« Autorisation de jeter des poubelles. Interdiction de jouer de la musique« .

Le 5 mars dernier, trois des musiciens qui se produisaient sur la Place des Nations Unies à Casablanca depuis maintenant presque un an, ont été arrêtés par des agents communaux et emmenés au poste de police. Pour récupérer leurs instruments saisis, ils ont dû signer une décharge pour s’engager à ne plus jouer sur la Place des Nations Unies. La raison officielle de cette intervention et interdiction ? Les plaintes des riverains pour tapage nocturne et « délit de mendicité« .

Face à ce nouveau cas de censure qui a fait des vagues dans le milieu culturel, la société civile s’est mobilisée. Samedi 18 mars, un sit-in a été organisé à 19h Place des Nations Unies par le rappeur Nabil Emmery et Youssef Zaoui. « On a décidé de montrer notre solidarité avec ces artistes de rue, dont le seul tort a été de vouloir allumer une lueur musicale sur cette place connue pour ses histoires d’agressions et de harcèlements« .

Le jour même, l’événement Facebook comptait près de 1300 potentiels participants et 5000 personnes intéressées. A 18h30, un petit groupe s’était déjà formé autour de quelques musiciens. Petit à petit, le groupe s’est élargi, les guitaristes, bassistes, chanteurs, violoncellistes professionnels ou amateurs se rassemblent au milieu du groupe et improvisent des morceaux tous ensemble. Si on est malheureusement loin des 1300 personnes attendues, les participants sont venus nombreux pour défendre la cause et rejoindre cette jam session. Dans la foule, une grande majorité de jeunes, d’artistes et de militants mais aussi des curieux, quelques familles avec enfants, ou des gens venus juste pour écouter de la musique et danser.

Deux jours plus tard, dès le lundi, les musiciens sont de retour sur la Place des Nations Unies. L’opération a réussi !

L’espace public sous contrôle : une approche sécuritaire et liberticide 

Au Maroc, tout rassemblement dans l’espace public, s’il n’est pas d’emblée interdit, doit être contrôlé et encadré, pour des raisons de sécurité et pour éviter les débordements. La loi sur le droit des rassemblements publics, notamment le

, stipule que toute manifestation collective, qu’elle soit politique, syndicale, associative ou artistique, doit impérativement faire au préalable l’objet d’une demande d’autorisation – qui, grâce à l’ambiguïté de la loi, est accordée ou refusée selon le bon vouloir des autorités et l’interprétation qu’ils décident d’en faire. Avec cette approche sécuritaire, l’étau se resserre sur l’espace public et de nombreuses manifestations culturelles ou artistiques ont ainsi été interdites ces dernières années.

  • En 2013, deux rencontres étudiantes – une université populaire de philosophie à Rabat sur le thème de l’amour, puis une rencontre autour du livre et de la lecture à Casablanca – ont été interdites. Dans les deux cas, les prétextes évoqués concernaient les problèmes d’autorisation alors même qu’il s’agissait respectivement de la 9ème et 11ème édition de ces rencontres à Rabat et Casablanca et qu’il n’y avait jamais eu aucun problème pour toutes les rencontres précédentes.
  • Un an plus tard, en novembre 2015, la sixième édition du festival de rap Droubna organisé dans la ville de Khouribga, sur la place Massira, a été interrompue par la conseillère municipale de la ville qui a envoyé un bulldozer sur place pour démolir la scène en cas d’opposition, sous prétexte que l’autorisation n’avait pas été accordée pour occuper la place Massira.

Et la liste est encore longue…

Pour consulter la liste des cas de censure recensés par l’association Racines, consultez en ligne

 au Maroc.

Un accès inégal et discriminatoire

En parallèle de toutes ces atteintes à la liberté d’expression et la liberté d’expression artistique, qui se réduisent en peau de chagrin dans l’espace public, l’équipement et l’aménagement urbains ne sont pas toujours optimaux (trottoirs pour les piétons, éclairage nocturne, infrastructures pour les personnes à besoins spécifiques, etc.) et les femmes et les minorités, notamment les migrants subsahariens, y sont très souvent victimes de discriminations ou d’agressions (harcèlement sexuel, actes racistes, etc.).

Campagne FADAE (Free Access & Diversity for All & Everyone)

Forte de tous ces constats, et après avoir elle-même été l’objet d’une censure pour la pièce de théâtre B7al B7al qu’elle avait conçue en partenariat avec les associations le Théâtre de l’Opprimé et The Minority Globe, l’association Racines a lancé une campagne de plaidoyer pour la libération de l’espace public dans le cadre du programme « Drame, Diversité et Développement dans la région MENA » avec le financement de l’Union européenne et le soutien de Minority Rights Group International, Civic Forum Institute Palestine, Andalous Institut for Tolerance and Anti-Violence Studies, et Prince Claus Fund for Culture and Development.

Cette campagne comprend une phase de sensibilisation à travers le spot vidéo ci-dessous, une phase phase de plaidoyer à travers une pétition nationale (cf prochain article) et un étude juridique et une phase ultérieure de lobbying auprès des élus, parlementaires, journalistes, acteurs de la société civile, etc.