Ma chère I,

Il y a bien des choses que j’aimerais te raconter du quotidien ici. Tu manques pour rire et flotter dans les nuages d’insolitude qu’on traverse parfois par ici. Je ne pourrais te dire tout sans en oublier la moitié. Mais voici un petit récit que j’aimerais te conter :

« Rome, dans le hall d’un hôtel qui pourrait être n’importe où, 23 mars. N. reçoit un coup de téléphone d’un mec que je ne connais pas. Toi, tu es là d’ailleurs. Quelqu’un doit intervenir quelque part « au nom de la CMJC ». S’agit-il d’assister, de participer, d’animer ? A quoi exactement ? Et où ? Bon, au moins, ce sera le 4 avril, c’est déjà un début. Dans l’effervescence des activités italiennes, on n’y pense plus vraiment, d’autres choses à faire, bien plus concrètes et stimulantes que ce truc dont on ne sait rien et qui parait bien loin. je m’en préoccupe d’autant moins que je sais que je ne rentrerai au Maroc que la veille et que, si de nouvelles informations arrivent, j’en serai averti.
Rabat, 3 avril, au fond du bocal qui nous sert de bureau. N. est en vacances, pas plus d’infos ne nous sont parvenues à part une ligne dans un mail général qui évoque une participation d’A.. A quoi? On ne sait toujours pas. On fait le point tous les deux. Après un peu de relance, on obtient une réponse : on reçoit le programme. Oh tiens!, ça a déjà commencé en fait le truc. Eh, mais attends?! C’est pas le truc sur lequel I. devait bosser en janvier, ça?! Ouais, tu sais, quand on a réfléchi ensemble pendant deux jours, qu’elle s’est cassé la tête à écrire une note trop canon, sur un projet de base bidon et apolitique qui ne nous parlait pas du tout. Ça y est, ça te parle ? Ouais, voilà, exactement, quand on lui a répondu que non, en fait, c’était pas la peine de faire ça parce que les français avaient déjà bouclé le programme et d’ailleurs, tiens, c’est genre l’UNESCO (what?!) qui nous benne le programme, sans rien de politique dedans. Un joli « je t’emmerde » reçu emballé dans du papier glacé virtuel. Tu te souviens, on s’était dit qu’on laissait tomber ce truc-là, enfin normal. Mais « qu’on lui ferme la porte au nez, il reviendra par les fenêtres » comme disait un de nos illustres (et bien futés) ancêtres.

Bon, on reçoit des infos plus de 24h à l’avance et A. a presque été consulté pour savoir s’il souhaitait participer à ce truc, c’est déjà pas mal, non ? Et, en plus, ce sera l’occasion de choper un peu des contacts, vu qu’il y a plein de jeunes militant-e-s du bassin méditerranéen qui seront là. Allez, on se motive ! « A., tu y vas demain soir, tu fais ton speech tranquille, genre on est les reustas de la justice climatique au Maroc et moi, je me farcirai la journée de restitution publique, on verra bien. »

A. a effectivement fait son intervention, péniblement entrecoupée de la traduction semble-t-il. Pas de traces écrites malheureusement. Quant à moi, j’y suis allé avec un peu d’aprioris (bah juste ce qu’il faut, tu me connais, je ne suis jamais dans l’excès quand il s’agit de critiquer ! 😛 ) à Casa. C’était l’occasion de bouger, de manger une petite friture de poissons dans le port avec Q. (tmtc) et de découvrir un peu plus la mère marocaine de tous les vices, la capitale économique où tout est possible, où tout co-existe à côté de son contraire dans un contraste saisissant. Et le passage en cinq minutes du thé à volonté trop bon et des nappes crasseuses du resto en plein air du déjeuner au bar panoramique de l’hôtel 4 étoiles où se déroulait la rencontre n’est pas étranger à un certain sentiment d’irréalité quand j’écoute parler du manque de participation des jeunes à la vie publique. Malgré la beauté de la vue (je regrette de n’avoir pas chargé mon téléphone pour te faire des photos), une personne de l’assistance aura l’agréable impolitesse de le faire subtilement remarquer. Entre belles déclarations, constats collectifs plus ou moins attendus, interrogations et auto-congratulations, l’après-midi passe tranquillement. Mon intervention pour insuffler un peu de politique (je tremblais, brrr) a fait mouche, elle m’a permis de rencontrer quelques personnes sympathiques et de partir à la découverte d’un quartier historique de la ville que je ne connaissais pas avant de revenir à Rabat.

Globalement, entre visite amicale, représentation mondaine politique de la coalition et visite touristique, on peut dire que la journée n’est quand même pas perdue. Dommage que tu n’aies pas pu y assister aussi, j’aurais aimé partager tout ça en ta compagnie, un peu de colère commune, rire de certaines absurdités et apprécier les belles rencontres malgré tout. En attendant de te revoir, je te livre « ci-après » le rendu détaillé des discussions, soyons sérieu-x-ses tout de même (…).

Bonne lecture ! 😉

Compte rendu de la journée publique Euromed : « État des lieux de la situation des jeunes en Méditerranée »

(également paru sur le site de la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique)

Le Réseau Euromed France (REF) organisait du 3 au 5 avril 2017, en partenariat avec le Réseau Euromed marocain des ONG, des rencontres sur les « jeunesses méditerranéennes », qui réunissaient environ 80 jeunes de différentes associations de 14 pays. Etaient ainsi convié-e-s de jeunes militant-e-s associatives et associatifs du Maroc (bien sûr !), d’Algérie, de Tunisie, de Lybie, d’Egypte, de Palestine, de Syrie, du Liban, de Grèce, de Malte, d’Espagne, d’Italie (ou de Turquie, j’ai un doute), de France et du Portugal. Malheureusement, les autorités ont bloqué le départ ou l’arrivée d’au moins trois jeunes de la Syrie, de la Libye et de Gaza.

L’idée est de réunir tous ces acteurs qui « partagent des enjeux communs » pour leur permettre de « co-construire des solutions innovantes » comme l’a souligné Sarah Chelal, chargée de la coordination des activités autour de ce cycle de rencontres sur les jeunesses méditerranéennes. Il s’agissait donc, à travers 8 ateliers (2 ateliers sur chacune de ces quatre thématiques : emploi, culture, mobilité et citoyenneté), de fournir un « espace de réflexion pour les sociétés civiles » du bassin méditerranéen sur la (les) jeunesse(s), à la fois « acteur majeur » de l’avenir de nos sociétés et « principal groupe victime » des effets des crises économiques, sociales, politiques et écologiques. C’est donc volontairement que les thèmes dégagés étaient aussi vastes, rassemblant des « enjeux globaux et essentiels » et qui « s’interconnectent ». Louise Plun, en charge du dossier « Jeunesse et Vie Etudiante » au sein du REF, a précisé ensuite que l’objectif était de faire l’état des lieux, sur ces enjeux, des différentes situations des sociétés méditerranéennes et « d’imaginer la situation de la jeunesse en 2030 » pour « formuler des recommandations » et « ancrer [cette] action dans l’agenda 2030 et les Objectifs de Développement Durable ».

Mohcine Hafid a ensuite présenté le partenaire marocain qui accueillait la rencontre, à savoir le Réseau Euromed Marocain des ONG, qui regroupe plus d’une centaine d’organisations de la société civile au Maroc, pour la promotion et la défense des droits de l’homme.

Restitution des ateliers

Nadjib Benbousseta, participant algérien à la rencontre et Hager Harabech, venue de Paris, ont ensuite procédé à l’exercice difficile de la restitution de deux jours intensifs de réflexion collective sur les quatre thématiques précédemment évoquées.

Emploi

Les deux ateliers de la thématique « emploi » portaient sur la nécessaire conjonction de l’accès à l’emploi et de l’utilité sociale et sur l’épineuse question de la formation. Les participant-e-s ont relevé « l’inadéquation des formations au marché de l’emploi » en précisant que les entreprises ne s’y « retrouvaient pas ». Un manque d’investissement dans le secteur de l’éducation et de l’enseignement a également été pointé, avec notamment de grosses défaillances en milieu rural.

Par ailleurs, des freins importants ont été notés quant à l’accès à l’emploi, notamment la « corruption », le « favoritisme » et les « barrières culturelles » qui sont de sévères freins à l’objectif d’ « égalité des chances ». En outre, le manque d’orientation des jeunes, dans le milieu scolaire et après, a également été relevé.

Les recommandations portées par ces ateliers ont porté sur une réforme de l’éducation qui intégrerait davantage les « soft skills » (j’ai cherché pour vous, il s’agit, pour faire vite, des qualités humaines et relationnelles), les attentes des entreprises et la sensibilisation à la diversité culturelle. La rencontre propose aussi comme recommandation la « décentralisation des structures éducatives » pour permettre une meilleure répartition territoriale et un développement de l’offre éducative en zone rurale. Enfin, les participant-e-s à ces deux ateliers ont tenu à souligner les potentialités de l’économie sociale et solidaire pour promouvoir un autre rapport au travail, plus en phase avec les impératifs écologiques et les exigences sociales.


Mobilité

Les discussions autour du thème de la mobilité ont été, elles, guidées par l’exigence d’ouverture culturelle par la généralisation des « dispositifs en faveur de la mobilité en Méditerranée » et la déconstruction des mythes sur la circulation en Méditerranée.

Comme l’a rappelé la rapporteuse, il s’agit d’une « problématique brulante » actuellement. Les limites à la mobilité Sud-Nord sont connues de toutes et tous mais elles ont bien été rappelées. La xénophobie a notamment été citée comme un frein notable à la mobilité. Mais la restitution a aussi permis de pointer que d’autres limites existent, puisque notamment pour ces rencontres, plusieurs personnes n’ont pas pu effectuer les déplacements.

Par ailleurs, il existe des différences notables sur les situations, notamment selon des critères de revenus (et les jeunes sont très touché-e-s par des situations de revenus faibles et irréguliers), d’âge et de genre (il a été rappelé, par exemple, que des autorisations parentales et/ou maritales sont encore requises pour les jeunes, surtout les jeunes femmes, de certains pays du bassin méditerranéen).

La faible utilisation, voire même l’inexistence de visas ou de statuts intermédiaires entre les séjours touristiques et les longs séjours de travail, a été également critiquée comme un frein à la mobilité et comme source de précarité administrative et psychologique pour les jeunes (notamment dans des cadres d’études ou de volontariat).

Les participant-e-s ont formulé des recommandations telles que l’intégration systématique du principe de mobilité dans les politiques publiques euroméditerranéennes sur la jeunesse, le développement massif des dispositifs de volontariat et de mobilité à l’international et la diffusion large des informations afférentes, l’assouplissement des politiques d’octroi des visas, y compris dans l’axe Sud-Sud et, enfin, le développement de la coopération décentralisée et des bourses d’échanges universitaires entre les pays du Sud.

Citoyenneté

Les ateliers rangés sur la grande bannière de la citoyenneté ont permis aux jeunes militant-e-s associatives et associatifs présent-e-s d’aborder les questions complexes du rapport des jeunesses aux médias et de la participation à la vie de la cité. Ils ont commencé par un rappel des Traités Internationaux qui concernent les droits et les devoirs liés à la citoyenneté puis ont cherché à identifier les freins rencontrés concrètement dans l’exercice de celle-ci. Le premier étant, bien évidemment, le non-respect de ces traités internationaux, à des degrés divers, dans la plupart des pays concernés.

Répression de la liberté de pensée ou de culte, de la liberté d’expression et réunion, de la liberté de la presse ; marginalisation des jeunes et de leurs problématiques dans l’espace public ; consommation passive des médias et manque d’esprit critique ; manque de renouvellement des classes médiatiques et politiques, avec un problème de contenu et d’adaptation du discours par rapport aux attentes des jeunes sont les principaux handicaps repérés dans ces ateliers de réflexion.

Pour changer la situation, les jeunes présent-e-s proposent la mise en place de politiques qui garantissent la protection des libertés publiques individuelles et collectives, la mise en place « d’espaces alternatifs » de médias qui pourraient servir de lieu de transmission d’information et de médiation entre les jeunesses et les médias grand public, l’éducation à la citoyenneté et aux médias (à l’accès, à l’utilisation et à la production d’informations). Pour finir, elles et ils proposent la mise en place de hauts conseils à la jeunesse et salue à ce sujet l’engagement récent du royaume chérifien dans cette voie.

Culture

Dernier thème mais pas des moindres, celui de la culture. Il s’agissait pour les participant-e-s de déterminer les principaux obstacles pour l’accès et la production d’œuvres culturelles. Il a été rappelé que de nombreux Traités Internationaux abordaient cette problématique mais que ceux-ci étaient trop rarement appliqués…

D’autres problèmes tels que l’autocensure, voire même la censure institutionnelle, ou encore le caractère souvent élitiste de la culture considérée comme légitime, ont été relevés. L’un des obstacles majeurs auxquels la jeunesse semble être confrontée, quel que soit le pays, est le manque d’accès aux lieux de production et de consommation de culture, lié en partie au cloisonnement entre les arts légitimes et les cultures urbaines et populaires.

Comme l’a habilement remarqué la rapporteuse, il manque une « culture de la culture » : il faudrait selon les conclusions des deux ateliers « réinventer une pédagogie de la culture », y compris auprès des différents acteurs culturels, favoriser l’accès à un statut qui reconnait l’activité culturelle et ses spécificités, encourager les dispositifs mobiles et la production de culture dans les langues vernaculaires pour sortir les productions culturelles des ghettos où elles s’enferment. Enfin, de façon plus globale, les ateliers se sont engagés dans le sens d’un travail intellectuel pour repenser les cadres de formation et de transmission entre acteurs de la culture, que ce soit pour l’appréciation ou la production. Il faut former davantage et mieux, en promouvant la pratique artistique, pas seulement l’apprentissage des théories.

La parole a ensuite été donnée à l’assistance, qui a fait remarquer la nécessité de pointer des responsables (notamment en rappelant que les principaux obstacles à la mobilité proviennent des politiques migratoires de la rive Nord de la Méditerranée) et qu’il fallait décentrer le regard de l’Europe (en proposant la constitution d’un réseau Afrimed sur la rive sud de la méditerranée). La question du passage à l’action après cet inventaire est également revenue à plusieurs reprises, ce sur quoi les responsables du Réseau Euromed France et plusieurs participant-e-s ont rappelé la nécessité de continuer à échanger, à travailler ensemble, à diffuser les analyses et les recommandations élaborées ici et à reprendre sur le terrain, dans le travail quotidien des associations, les éléments de réflexion qui ont émergé durant ces trois jours. Pour finir, plusieurs personnes ont évoqué l’impératif politique comme condition sine qua non pour avancer sur ces thèmes, chacune usant alors d’un vocabulaire bien spécifique, reflétant la diversité des situations politiques autour du bassin méditerranéen : exigence de « démocratie dans les pays arabes » pour l’une, de « stabilité politique » pour un autre participant et même évocation des contextes nationaux sous « état d’urgence » comme un obstacle majeur à la diffusion pacifiée de valeurs.

 

Etat des lieux des obstacles et des opportunités pour la jeunesse par pays

La deuxième partie de la journée a portée sur les témoignages de six participant-e-s aux rencontres, venu-e-s du Maroc, d’Algérie, de France, de Tunisie, d’Espagne et du Liban. Chacun-e d’entre elles et eux devait essayer, en quelques minutes, de dresser un portrait global de la jeunesse dans son pays, des obstacles qu’elle rencontre mais aussi des opportunités qui s’offrent à elle.


Maroc

C’est Khaoula Gharnate, membre de l’association Amal « Femmes en mouvement pour un avenir meilleur », qui a ouvert le bal pour le Maroc, avec l’honneur fait au pays d’accueil de la rencontre. Etudiante d’une vingtaine d’années, elle a tout d’abord rappelé que la jeunesse représente environ 30% de la population totale du royaume. Elle a souligné un problème que presque toutes celles et tous ceux qui l’ont suivi ont évoqué : celui du chômage des jeunes, encore plus important que dans le reste de la population et en augmentation (de 20% en 2015 à 23% en 2016 chez les 15/24 ans). Ce phénomène touche y compris les étudiant-e-s qui sortent des grandes écoles et convoque une problématique voisine qui est celle du « favoritisme ». Un chiffre impressionnant en effet : « plus de 63% des jeunes trouvent un emploi par leur réseau » !

Elle a ensuite évoqué l’absence d’une culture d’autoformation au Maroc et le manque d’adaptation de la formation universitaire vis-à-vis du marché du travail. Elle en appelle donc à « joindre la pratique à la théorie » dans l’enseignement supérieur au Maroc. Les jeunes marocain-e-s font également face, selon elle, à des problèmes d’orientation graves, liés à une forte pression familiale et une détermination des parcours en fonction des résultats scolaires et non des envies des jeunes. En milieu rural (mais pas seulement), elle évoquait aussi un sévère manque de qualification, beaucoup de jeunes quittant le système scolaire sans diplôme, par pression pour travailler ou par manque d’infrastructures. Pour compléter le tableau de la situation de l’éducation des jeunes, elle a parlé du « surpeuplement des classes » dans le public qui entraine une baisse de la qualité du service public de l’éducation.

En outre, elle a pointé le manque d’implication des jeunes dans la vie publique, qui ne font pas confiance aux partis politiques et qui n’ont pas bénéficié durant leur scolarité d’éducation à la citoyenneté. Elle note cependant quelques exceptions intéressantes, comme celle de la plus jeune députée, âgée seulement de 21 ans et la création d’un réseau de jeunes pour une meilleure gouvernance qui travaille à l’émergence de jeunes leaders politiques. Elle évoque en parallèle la chance de certain-e-s de pouvoir partir faire des études et d’autres expériences à l’étranger et espère que le retour de ces jeunes apportera quelque chose de nouveau et de riche au sein du royaume.

Algérie

En Algérie, Mohamed Amine Seghier a observé une situation assez comparable, avec une jeunesse qui représente environ 30% de la population nationale. Il a cependant tenu à rappeler que la jeunesse ne constituait pas un groupe homogène et qu’elle était traversée par de multiples divisions, de genre, de situation socio-géographique, de richesses, de situation d’handicap ou de validité, de migrations, de travail ou de chômage, d’études, de rapport à l’art… Mais, de façon générale, la jeunesse est marginalisée et stigmatisée en Algérie, a-t-il rapporté, alors qu’elle est prête à participer à la vie publique.

Après un petit questionnaire auquel ont répondu 110 jeunes (tou-te-s étudiant-e-s et presque tou-te-s militant-e-s dans des associations, donc il prévient sur les biais éventuels), il dégage les problèmes suivants : manque de communication entre jeunes et entre les jeunes et les pouvoirs publics ; obstacles multiples à la réalisation de projets ; inégalités d’opportunités… Mais il relève aussi que beaucoup d’entreprises et d’associations sont créées et/ou animées par des jeunes (environ 70% d’après lui).

Il termine son intervention sur la nécessité de se changer soi-même pour changer le monde et en reprenant à son compte une citation qui dit : « les gens célèbres sont des personnes ordinaires qui se sont engagées pour des buts extraordinaires ».

France

Les jeunes (moins de 25ans) sont près de 20 millions en France, d’après la présentation qui a été faite, dont près de 2,5 millions sont inscrit-e-s dans l’enseignement supérieur. En France aussi, les jeunes sont sur-représenté-e-s parmi les chômeuses et les chômeurs.

L’exposé a ensuite évoqué une « crise de confiance en la démocratie française », relevant notamment que 52% des jeunes prévoyaient de s’abstenir lors des élections à venir dans quelques jours. En opposition, d’autres formes d’expression surgissent, notamment des pratiques illégales, qui expriment un rapport de conflictualité par rapport au gouvernement et aux institutions, comme en témoignent les photos mobilisées à l’appui de tags « Nique l’Etat ! » et de feux de poubelle sur la voie publique. Il manque en France une vision d’avenir pour les jeunes, ce qui favoriserait la montée des extrémismes et la recherche de bouc-émissaires. Ce pays serait dans une période qui facilite « le recrutement et l’enrôlement dans des mouvements anarchistes ou encore pour l’Etat Islamique ».

Cela étant, la France offre un certain nombre de garanties en termes de libertés publiques et le participant à la rencontre qui en faisait la présentation a affirmé que la jeunesse française avait en main tous les outils légaux pour s’exprimer mais qu’elle n’en saisissait pas assez. Par ailleurs, il a tenu à rappeler que les dispositifs sociaux et le faible coût (il a même parlé de gratuité) des études universitaires permettaient que « tout le monde puisse faire des études ».

Tunisie

Pour la Tunisie, les problèmes rencontrés par la jeunesse ne semblent malheureusement pas si différents des autres, même après la révolution de 2011. Un fort chômage subsiste (le chiffre de 6,3millions a été évoqué) et notamment chez les 15/34 ans qui représentent 34% de la population. Ainsi, les chômeurs et chômeuses diplômé-e-s seraient au nombre de 2,6 millions en Tunisie. Sont évoquées pêle-mêle pour expliquer la situation : la non-conformité des diplômes face aux exigences du secteur privé, le manque d’acceptation sociale de la reconversion professionnelle (notamment chez les jeunes), le manque d’orientation ou encore la surqualification.

En outre, si les moins de 35 ans représentent tout de même 12% des élu-e-s au parlement (un effet probable de la révolution), ils ne représentent qu’1,4% des personnes ayant des responsabilités au sein des partis. Cause ou effet ? Il est toujours difficile de distinguer qui vient en premier de l’œuf ou de la poule mais le champ politique tunisien investit trop peu, d’après le témoignage d’Abdelaziz Bousleh (de « 2 mains tu crées »), les problématiques spécifiques de la jeunesse. A titre anecdotique, il explique notamment que 80% du budget du Ministère de la Jeunesse et des Sports est consacré… au sport.

Cela étant, il note que le contexte post-révolutionnaire en Tunisie offre une réelle liberté d’expression, avec un foisonnement associatif et politique (plus de 200 partis coexistent désormais dans l’espace tunisien) et des efforts entrepris en direction de la jeunesse (avec des mesures qui poussent les forces politiques à intégrer les jeunes sur leurs listes électorales, à raison d’au moins un-e sur trois pour les premiers noms et d’au moins un-e sur six pour le reste).

Autre aspect souligné lors de son exposé et relevé immédiatement par l’assistance : la question de l’extrémisme religieux violent. Il a rappelé sur un ton semi-humoristique que la Tunisie était « le premier pays exportateur de djihadistes », en particulier vers la Syrie, dont il a rappelé la dimension importante dans le texte coranique et les mésinterprétations auxquelles cela peut conduire. Un membre de l’assistance a rebondi en rappelant que la cause profonde, du moins selon lui, des départs en Syrie relevait du sentiment d’abandon et de la marginalisation des jeunes et que c’était à ce problème qu’il fallait s’attaquer pour éradiquer l’influence du djihadisme terroriste. L’opinion qui semblait donc dominante était plus celle de l’islamisation de la radicalité que celle de la radicalisation de l’islam[1].

Espagne

Si le discours officiel en ce qui concerne la péninsule ibérique est empli d’optimisme face à la crise, la réalité que nous a décrite Natalia Torres Bravo (de l’association des Etats Généraux des Etudiants de l’Europe) semble plus complexe… et plus sombre. Elle a effectivement parlé de « cantines sociales pleines à craquer », a évoqué un chômage (des jeunes, a priori) qui atteignait les 43% en 2016, la baisse des salaires et la montée du recours à l’intérim et aux contrats précaires et a, en outre, souligné les inégalités de salaire qui précarisent encore davantage les femmes. Chez les jeunes, cette situation entraine un net recul de l’indépendance vis-à-vis des structures familiales, avec un départ du domicile parental vers 30 ans en moyenne, puisque le fait de travailler en Espagne n’offre plus systématiquement les ressources nécessaires à l’indépendance économique. De fait, 3 jeunes sur 5 opteraient désormais pour l’expatriation comme solution à leurs difficultés économiques. L’intervenante n’hésite dès lors pas à parler de « fuite des cerveaux ».

Sur le plan éducatif, 19% des 18/24 ans seraient en décrochage et elle aussi note que les formations ne sont pas suffisamment adaptées au marché du travail. Mais les questions relatives à la jeunesse ne semblent pas intéresser les partis politiques espagnols, qui parlent davantage aux 15% de la population retraités qu’à des jeunes qui se désinvestissent de ce champ, même si l’érosion récente du bipartisme a quelque peu modifié la donne. Elle pose la question de manière un peu provocatrice : « Qui ignore qui ? » dans ce domaine…

Pour le reste, elle a tenu à rappeler le poids de la culture et de l’éducation non formelle dans la société espagnole, qui détient le plus fort taux (d’Europe ? de la Méditerranée ? du monde ?) de pratiques culturelles et où le recours aux cours complémentaires est devenu monnaie courante. Elle a également insisté sur l’importance pour la jeunesse ibérique des politiques européennes tournées vers la jeunesse, et notamment des opportunités de mobilité qu’elles offrent.

Liban

Après avoir rappelé que les 15/29 ans représentent environ 28% de la population nationale au Liban, Samar Boulos (de la fondation Safadi) a largement insisté sur le gros problème de l’éducation, en particulier dans le très délaissé secteur public, qui entraine un grand nombre d’abandons scolaires. C’est évidemment un frein important à l’intégration économique des jeunes. En outre, les métiers techniques sont très dévalorisés et cela renforce le manque d’opportunités pour les jeunes sur le marché de l’emploi. Mais son analyse a également porté sur le manque d’analyse critique et de participation à la vie publique des jeunes, et notamment sur leur défiance vis-à-vis des processus électoraux et sur les problèmes que rencontre la jeunesse dans son accès à la culture.

 

Les retours de la salle vis-à-vis de ces présentations ont été riches et variés. Ils ont permis de corriger certaines maladresses ou inexactitudes, comme notamment sur le cas français où la juxtaposition des mouvements de la gauche radicale et des mouvements haineux (extrême-droite ou extrémisme religieux) a été jugée déplacée ou encore sur les inégalités sociales persistances, voire même en phase d’aggravation, notamment sur l’accès aux études supérieures. Un débat a éclaté en fin de séance sur l’importance du phénomène touristique, notamment en Espagne, et des problèmes que cela pose lorsque le tourisme invisibilise les problèmes sociaux dans les sociétés qu’il traverse, ce qui est un problème partagé par de multiples sociétés sur le pourtour méditerranéen.

D’autres interventions sont venues questionner le leitmotiv de l’inadaptation des formations scolaires ou universitaires au « marché de l’emploi ». Il a été rappelé qu’en termes économiques, c’est l’entreprise qui fait une demande de travail (plus qu’une offre d’emploi) auprès des travailleuses et des travailleurs, ce qui est un élément de langage à ne pas perdre dans les mouvements de la gauche et de la société civile, et que le but premier de l’éducation est bien de donner des outils pour l’émancipation individuelle et collective et non la bonne adaptation à un prétendu « marché de l’emploi » ou autres « attentes des entreprises ». Et ce, d’autant que ces marchés de l’emploi n’offrent, en ce moment dans le bassin méditerranéen, qu’un nombre très réduit d’opportunités. En réalité, les jeunes sont de mieux en mieux formé-e-s et seraient en capacité d’apporter de nouvelles visions et de nouvelles perspectives, tant dans le secteur public, politique, privé ou associatif. Le problème est bien qu’aucun de ces secteurs ne leur laisse la pleine possibilité d’exprimer leurs potentialités et de faire leurs propres expériences, qu’il s’agisse de réussites ou d’échecs. Dans ce contexte, les jeunes ne « veulent pas perdre leur temps » et se retrouvent dans une situation de défaitisme, voire de désespoir et renoncent à l’engagement associatif, parmi d’autres possibilités.

 


A retenir

En guise de conclusion, on peut constater que plusieurs points reviennent, à des degrés et dans des formulations diverses, dans de nombreuses sociétés méditerranéennes. Avant de s’y intéresser plus en détail, on peut aussi noter que les définitions de la jeunesse sont très variées, selon les indicateurs choisis et selon les pays. Il pourrait être intéressant de travailler sur les bornes de cette notion floue (où commence et où termine la jeunesse ?), sur les rites de passage symboliques à l’âge adulte, sur l’effet de la diffusion de cette catégorie et notamment sur la signification du recul permanent de l’âge adulte. Sommes-nous condamné-e-s à rester jeunes toute notre vie ? « L’état de jeune est[-il] un passage, une maladie dont on guérit », comme l’affirmait sans sourciller l’ancienne présidente du syndicat patronal français et surtout, que signifie en « guérir »? Voilà des questions qui restent en suspens…

Pour le reste, de façon prégnante, c’est tout d’abord le chômage qui est pointée comme un problème majeur pour la jeunesse, au Nord comme au Sud de la mer Méditerranée. Il semble que, de ce point de vue, la crise économique et sociale mondiale qui perdure a largement aggravé la situation des pays européens et a ainsi rapproché les vécus des jeunesses de ces pays avec ceux des jeunes du Maghreb et de la rive (sud-)orientale, qui font face à un très fort taux de chômage, y compris pour les jeunes diplômé-e-s, depuis bien plus longtemps.

L’autre limite qui revient très souvent dans la bouche des intervenants et dans les jeunes qui se sont exprimé-e-s depuis l’assistance, c’est le sentiment d’impréparation pour faire face au marché du travail. Si le rôle de l’école et de l’université est un sujet de controverses et un enjeu politique majeur, la diffusion de ce sentiment et la façon dont il s’exprime témoignent bien des inquiétudes partagées des jeunesses de la Méditerranée et du poids de la pression économique qui pèse sur tous les individus qui débutent dans la vie active.

Une défiance massive envers l’action politique semble s’être installée dans plusieurs sociétés du pourtour méditerranéen, mais nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui pointent les responsabilités des institutions et des partis dans ce phénomène, ce qui témoigne également d’une prise de conscience et d’une certaine radicalité de la jeunesse, qui peut ensuite s’exprimer de manières multiples. De manière assez similaire, la question de l’accès à la culture et des freins qu’y rencontrent les jeunes se posent dans plusieurs pays, que ce soit en termes de possibilités de création ou d’accès aux lieux de consommation. Mais il semble que, malgré des avis plus pessimistes (avec des termes forts comme « désespoir », « désintérêt », « pas de vision d’avenir », « crise de confiance »…), des franges de plus en plus importantes de la jeunesse prennent acte de cette situation mais refusent de s’en contenter. Ainsi, de nouvelles pratiques tentent, expérimentent, pour reprendre la parole et ne pas se laisser déposséder de ces deux éléments centraux de la vie publique, que sont l’engagement politique ou associatif et la culture.

Sur la question de la mobilité, les inégalités Nord / Sud sont nettement plus marquées et le contexte politique européen de lutte contre l’immigration n’aide en rien. Il est clair que les ressortissant-e-s des pays européens bénéficient de privilèges relativement importants en la matière par rapport aux autres et de dispositifs plus accessibles. Cela étant, un tableau plus complexe a été dressé, notamment en raison des refus de sorties de territoire ou d’octroi de visas qui dessinent aussi des responsabilités chez les autorités des pays du Sud. En outre, plusieurs intervenant-e-s issues des sociétés orientales et méridionales ont relevé aussi en quoi la mobilité, même partielle, pouvait être un atout et une opportunité pour l’enrichissement culturel et la stimulation de leurs sociétés. De nombreux espoirs sont fondés dans la voie de l’élargissement des dispositifs permettant la mobilité des jeunes, malgré un contexte très difficile, ce qui démontre un optimisme certain dans l’avenir et l’envie de voir au-delà des barrières mentales où on pourrait croire enfermées les jeunesses du bassin méditerranéen.

 

 

[1] Sur ce débat universitaire très investi par la sphère médiatique ces derniers mois, on pourra lire ou écouter :

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01324861 ; https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/lislamisation-de-la-radicalite ; http://www.slate.fr/story/115019/univers-impitoyable-experts-islam