Refugiados, Bem-Vindos !

Volontaire dans le cadre de la session 25 du programme Echanges & Partenariats, je suis envoyée par le CCFD-Terre Solidaire auprès de leur partenaire le Rede Sem Fronteiras à São Paulo, au Brésil.

Vous avez dit Brésil ?

J’avais choisi d’atterrir le dimanche 30 octobre, jour du second tour des élections nationales au Brésil (1), dans l’idée d’être aux côté du peuple brésilien pour ce moment qui s’annonçait historique. 

Il faut dire qu’un mois plus tôt, les résultats du premier tour avait suscité stupéfaction et incompréhension. Alors que les sondages donnaient déjà pour vainqueur le candidat Lula Da Silva, ex-ouvrier métallurgiste, ancien président socialiste et principale figure de l’opposition ; son adversaire et actuel président Jair Bolsonaro était finalement arrivé non loin derrière lui avec 43% des votes (au lieu de 30% estimés!), et ce malgré un mandat – à plusieurs niveaux – désastreux. 

En discutant avec des brésilien·ne·s, on se rend rapidement compte que ce vote pour Lula est en réalité plutôt un vote contre Bolsonaro : malgré les disparités d’opinions au sein de la gauche, durant toute sa campagne Lula a essayé de constituer une alliance pour la démocratie ; et contre le projet du camp bolsonariste marqué par une volonté de concentration des pouvoirs et de remise en cause des institutions démocratiques brésiliennes. Une volonté déjà éprouvée au cours de son mandat par des tentatives de renversement de l’équilibre des pouvoirs, …là où un second mandat aurait constitué une réelle menace pour le régime démocratique brésilien. Les propos recueillis par le Courrier International de Carlos Giberlto Carlotti Junior, recteur de l’université de São Paulo, expriment sans doute avec plus d’exactitude ce qui se joue dans cette élection : 

« Après deux cent ans d’indépendance, nous devrions songer à notre avenir, à la façon de résoudre les graves problèmes que nous connaissons dans l’éducation , la santé et l’économie. Or nous en sommes réduits à empêcher un recul. » 

Carlos Giberlto Carlotti Junior

Discussion en compagnie du philosophe brésilien Vladimir Safatle sur le(s) fascisme(s) de part et d’autre de l’atlantique. Cycle de conférence « Penser l’actualité brésilienne, penser le temps présent depuis le Brésil » à Paris courant fin octobre 2022.

… et nous permet de saisir un tant soit peu l’atmosphère extrêmement tendue qui régnait à mon arrivée pour ce second tour, après un long mois écoulé durant lequel les deux camps s’étaient affrontés, sur les plateaux télé, à travers les réseaux sociaux et dans la rue, aussi. 

Picanha, cerveja e Lula 2022

Je n’avais pas vraiment planifié comment allait se dérouler cette soirée. Après avoir déposé mes valises dans la chambre de l’auberge, je rejoignais les quelques personnes – à mon grand soulagement partisanes de Lula – agglutinées autour de la télé dans l’attente du dépouillement qui débutait à 17h. Les premières heures s’écoulèrent lentement, le stress montait devant les résultats donnant à première vue Jair Bolsonaro en tête suivi de peu par notre candidat. En plus, nous avions eu échos d’une journée de scrutin mouvementée et semée incidents dans le camp bolsonariste, notamment lorsque la députée Carla Zambelli, soutien de Jair Bolsonaro, poursuivit un homme racisé en le pointant de son arme ; puis lorsque la PRF (Polícia Rodoviaria Federal) avait commencé à effectuer des contrôles routiers dans la région du Nordeste – région pro-Lula qui avait fait la différence de votes lors du premier tour, créant ainsi des embouteillages monstres et retardant les électeur·rice·s jusqu’à en priver certain·e·s de leur droit.

« De la picanha,
de la bière & Lula 2022″

Pour cette soirée électorale, nous étions nous-mêmes resté·e·s à l’auberge car de nombreu·ses·x  brésilien·ne·s jugeait les rassemblements de rue trop dangereux. Les canettes de bière s’accumulaient, les cigarettes se consommaient sur un rythme continu et tous les yeux rivés sur la petite télé de l’auberge de jeunesse. 

Le métro bondé peu après l’annonce

A 18h47 et 69,86% du dépouillement effectué : première effusion de joie après l’annonce de Lula en tête ! Je vous laisse imaginer l’exultation lors des résultats à 19h57 de sa victoire avec 50,90% des voix : klaxons, musique, feux d’artifice, cris et chants victorieux dans les rues réanimées de São Paulo. Vite, nous rejoignîmes le métro où semblaient s’être donnés rendez-vous les partisan·e·s du candidat socialiste, formant ainsi une marée humaine, un flux se mouvant vers une même direction : l’Avenida Paulista, point de rassemblement désigné par Lula et artère centrale de la ville, était noire de monde. Je garderai certainement en mémoire ces images de la foule en liesse, les cris, les pleurs, les chants, les churrascos improvisés et les sourires sur les visages,  témoignant de l’euphorie partagée et du soulagement d’une majorité de l’électorat. 

L’Avenida Paulista le soir-même

…un soulagement ressenti aussi à l’international, entre autre du fait de la politique de déforestation menée par Jair Bolsonaro durant son mandat, devenu un problème climatique global ; mais aussi du fait de ce combat entre l’extrême-droite et un camp plus démocratique, qui est un combat qui se joue au Brésil mais aussi dans d’autres parties du monde, et notamment en Europe.

Le plus dur à venir ?

Cette victoire est cependant à re-contextualiser puisque son obtention s’est tenue à seulement 2 millions de votes près sur une participation d’environ 124 millions de votant·e·s, montrant ainsi une société brésilienne en réalité extrêmement divisée. Cette tension s’est ressentie les jours qui suivirent l’élection notamment dans l’espace public, lors de démonstrations de force des partisan·e·s de Bolsonaro par le blocage de grands axes routiers dans tout le pays ; et par l’organisation de manifestations devant les lieux de commandement militaire, ces mêmes partisan·e·s y réclamant une intervention de l’armée. Il n’était pas anodin de les croiser également dans la rue ou dans le métro, arborant fièrement des habits aux couleurs du Brésil, si ce n’est jusqu’à se vêtir du drapeau sur les épaules, toute une symbolique nationale réappropriée par l’extrême-droite brésilienne. Et parallèlement, un président en place ne reconnaissant qu’à demi-mots ces résultats. 

Sur les toits de São Paulo, on aperçoit 3 hélicoptères de l’armée qui survolent la ville suite à un incident lors d’une manifestation pro-Bolsonaro, quelques jours après les élections.

C’est dans ce contexte tumultueux que je faisais mes premiers pas à São Paulo !


Les raisons de ma venue

Sans m’épandre davantage et comme précisé plus haut, je suis arrivée en terres brésiliennes dans le cadre de la session 25 du programme Echanges & Partenariats, envoyée par le CCFD-Terre Solidaire chez leur partenaire, le Rede Sem Fronteiras.

Le RSF, plaît-il ?

Créé en 2008 sous le nom de « Espacio Sin Fronteras » et par la suite constitué en réseau dès 2015 lors de son articulation à la péninsule ibérique, le Rede Sem Fronteiras (Réseau Sans Frontières) est une institution basée à São Paulo, née dans l’idée de répondre au désir de structuration de plusieurs associations partageant une vision commune sur les migrations (une vision autre que les visions hégémoniques des gouvernements et grands organismes).

Le RSF agit pour la défense et la promotion des droits des migrant·e·s et des réfugié·e·s, et dans l’articulation de la diaspora latino-américaine ; l’objectif principal étant – pour cette organisation issue de la société civile – d’impacter politiquement les espaces de décisions à plusieurs niveaux, local, régional et international, et ce en proposant des politiques publiques alternatives dans une perspective « bottom-up », du bas vers le haut, du peuple vers les gouvernements, tout en défendant une vision globale des migrations, du droit à une citoyenneté universelle soit le droit de migrer et de migrer avec des droits.

Le réseau compte actuellement 18 organisations en son sein.

Ma mission

L’année prochaine, le RSF va célébrer son 15e anniversaire 🎂. En vue de cet évènement, l’axe principal de mon travail est d’aller à la rencontre des différents membres du réseau et autres acteur·rice·s stratégiques afin d’élaborer ensemble une mémoire collective de l’institution.

Comme je l’ai déjà largement commenté, la situation politique actuelle au Brésil est en train de prendre un tournant suite à la récente élection du président Lula Da Silva, annonçant la future formation d’un gouvernement de gauche, rejoignant la tendance des gouvernements progressistes qui gagne l’Amérique Latine et ouvrant à nouveau le dialogue sur les questions migratoires à l’échelle nationale comme sur le plan régional et international (2).

Ce moment semble donc opportun pour construire un récit et raconter l’histoire du RSF afin de ré-ancrer ses nombreuses actions, de façon à démontrer plus globalement son rôle d’acteur phare de la société civile au sujet des migrations. Ce travail a également pour fins l’élaboration de pistes collectives de réflexion et d’action dans l’optique de faire face aux nouveaux défis – migratoires – qu’impliquent une société en perpétuel mouvement.


(1) Ce même jour, les brésilien.ne.s ont voté au second tour des élections gouvernorales 2022. Ce scrutin se déroule tous les 4 ans dans le but d’élire les gouverneurs des 26 Etats et du District Fédéral du Brésil.

(2) Même si à certains niveaux les marges de manoeuvre de ce gouvernement pourraient être faibles : premièrement car à l’issue des élections des députés et sénateurs le dimanche 2 octobre 2022 c’est un parlement davantage conservateur et libéral qui s’est renouvelé risquant de mettre en difficulté le futur président ; et deuxièmement car le gouverneur de l’Etat de São Paulo élu ce même dimanche 30 octobre se situe à droite de l’échiquier politique où la question migratoire est absente de son discours. 

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