Le 3 octobre prochain, à Mulhouse, le procès en appel de militants solidaires de la cause palestinienne devra dire si le fait de dénoncer l’occupation de la Palestine et d’appeler au boycott des produits d’une économie basée sur la colonisation constitue un délit. En décembre 2011, les militants acquittés déclaraient à la presse que la liberté d’expression avait gagné. Quant à lui, leur avocat affirmait que ce jugement créait un précédent en faveur des militants de la campagne. Le mal nommé « Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme » avait fait appel de la décision. Les cercles pro-israéliens faisant pression sur le législateur dans de nombreux pays occidentaux pour systématiser les poursuites à l’encontre de quiconque soutient la campagne de BDS (Boycott, Désinvestissements, Sanctions) à l’égard d’Israël, la confirmation de ce jugement leur offrirait un sérieux revers.
  
La campagne d’intimidation commença en 2009. A l’origine, une plainte fut déposée par le magasin Carrefour pour «détérioration légère » à l’encontre de Sakina Arnaud, qui avait apposé sur une bouteille de jus d’orange un autocollant appelant au boycott d’Israël. L’association « Avocats sans Frontières » présidée par Gilles-William Goldnadel (par ailleurs membre de la chambre de commerce France-Israël et du bureau du CRIF) déposait elle aussi une plainte, et les poursuites portèrent finalement sur une « incitation à la discrimination raciale, nationale ou religieuse ». En 2010, lors de son procès, Sakina fut soutenue par le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (qui faisait remarquer que les produits israéliens ne respectaient pas l’accord entre Israël et l’Union Européenne imposant une traçabilité des produits des colonies), ainsi que par la Ligue des Droits de l’Homme qui, bien qu’elle ne soutienne pas le boycott d’Israël, appelait à ne pas confondre la critique d’Israël et l’antisémitisme. Malgré ces appels à la raison, l’argument de l’appel à la discrimination fut retenu. Sakina fut condamnée à payer une amende de 1 000 euros, à verser 1 euro de dommages et intérêts à « Avocats sans Frontières », ainsi qu’à payer leurs frais de justice s’élevant à 500 euros. Quant à eux, les dirigeant du magasin Carrefour furent déboutés. La condamnation fut confirmée par la cour appel, ainsi que par la Cour de cassation.
  
Quelque mois plus tard, en juin 2009, à l’Assemblée Nationale, Eric Raoult, alors député UMP et membre du « groupe d’amitié France-Israël » interpellait Michèle Alliot- Marie, ministre de la Justice, à propos de la campagne BDS. Dénonçant des « intrusions violentes » dans des magasins « des banlieues », le député affirmait (à tort) que les partisans du boycott n’appelaient pas seulement au boycott des produits israéliens, mais ciblaient aussi les produits cashers. Dans sa réponse, la ministre tenait à préciser que la campagne ne portait que sur les produits israéliens et non les produits cashers. Apparemment peu au courant de la plainte alors déposée par Carrefour, elle affirmait qu’aucun supermarché ou association n’avait jusqu’alors saisi les tribunaux, mais tenait à le rassurer sur le fait qu’il y aurait des poursuites si des magasins décidaient de porter plainte.
  
A ce jour, le cas de Sakina Arnaud constitue la seule condamnation portant sur un appel au boycott depuis le lancement de la campagne BDS, bien que l’on dénombre de nombreuses autres tentatives, à la suite d’une circulaire envoyée en février 2010 (pendant le procès de Sakina) par Michèle Alliot-Marie. Le document, que le nouveau gouvernement français n’a pas abrogé, demande aux magistrats de poursuivre systématiquement ceux qui appellent au boycott des produits israéliens et affirme qu’en cas d’acquittement, ceux doivent informer le ministère des raisons de leur décision. Le Syndicat de la Magistrature avait qualifié cette circulaire d’ « attentat judiciaire », dénonçant une atteinte grave à la liberté de la Justice ainsi qu’un exemple de plus de la répression contre le mouvement social. La semaine suivante, lors du dîner annuel du CRIF, Michèle Alliot-Marie liait lutte contre l’antisémitisme et interdiction de la campagne BDS. De plus, alors qu’elle avait contredit Eric Raoult à propos de son mensonge sur l’appel au boycott des produits cashers, elle reprit cette fois l’affirmation à son compte.
  
Nous pouvons remarquer que les procédures menées à l’encontre des militants de la campagne ont pris soin de ne viser que des petits groupes (voire des personnes seules), afin de réduire à un ensemble de faits divers, alors qu’il convient de définir le BDS comme une campagne politique. En 2010, Ulrich, un militant de la cause palestinienne, fut ainsi poursuivi pour avoir posté sur sa page facebook la vidéo d’une action d’appel au boycott menée à Paris après l’opération « plomb durci », sans qu’aucune des personnes présentes à l’action ne soit inquiétée. Condamné dans un premier temps, Ulrich fut acquité en 2012 par la Cour d’Appel de Paris. La même année, Omar Slaouti (militant du NPA) et Alima Boumediene-Thiery (Sénatrice d’Europe Ecologie) furent aussi poursuivis. Comme dans tous les autres cas, les plaintes étaient déposées par la Chambre de commerce France-Israël, « Avocats sans Frontières » et le « Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme ». A la suite d’une campagne de soutien aux militants, la Cour a décidé de ne pas se prononcer sur le fond, et a prononcé la relaxe pour vice de forme.
  
A la fin de la même année 2010, une tribune intitulée Le boycott d’Israël est une arme indigne paraissait dans le Monde, affirmant que « l’illégalité de la démarche ne [faisait] aucun doute, et [que] la Cour ne [tarderait] pas à le confirmer ». Cette tribune était notamment signée par Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Bertrand Delanoë, Manuel Valls et François Hollande. Quelques semaines plus tard, une réponse signée par de nombreuses personnalités du mouvement de solidarité avec la Palestine paraissait dans le même journal, constatant que les signataires de la première tribune feignaient d’oublier que le mouvement BDS ne visait rien d’autre que le respect des résolutions de l’ONU.
  
Les années suivantes, en 2011 et 2012, plusieurs meetings, conférences et débats sur la campagne de Boycott devaient se tenir dans d’autres endroits que ceux initialement prévus, des universités et écoles retirant au dernier moment les autorisations données. Le “Conseil Représentatif des Institutions Juives de France” se félicitait de cette censure, et en remerciait Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
  
Cette même année 2011, Olivia Zémor, présidente de l’association Europalestine, poursuivie en raison de la mise en ligne d’une vidéo d’une action d’appel au boycott sur le site de l’association, ainsi que plusieurs militants du mouvement de solidarité, étaient acquittés. A la suite d’un procès ayant duré jusqu’à minuit et au cours duquel sont intervenus de nombreux intellectuels et personnalités, la cour établit qu’appeler au boycott de produits en provenance d’Israël n’excédait pas le cadre la liberté d’expression, et n’avait pas de rapport avec l’incitation à la discrimination à l’égard d’un groupe de personnes. En mai 2012, la Cour d’Appel a en parti infirmé le jugement. Si elle considère toujours que « la critique d’un État ou de ses politiques ne peuvent pas être considérés, en principe, comme portant atteinte aux droits ou à la dignité de ses ressortissants, sans affecter sérieusement la liberté d’expression dans un monde désormais mondialisé, dont la société civile est devenue un acteur majeur, et ne constitue pas un ‘délit contre un État étranger’, qui n’a jamais été établi en vertu du droit de fond ou du droit commun international, parce que ce serait contraire à la norme communément admise de la liberté d’exprimer des opinions. », elle condamne comme « outrageant » et « incitant au racisme » le parallèle fait dans la vidéo par le maire d’Al Masara entre l’achat de produits israéliens et l’achat d’une balle pour tuer des enfants palestiniens. A la suite du jugement, Olivia Zémor affirme que le plus important était la confirmation par la Cour que l’appel au boycott des produits israéliens est légal. En outre, le tribunal a fait remarquer que « certains secteurs de l’opinion israélienne soutiennent l’appel BDS ». Déçus que la campagne BDS ne soit pas condamné en tant que tel, les plaignants se sont pourvus en cassation.
  
Deux autre acquittements dans des affaires similaires ont été prononcés les mois suivants. D’une part, en décembre 2011, les douze militants du comités BDS de Mulhouse ont été acquittés, après une plainte du “Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme” portant sur une distribution de tracts à l’entrée d’un magasin. Le parquet a fait appel, et c’est ce nouveau procès qui se tiendra dans les prochains jours. D’autre part, en mai 2012, alors que le parquet de Bobigny avait requis quatre mois de prison avec sursis et 2 000 € d’amende à l’encontre de quatre militants de la campagne (dont Ulrich et Olivia, déjà poursuivis précédemment), ceux-ci ont été relaxés par le tribunal de grande instance. Là aussi, le parquet a fait appel.
  
Si les trois jugements précédemment cités étaient confirmés, cela devrait en toute logique rendre très difficile l’activité des cercles pro-israéliens tentant de criminaliser ceux qui luttent contre l’occupation. Cela pourrait aussi servir d’argument aux militants de la campagne BDS aux Etats-Unis, confrontés à des tentatives similaires de répression, bien que la citation y soit encore loin de la situation dans l’hexagone. La France est en effet le seul pays où des militants sont convoqués devant les tribunaux pour de simples distributions de tracts appelant au boycott d’Israël en vue du respect des résolutions de l’ONU. Dans le cas où les acquittements seraient infirmés, les militants de la campagne BDS à Mulhouse et Bobigny pourraient se pourvoir en cassation. La bataille n’est pas encore totalement finie.