la Sante et de l’Intérieur. Comme si la plupart des arrivants de Syrie n’étaient pas déjà des « urgences humanitaires ». Un parlementaire libanais rencontré récemment a affirmé que la meilleure solution serait de construire des grands camps entre les frontières syriennes et libanaises afin que les réfugiés soient groupés et que leur présence ait moins de conséquences économiques et sociales sur le Liban. Pourtant jusqu’à maintenant, les autorités ont toujours refusé l’implantation de camps formels cherchant à tout prix à éviter un scénario a la palestinienne avec une douzaine de camps disséminés dans le pays sur lesquels les autorités libanaises n’ont aucun contrôle.

Courrier international - Dessin de Bleibel - Liban

Courrier international – Dessin de Bleibel – Liban

A la frontière entre la Syrie et le Liban, les syriens dont le passeport ou carte d’identité est abîmé (même une rayure ou une petite déchirure) se voient l’entrée refusée. Début août les chercheurs de l’organisation Human Rights Watch ont attesté de refoulements à la frontière, en particulier de Syriens Palestiniens cherchant à entrer sur le territoire libanais. Si ces refus ne sont pas systématiques, ni vérifiés a une plus grande échelle, il est important que les organisations présentes à la frontière puissent surveiller ces évolutions et prévenir les refoulements de personnes qui souhaitent demander l’asile auprès du UNHCR. Les services de sécurité libanais ont démenti avoir mis en place de nouvelles mesures soulignant que les mesures habituelles étaient simplement appliquées plus sérieusement car des personnes semblaient faire des allers-retours en 48 h afin d’aller toucher de l’aide humanitaire au Liban.  

Personne ne sait de quoi seront faits les prochains jours. Le fait que les pays occidentaux commencent à s’agiter a propos d’une intervention sur la Syrie n’augure rien de bon. Le fait que le Liban tienne encore la face est vraiment remarquable. En attendant, on ne voit pas les gens sortir pour manifester, pour dire non au conflit, non à l’armement de groupes qui assurent de manière privée la « sécurité » comme ça a pu être encore le cas il y a quelques mois quand la société tripolitaine était descendue dans la rue pour refuser que la guerre ne s’installe dans sa ville. Tout le monde a maintenant peur des attroupements. On attend donc mais dans la chaleur de la fin d’été, on commence à sérieusement manquer de souffle.