J’ai eu, la semaine dernière, la chance de rencontrer Bob Williamson, membre de la section londonienne de l’International Solidarity Movement. C’est l’occasion d’en savoir plus sur l’Histoire de l’ISM, l’une des organisations emblématiques du mouvement de solidarité. Ainsi que sur sa vision stratégique, et les différentes campagnes en cours.
  
La création de l’ISM remonte à la seconde intifada, en 2001. Le palestinien Ghassan Andoni et la palestinienne d’origine israélienne Neta Golan en sont à l’origine, tout comme Huwaida Harraf, palestino-américaine, et son mari Adam Shapiro, américain juif antisioniste. Dans la charte de l’ISM, les deux militants et ceux qui les rejoindront écriront « L’International Solidarity Movement est une organisation non-gouvernementale palestinienne regroupant des pacifistes palestiniens et internationaux travaillant à promouvoir la lutte pour la liberté en Palestine et pour la fin de l’occupation israélienne. Nous utilisons des méthodes de résistance non-violentes et des actions directes pour affronter et défier les Forces illégales d’occupation israélienne et leur politique.
Comme il est stipulé dans le droit international et dans les résolutions de l’ONU, nous reconnaissons aux Palestiniens le droit de résister à la violence israélienne et à l’occupation par tout moyen armé légitime. Cependant, nous pensons que la non-violence peut être une arme puissante pour combattre l’oppression et nous nous sommes engagés sur des principes de résistance non-violente. »

  
  

D’autres branches sont rapidement créées dans plusieurs endroits du monde, les sections internationales les plus importantes se trouvant aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Danemark. C’est ainsi qu’en août et décembre 2001, 50 puis 70 militants internationaux (britanniques et américains pour la plupart) se sont rendus en Palestine, afin de participer aux manifestations contre l’occupation, et de s’interposer face à la répression de l’armée israélienne. En plus de tenter de fournir une protection civile aux Palestiniens confrontés à la violence de l’Etat d’Israël, les militants ont ensuite rendu compte dans leurs pays respectifs de la situation vécue par les Palestiniens, afin d’intensifier les campagnes de solidarité.
  
Le troisième séjour en Palestine organisé par l’International Solidarity Movement débute le 29 mars 2002. C’est aussi le jour où commence le siège de Ramallah, qui maintiendra Arafat retranché à Mouqata’a, son quartier général. La même semaine, l’opération est répétée dans chaque ville palestinienne de Cisjordanie (à l’exception de Jericho), et les Palestiniens se retrouvent confrontés au couvre-feu et à une occupation militaire totale. Un appel à rejoindre la Cisjordanie est rapidement lancé par l’ISM, et, comme le raconte le site internet de l’organisation «fin avril, des centaines de civils étrangers étaient venus dans les territoires palestiniens occupés pour aider à livrer de la nourriture, accompagner les ambulances et le personnel médical ainsi que pour servir de boucliers humains dans les villes, villages et camps de réfugiés. Les pacifistes d’ISM ont violé le couvre feu et les ordres israéliens décrétant les zones civiles : « zones militaires interdites », pour apporter de l’aide humanitaire, arrivant avant l’aide des ONG et maintenant une présence pendant tout le temps des raids et assauts israéliens. De plus, les pacifistes d’ISM furent les premiers à documenter les violations des Droits de l’Homme commises contre les Palestiniens à travers des interviews et des documents montrant les destructions. »
  
  

  
En mai 2002, invité sur CNN après sa visite à Yasser Arafat à Ramallah, Adam Shapiro, déclare « la résistance palestinienne doit être établie sur une pluralité de caractéristiques, à la fois violente et non violente. Mais plus important : il faut élaborer une stratégie impliquant à la fois les aspects de résistance non-violente et des plus violente. Ce ne sera pas moins noble que d’effectuer une opération suicide. » La reconaissance du droit des Palestiniens à utiliser la lutte armée contre l’occupation, couplée à la volonté d’articuler celle-ci aux formes de lutte non-violente prônées par l’ISM est au cœur de la démarche des militants.
  
Assez rapidement, les activités de l’International Solidarity Movement se heurteront à la violence de l’occupation. C’est ainsi que le 16 mars 2003, Rachel Corrie, militante américaine âgée de 24 ans, est tuée à Gaza par l’armée israélienne, alors qu’elle s’opposait à des destructions de maisons. De nombreux témoignages (notamment rapportés dans le film que la réalisatrice franco-israélienne Simone Bitton a consacré aux circonstances de sa mort) établissent que que le conducteur du bulldozer a délibérément assassiné Rachel Corrie, en l’écrasant deux fois alors qu’elle était placée face à l’engin d’une manière très visible.
  
  

  
A peine un mois plus tard, le 11 avril 2003, Thomas Hurndall, militant et photographe britannique de 22 ans, est abattu d’une balle dans la tête par un sniper israélien à Gaza, alors qu’il tentait de secourir des enfants palestiniens confrontés aux tirs des soldats. Après neuf mois passés dans le coma, Tom Hurndall s’est éteint le 13 janvier 2004. Pour Bob Williamson comme pour de nombreux militants du mouvement de solidarité, ces deux assassinats avaient pour but de signifier aux militants souhaitant apporter un secours aux Palestiniens qu’ils ne devaient pas s’estimer en sécurité en raison de leurs statuts de ressortissants de pays occidentaux.
  
  

  
En 2009, un autre militant de l’ISM, Tristan Anderson, est blessé par l’armée israélienne lors d’une manifestation à Ni’ilin, et restera tétraplégique.
  
Un autre destin tragique est celui de Vittorio Arrigoni, militant italien de l’ISM, qui avait emménagé à Gaza en 2008. Il sera l »un des seuls militants internationaux à ne pas quitter le territoire lors de « l’opération plomb durci », où l’armée israélienne tuera 1330 Palestiniens dont 895 civils, et les articles qu’il publiera sur son blog Radio Guerrilla, seront la seule source occidentale dans la bande de Gaza, les journalistes n’y ayant aucun accès. Ses textes seront ensuite édités dans un livre intitulé Rester humain à Gaza. Mais bien que très apprécié de l’immense majorité des Palestiniens, le 14 avril 2011, Vittorio est enlevé par un groupe salafiste, qui lance un ultimatum au gouvernement du Hamas, menaçant d’exécuter l’otage si les militants salafistes enfermés dans les prisons palestiniennes ne sont pas libérés. Vittorio sera exécuté le lendemain, avant même la fin de l’ultimatum. Les Palestiniens comme les organisations de solidarité sont abasourdis, et le meurtre est condamné par le Hamas, l’Autorité Palestinienne, ainsi que par le Front Populaire de Libération de la Palestine. Le jour de la mort de Vittorio et dans les jours suivants, des milliers de Gazaouis de toutes tendances politiques manifesteront pour dénoncer ce meurtre. Les mémoires de Vitttorio, Rachel et Thomas sont continuellement honorées à Gaza.
  

  
Bien sûr, si entre 20 et 30 des militants britanniques de l’International Solidarity Movement, se rendent chaque année dans les territoires occupés, les activités de l’ISM ne se réduisent pas à l’organisation de voyages en Palestine. Le soutien à la campagne BDS (Boycott, Désinvestissements, Sanctions) pour faire reculer Israël, comme les actions directes pour casser la machine de guerre font parti des autres modes opératoires des militants, dont beaucoup se sentent liés aux cultures anarchistes ou autonomes. Ainsi, à Brighton, lors de l’opération plomb durci, un collectif nommé Smash EDO a, par des blocages et sabotages, infligé plus de 5 000 livres de dommages à l’EDO Aircraft Corporation, productrice d’armes pour l’armée israélienne. Les militants ont été relaxés lors de leur procès, le tribunal reconnaissant que leur action avait pour but d’empêcher des crimes de guerre.
  
Aussi, en juin 2012, les militants de l’ISM ont été très investis dans l’animation d’un squatt londonien nommé Palestine place, ouvert afin de faire connaître la cause palestinienne, et créer des espaces de discussion et d’organisation. Quotidiennement, les habitants y organisaient des projections de films, conférences, débats et manifestations. Cet espace a permis créer des liens au delà des cercles militants traditionnels (et même au delà des associations pro-palestiniennes). Ceux qui ont animé la Palestine place ouvrent en ce moment le Cuts café, dont l’activité aura pour but de débattre des moyens de lutter contre l’austérité, en vue de la journée de grève du 20 octobre et de la suite à y donner. Cet exemple prouve qu’un internationalisme conséquent n’a pas seulement pour but de soutenir la révolte des peuples d’autres nations, mais commande de porter aussi la révolte là où l’on vit.