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Le mouvement européen Blockupy s´est de nouveau manifesté cette année les 31 mai et 1er juin 2013 à Frankfurt, pour dénoncer le régime de crise instauré au sein de l’Union européenne. Il s´agissait d´amener au cœur de ce centre décisionnel et d´affaires européen, la résistance aux politiques d’appauvrissement menés par les gouvernements et la Troïka : la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne et le Fonds Monétaire International. 20 000 personnes ont défilé le samedi 1er juin dans les rues de Frankfurt.

Genèse de l´action : « Nous ne payerons pas votre crise ! »

A l´origine de cette action européenne, on trouve le mouvement de contestation contre les inégalités sociales « Occupy », qui a fleuri un peu partout dans le monde à partir de 2011, et qui pendant plus d´un an avait déjà occupé le parvis de la Banque Centrale Européenne (BCE), avant de se faire évacuer manu militari.

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Photo: Roarmag.org (Copyleft)

Plusieurs réseaux de gauche radicale allemande (dont l´Interventionistische Linke et l´Ums Ganze) qui traitent de la crise et des conséquences désastreuses du capitalisme financier depuis des années, ont alors salué l´implication nouvelle de nombreuses personnes jusque là peu politisées et la forme horizontale de ce mouvement de base émergent.

En lien avec ces militants, ils lancent alors un appel européen pour une journée d´action de blocage de la BCE, suivi le lendemain d´une grande manifestation de solidarité internationale, notamment avec la Grèce et l´Espagne, contre les politiques d´austérité et les ravages du capitalisme financier.

Malgré les maintes tentatives juridiques d´interdiction de la manifestation, une répression policière démesurée et les arrestations en amont, des milliers de militants venus de toute l´Europe répondront à l´appel. La préparation de cette première édition de juin 2012 a créé une riche émulsion de liens entre les mouvements de base européens : « Blockupy Frankfurt » est né et reviendra, et ce dès l´année suivante, en juin 2013.

Le concept : « Bloquer, marquer, manifester »

Lors de la journée d´action du 31 mai, il s´agissait de rendre visibles les acteurs de la crise à l´aide d´actions de désobéissance civile visant à perturber pour une journée symbolique le cours normal de leurs activités et transformer Frankfurt en une ville de contestation bruyante et colorée. Le programme fut le suivant :

De 5h du matin à 12h30, blocage de masse de la BCE, qui s´est déroulé avec succès. 3000 personnes ont bloqué les rues et les différents accès à la BCE, l´idée étant d´ enfermer symboliquement la BCE et le système qu´elle représente.

S´est ensuivi la 2e vague d´actions créatives et colorées visant quelques acteurs et profiteurs précis de la crise :

Dans le hall de la Deutsche Bank contre son implication dans la spéculation financière sur les matières premières agricoles et l´accaparement des terres, responsable d´une véritable politique de la faim

Au cœur de l´artère commerciale de Frankfurt (la Zeil) pour exposer les conditions de travail brutales dans l´industrie textile

Devant le siège de sociétés immobilières pour affirmer notre droit à la ville

A l´aéroport de Frankfurt d´où sont effectuées la majorité des expulsions

De graves atteintes aux libertés fondamentales au cœur de la première puissance européenne

A l´instar de l´année précédente, un important dispositif policier a été déployé, non seulement dans Frankfurt mais également en amont, afin d´effectuer, à l´aide d´un arsenal juridique plus que douteux, des contrôles systématiques voire des arrestations de militants se rendant à l´événement.

Permettez-moi ici de témoigner de ma propre expérience. Nous étions cinq cars au départ de Berlin, dont un car organisé par les réfugiés de l´Orianenburg Platz. Salut matinal des renseignements généraux, jusque-là tout est « normal ». Après 6 heures de trajet, nos cinq bus sont stoppés par la police à l´aire de Butzbach, 50km avant Frankfurt. Plus d´une centaine de policiers nous attendent dans la cour de ce petit poste de police d´autoroute.

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Photo: Björn Krietzmann

Le deal : « soit vous vous laissez contrôler, fouiller et photographier un par un, et vous continuez vers Frankfurt, soit vous rentrez à Berlin ». La justification : « vous êtes potentiellement violents ». Nous voilà face à des atteintes criantes au droit de circulation et de manifestation. Ce ne sera qu´un début. S´ensuit un bras de fer de plus de 3 heures, durant lequel les militants refusent de descendre du bus et donc d´être contrôlés, tandis que la police vide les affaires sur le parvis et maintient la pression.

« Vous pouvez évidemment vous rendre aux toilettes, mais vos papiers s´il vous plaît !». Pour la petite histoire une parlementaire du parti Die Linke venue en renfort videra elle-même le seau d´urine alors utilisé en urgence à bord du bus. Nous sommes aux limites du respect de la dignité humaine. Le bus des réfugiés, dont plusieurs étaient sans-papiers, sera contraint de repartir vers Berlin, tandis que tous les autres poursuivant vers Frankfurt seront minutieusement fouillés et photographiés. Je demande à la policière qui me fouille de la tête au pied quelles en sont les raisons : « Nous vérifions que vous n´avez pas amené de protections. – Des protections… contre la violence ?- Nous sommes obligés de le faire », répond-elle embarrassée.

En Allemagne, le port de tout type de protection corporelle lors d´une manifestation est considéré comme un délit « de port d´arme passif ». Des centaines de personnes seront blessées par la police durant la manifestation légale du samedi, je recevrai un coup de poing en plein visage par un policier.

Un exercice permanent de la démocratie directe

Une fois arrivés au « camp anticapitaliste » le moral est de retour et la logistique y est impressionnante : tentes de réunion, « VoKü » (cuisine collective miltante), point d´informations, bibliothèque,bar, scène, points d´eau…le tout fonctionnant sur le principe de l´auto-organisation.

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Photo: Alex Kraus

Des assemblées plénières et des réunions de groupes sont organisées chaque jour sur le camp pour préparer les actions, elles sont traduites en anglais et en arabe. Chacun fait partie d´un « groupe d´affinités » formé librement. (3 à 10 personnes environ) au sein duquel un délégué peut être envoyé pour prendre les informations, consulter le groupe, et rapporter la décision collective .

Cette structure permet d´intégrer chacun au fonctionnement, aux décisions et de s´assurer que personne ne reste isolé en cas de problème. Les militants arrivants seuls peuvent alors joindre ou former un groupe d´affinités. Cette structure est utilisée aussi bien pour les discussions de fond que pour une prise de décision rapide, mais néanmoins démocratique, durant les actions ou les situations d´urgence.

Les modes d´organisations horizontaux de ce type requièrent évidemment plus d´énergie qu ´un fonctionnement hiérarchique classique. L´exercice de la démocratie directe, auquel nous ne sommes pas habitués, ne va pas de soi. Cependant avec un peu de pratique et l´utilisation d´outils simples facilitant la prise de décision horizontale (médiation, tour et temps de parole, réaction du groupe par des signes manuels…), il devient rapidement possible de parvenir à des discussions saines et efficaces. Il s´agit pour le mouvement d´adopter un mode de fonctionnement cohérent avec ses revendications pour une société plus démocratique.

Un millier de militants arrêtés, des centaines de blessés

La première journée d´action s´est déroulée avec succès et relativement peu d´agressions de la part de la police, notamment en comparaison de la première édition. C´est cependant lors de la manifestation légale du lendemain, qui a rassemblé 20 000 personnes, que l´escalade de violence policière et d´atteintes intolérables au droit de manifester et de circuler a eu lieu.

Une demi-heure après le départ du cortège, des centaines de policiers anti-émeutes sont entrés dans le corps avant de la manifestation et ont stoppé et encerclé les blocs de gauche radicale. Coincés entre deux barres d´immeubles, plus personne ne peut sortir et la police bloque fermement le reste du cortège réclamant le droit de poursuivre cette manifestation légale. Comme le dénonceront nombres de militants et de parlementaires par la suite, l´opération était visiblement prévue, notamment dans le but de ficher les militants les plus radicaux.  

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Photo: dpa

Après une heure les autorités proposent un chemin alternatif pour la manifestation, mais refusent de relâcher les militants parqués à l´avant. Les organisation politiques telles ATTAC, les syndicats de travailleurs, les partis et tous les autres militants restés « libres » refusent d´abandonner une partie des manifestants et malgré les sommations de la police avant intervention, décident de rester solidairement. La situation restera alors bloquée jusqu´au soir.

A l´avant, les militants tiennent à conserver l´ambiance festive et à désamorcer l´escalade de violence recherchée par la police. Afin de contester pacifiquement les méthodes de surveillance et de répression policière, ils chaussent des lunettes de soleil et agitent en dansant des parapluies colorés, réclamant le passage libre pour Blockupy. La police s´appliquera à les évacuer violemment. 

La technique est simple : compresser peu à peu la foule puis entrer dans les blocs en rouant de coups les militants. Les personnes lâchant enfin prises sont arrêtées, plus de 800 militants seront enfermés pendant plusieurs heures. Concernant le reste du cortège exigeant légitimement le droit de poursuivre la manifestation, les personnes se relayant à l´avant seront victimes des « sprays au poivres » de la police allemande qu´ils pulvérisent à très courte distance, directement dans le visage, provoquant une douleur insoutenable. De nombreuses personnes sont évacuées, s´ajoutant aux centaines de personnes blessées.

Rendez-vous l´année prochaine…

Ces méthodes, utilisées au cœur d´une grande démocratie européenne, rappellent tristement la phase dure de répression des années 70 et ne sont pas si loin des exactions actuelles commises à l´encontre des manifestants en Turquie ou au Brésil, qu´Angela Merkel a d´ailleurs publiquement condamnées.

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Photo: Tobias M. Eckrich

Le samedi suivant, 10 000 personnes se sont rassemblées à nouveau à Frankfurt pour contester la répression policière, et ont brandit lunettes de soleil et parapluies de couleur, devenus le symbole de la démesure des méthodes employées face à un mouvement pacifique. Nombre de parlementaires présents lors de la manifestation ont fait des déclarations publiques pour dénoncer ce scandale.

Voilà ce qu´il en coûte donc, lorsque l´on chatouille les symboles du système capitaliste financier : la réponse est violente, mais le mouvement de contestation en devient d´autant plus nécessaire et grandissant. Blockupy reviendra l´année prochaine, et vous êtes cordialement invités…