La crise financière de 2008 a affaibli l’économie de la plupart des pays du monde, l’Europe ne fut pas épargnée. Cette récession se ressent sur l’activité économique, certains pays atteignent des taux d’endettement rarement égalés, c’est le cas de la Grèce avec 120% de son PIB, et connaissent une augmentation significative du taux de chômage (+13 point en Espagne, +19 en Grèce).

En réponse, le gouvernement allemand d’Angela Merkel propose un plan de redressement économique avec pour (seul) objectif : sauver l’Union Européenne (et donc l’euro) à tout prix quitte à précariser davantage les populations. Pour les pays les plus fragilisés, dont la Grèce, c’est la Troika (alliance entre la Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et le Fond Monétaire International) qui est chargée d’auditer la situation économique et l’état des finances publiques du pays. La Troika intervient une première fois en Grèce en 2010, et propose un programme de prêts (380 milliards d’euro en tout, sous différentes formes : prêts, sommes injectées directement, effacement de dettes) contre un premier protocole d’accord.

Cette politique d’austérité affecte la vie quotidienne des citoyens sous plusieurs angles. Les systèmes de santés sont mis à mal, les dépenses publiques en Espagne et au Portugal diminuent respectivement de 3 milliards et 670 millions. L’exemple de la Grèce est aussi éloquent : en 2014, trois millions de personnes avaient perdu leur couverture sociale (majoritairement des suites de perte de leur emploi).

Le logement est également un indicateur parlant, après l’explosion de la bulle immobilière les prix ont d’abord diminué avant de remonter en flèche. Les constructions immobilières ont chuté, particulièrement dans le parc social. L’endettement est passé en moyenne de 66,4% du revenu disponible des ménages en 2004 à 81,8% en 2012. Parallèlement, aucun gouvernement ne se positionne contre les spéculations immobilières, qui ne cessent de faire d’augmenter les prix du foncier et rendent difficile pour les plus précaires de se loger décemment en ville.

En Grèce l’accès à un logement digne et durable devient compliqué, fragilisé par des lois récessives, qui facilitent notamment les expulsions, il n’est désormais plus nécessaire d’avoir recours à une décision de justice. En outre, le logement social est quasiment supprimé en 2012, les aides au logement sont supprimées pour près de 120 000 ménages ainsi que les allocations logements des personnes âgées. En 2014 on compte 500 000 personnes dehors ou logées dans les logements insalubres ou indécents.

Les memorandums se succèdent en Grèce (trois au total), au cours desquels il est demandé au peuple grec de voter pour ou contre le remboursement de la dette et donc le maintien ou non de la Grèce dans l’Union Européenne. Lors du dernier référendum qui a lieu en juillet 2015, le peuple s’exprime contre à 60%, une forte mobilisation citoyenne émerge à cette occasion, avec des manifestations, notamment sur la célèbre place Syntagma. Pourtant le gouvernement négocie avec les financiers européens. Alexis Tsipras le reconnaitra lui même, « la loi de la finance a été plus forte que la volonté des citoyens » 1. La Grèce est donc obligée de rembourser sa dette tout en suivant un plan de redressement économique rude. Pour conséquence les inégalités sociales se creusent davantage, et la crise touche également les classes moyennes et supérieures, à priori à l’abri.

La résilience Grecque face à la crise

Face à ce constat un réseau de solidarité se développe au sein des divers pays européens, particulièrement dans les pays fortement touchés par la crise, et donc en Grèce. Il s’agit ici davantage du renforcement et du développement d’un réseau déjà existant, appuyé sur trois axes principaux : la santé, l’alimentaire et l’éducation.

Les centres médicaux sociaux existent depuis plusieurs années, en 2015 on en comptait 14 sur la ville d’Athènes et plus d’une cinquantaine sur le pays. Ces centres perdurent grâce aux bénévoles (médecins, praticiens de différentes spécialités, pharmaciens et infirmières) et aux dons (médicaments et matériels). Ils sont peu coûteux, une centaines d’euros par mois environ, et ne nécessitent donc pas d’un grand besoin en financement. Tous les soins y sont gratuits. Les bénévoles notent depuis le début de la crise une évolution dans les bénéficiaires : de plus en plus de personnes issues des classes moyennes y ont recours.

Les cuisines sociales collectives et épiceries solidaires connaissent le même essor. Au delà de fournir des repas aux personnes précaires, elles jouent un rôle important dans la lutte contre l’isolement et le maintien de la cohésion sociale. Chacun y participe à hauteur de ses moyens en amenant des denrées et en contribuant à la préparation des repas. Les épiceries solidaires favorisent également les échanges sans intermédiaires en mettant directement en relation les producteurs et consommateurs. C’est aussi un moyen de développer la production locale.

Le secteur de l’éducation est également un des piliers de ces solidarités. Des écoles alternatives au système d’éducation public sont mises en place et travaillent contre les inégalités sociales produites par ce dernier. En effet, en Grèce certaines disciplines telles que les langues étrangères ne sont que peu enseignées à l’école publique (1 à 2 heure par semaine), il est donc courant d’avoir recours à des cours privés, onéreux, pour pallier ce manque. Un système inégalitaire, qui avec avec les récentes difficultés économiques participe à l’aggravation des inégalités sociales et la précarisation de l’éducation. Les écoles alternatives proposent donc des cours, en échanges de services, et reposent souvent sur un système de banque du temps. Ce réseau alternatif touche aussi l’éducation au sens large, des lieux de loisir et des espaces alternatifs de culture voient le jour, ainsi que des groupes de soutien juridique qui travaillent auprès de personnes endettées et/ou menacées d’expulsion.

Toutes ces thématiques sont interdépendantes et complémentaires dans la lutte pour la dignité humaine, et s’entrecroisent souvent à l’occasion d’actions diverses.

Ces diverses actions de solidarité sont fondées sur l’auto-gestion et la promotion de la lutte collective face aux injustices. En mobilisant les populations diverses et en encourageant l’entraide, les citoyens deviennent alors forces de proposition. C’est peut être aussi une réponse à la montée de l’extrême droite dans le pays. Le parti néonazi Aube Dorée est aujourd’hui la troisième force politique en Grèce, avec 6,99% des suffrages aux dernières élections ils comptent aujourd’hui 18 sièges au parlement.

IMAG0767_1[1]

Photo prise dans le quartier d’Exarchia.

Un réseau solidaire qui dépasse l’échelle du pays

La mobilisation citoyenne est un point fort du développement de ces réseaux, au sein même du pays mais également à l’échelle européenne. L’association Solidarity4all voit le jour en 2012, elle a pour but de faciliter le développement de la solidarité et de renforcer la culture de l’auto-gestion. Elle met en lien les différentes associations, favorise les échanges de savoir-faire, crée des outils et des lieux d’échange et de coordination. Elle oeuvre ainsi pour une plus grande visibilité des actions solidaires afin que le plus grand nombre puisse en bénéficier mais aussi s’y impliquer. Enfin, elle travaille également au développement de solidarités internationales avec le peuple grec.

La mobilisation et la coordination des mal et sans logis dans la lutte collective est également le fondement du DAL (Droit au logement), créé en France en 1990. Suite à la vague spéculative de 1986, le prix du foncier et donc des loyers augmentent fortement, beaucoup de familles ne peuvent plus se loger décemment, notamment dans le XXème arrondissement de Paris. Un campement s’organise afin d’obtenir leur relogement. Depuis les politiques spéculatives sur le foncier continuent de pousser hors des centres-villes une partie de la population. Le DAL est donc toujours présent afin d’obtenir pour les ménages et personnes mobilisées un logement digne, durable et accessible dans le parc social, rappelant à l’Etat ses obligations concernant le DALO (droit au logement opposable, loi instituée en 2007, oblige l’Etat français à fournir un logement ou un hébergement digne aux personnes mal logées). Les moyens d’actions du DAL restent les mêmes : campement, réquisition d’immeubles vide, manifestations et occupations ponctuelles de lieux symboliques (mairies, bailleurs HLM, Conseils Régionaux…).

Dans ce cadre, ces deux associations participent au mouvement de la Coalition européenne du droit au logement. Partant du constat que le droit au logement et à la ville se détériore pour les habitants de tous les pays européens, la coalition milite pour qu’une véritable politique publique assure ces droits et lutte ainsi contre l’accentuation de la paupérisation et des inégalités dans nos villes. Le but est de mettre en commun les initiatives et analyses qui vont dans ce sens dans les différents pays d’Europe, afin de peser d’avantage sur l’échiquier politique de l’UE. Des solutions sont déjà mise en avant : construction massive de logements publics/sociaux, réquisition des immeubles vides, régulation/ encadrement des loyers ou encore promouvoir des espaces dans la ville où la vie communautaire est basée sur l’entraide. Un seul mot d’ordre: « Pas de personne sans logement, pas de logement sans personne ».

IMAG0752[1]

Photo prise dans le quartier d’Exarchia, oeuvre faite en solidarité aux sans logis.

Ces questions du droit au logement et droit à la ville deviennent davantage prégnantes dans le contexte de crise migratoire que connait actuellement l’Europe. Pour la Grèce seule, il s’agit de plus de 42 000 migrants et réfugiés qu’il va falloir loger ou héberger dans des conditions dignes.

Dans ce contexte de précarisation intense, où l’accès au logement est de plus en plus difficile, se pose en outre les questions du droit à la ville et du droit au logement. C’est pour travailler sur ces thématiques que je participe à un programme d’échange en Grèce, envoyée par le DAL au sein de l’association Solidarity4all. Au cours de cette mission, je me questionnerai alors sur comment l’émergence et le renforcement d’un large réseau de solidarité citoyenne permet une reprise du pouvoir par le citoyen, mais également une reprise de l’espace public et donc l’accès à la ville pour tous ? Et en quoi la mise en réseau au niveau européen, sur l’exemple de la coalition européenne du droit au logement, peut permettre une mobilisation européenne sur ces questions ?


1De l’espoir à la résistance, Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, dans Les Grecs contre l’austérité, sous la directoin de Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, édition le temps des cerises, 2015


Références

Articles et ouvrages
– De l’espoir à la résistance, Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, dans Les Grecs contre l’austérité, sous la directoin de Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, édition le temps des cerises, 2015
– Les Grecs contre l’austérité, sous la directoin de Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, édition le temps des cerises, 2015
– Non aux expulsions ! Pas de personne sans logement, pas de logement sans personne ! Artice disponible sur le site http://www.solidaires.org

Sites internet
– http://www.solidarity4all.gr