Dimanche 14 Juillet 2013[1]

N., sa femme et leurs deux enfants montent dans le bus assurant la liaison entre Belgrade et l’ouest de l’Allemagne. Ils partent rendre visite au frère de N. et à sa famille résidant là-bas. Il est 11h, et le bus, plein de voyageurs, démarre pour ce trajet de presque 10h. Le passage de la frontière serbe, au nord de Subotica, se fait sans problème particulier. Vers 15h, le bus est arrêté pour les contrôles habituels à la frontière hongroise, porte d’entrée de l’Union Européenne. Alors que les autres voyageurs n’ont pas à justifier leur voyage, N. doit faire face à toute une série de questions. Le contrôle d’identité est effectué par un policier portant un brassard bleu ciel de l’Agence Frontex. L’agent Frontex, ne parlant qu’allemand, demande à N. et sa famille les motifs de leur déplacement ainsi que de fournir les noms et adresses des personnes chez qui ils se rendent. Un autre voyageur du bus vient en aide à N. et assure la traduction jusqu’à ce que l’agent lui demande de partir. A défaut de pouvoir présenter une lettre d’invitation et un ticket retour, la famille de N. n’a pu entrer en Hongrie et s’est vue contrainte de rentrer à V*, ville du sud de la Serbie d’où ils sont originaires par leurs propres moyens et sans possibilité de remboursement de leurs tickets de bus d’une centaine d’euros par adultes.

L’application d’une loi… 

N. et sa famille ont fait l’objet de l’application d’une règlementation adoptée le 2 Juin 2011 sous le nom de « règlement régissant en détails les modalités d’exercice des pouvoirs de la police par les policiers aux frontières et les devoirs des personnes franchissant les frontières»[2]. D’après cette réglementation, la police aux frontières peut demander, en plus des habituels papiers d’identités, des documents légitimant le motif du voyage : lettres d’invitation, réservations d’hôtels, tickets retour, ou encore des preuves assurant des moyens de subsistances suffisants. Cette loi vise « à protéger les intérêts de la République de Serbie et de ses citoyens, ou à empêcher les abus du régime sans visa des citoyens serbes en UE »[3]. Elle a été adoptée suite aux pressions de l’Union Européenne souhaitant voir le nombre de ses demandeurs d’asile originaire des Balkans réduire, et à ses menaces d’une possible réintroduction des visas. Ainsi, d’après cet agent Frontex, N., sa femme et leurs deux enfants, appartenant à la minorité rom, menacent les intérêts de la Serbie et les accords de libéralisation du régime des visas, une manière diplomatique de dire qu’ils sont suspectés de vouloir demander l’asile en UE pour des raisons économiques.

…et les questions qu’elle soulève.

Dans ce bus, seules la famille de N. et une femme voyageant seule ont subi ces contrôles renforcés. Après  négociations, la femme a pu passer mais pas N. et sa famille. Comment, dans un bus d’une cinquantaine de voyageurs, les policiers aux frontières et agents Frontex décident-ils de qui contrôler ? Depuis des mois, les Roms de  Serbie sont pointés du doigt par les Etats membres de l’UE comme abusant de la liberté de circulation permise par la libéralisation du régime des visas entre la Serbie et l’UE depuis 2009. Aussi, les personnes appartenant à une minorité ethnique, en particulier les Roms voyageant en famille, comme N., plus que tous autres citoyens serbes, sont davantage susceptibles de faire l’objet de ces contrôles arbitraires, d’être traités avec suspicion, questionnés et interdits d’entrée en UE. Ce genre « d’incident » à la frontière est de plus en plus fréquent et s’inscrit dans une logique largement acceptée par les politiques, les médias et l’opinion publique si bien qu’on en oublierait presque de se demander à partir de quand serait-il justifié de parler de discrimination et de stigmatisation systématique des Roms et des marginaux aux frontières…



[1] Dans un souci d’anonymat les dates, lieux et initiales ont été changés.

[2] Uredba o bližem uređivanju naćina vršenja policisjskih ovlašćenja policijskih službenika granične policije I dužnostima lica koje prelazi državnu granicu, Službeni glasnik Republike Srbije, br. 39/2011

[3] Ibid. art. 1.