Mission à Huelva (Espagne)

Ma mission va se dérouler à Huelva (sud de l’Espagne) avec l’association Jornaleras de Huelva en Lucha. Et ma situation est un peu particulière.

Je viens de de Séville, et j’ai connu l’association grâce à mon cercle d’amis. Étant originaire de la ville de Séville, ma relation avec la campagne et le travail agricole a toujours été assez limitée. Mais au cours de mes études, arrivée en master, j’ai pensé que faire mon stage au sein de ce collectif serait l’occasion de me rapprocher de cette réalité qui m’était alors si inconnue.

Photo prise depuis une route de Huelva le 25/04/2022. Les champs de plastique.

J’étais à Huelva en avril 2022 pour faire mon stage auprès de l’association Jornaleras de Huelva en Lucha. J’y ai appris beaucoup de choses très intéressantes. La première était que, à ma grande surprise, Huelva est la première province dans la liste d’exportation et de production de fraises en Europe (WOW!). Cela signifie qu’annuellement, des tonnes et des tonnes de fraises poussent sur ces terres (plus de 390 000 tonnes de fraises ont été comptabilisées en 2017)[1].

Photo prise depuis une route de Huelva le 25/04/2022. Les tunnels.

La deuxième chose que j’ai apprise est que les fraises sont des fruits qui, en raison de leurs caractéristiques de développement, doivent être cueillis à la main. Combien de personnes pensez-vous qu’il faille pour cueillir cette quantité de fraises ? Le nombre de personnes qui travaillent pendant la saison de la cueillette est très difficile à recenser précisemment. En 2021, 12 725 marocaines auraient été embauchées pour ce travail, ce qui représente 17 % de la main-d’œuvre nécessaire pour la saison[2]. L’expression employée en espagnol pour qualifier la situation de ces femmes  est contratadas en origen (« embauchées à la source »), ce qui signifie qu’elles sont embauchées au Maroc, puis sont autorisées à venir en Espagne par le biais de leur contrat de travail. Le droit du travail de ces personnes est notamment régi par l’accord agricole de Huelva et par les lois supérieures (notamment concernant le statut des travailleur·euse·s).

Le recrutement à l’origine est un processus réglementé par la loi espagnole sur l’immigration, qui permet de recruter des personnes dans d’autres pays pour des emplois temporaires nécessitant une main-d’œuvre. À Huelva, surtout depuis 2006, ces contrats sont passés avec le Maroc. Les offres d’emploi s’adressent spécifiquement aux femmes (oui, uniquement aux femmes) âgées de 18 à 45 ans, mariées ou veuves, avec des enfants de moins de 14 ans (cette condition est indispensable), et appartenant à des zones rurales. Chaque année, plus de 10 000 Marocaines arrivent à Huelva (plus de 19 000 Marocaines ont été embauchées pour la saison 2018-2019) pour travailler à la cueillette des fraises[3].

Mon stage m’a également permise d’observer un autre problème. Ces femmes saisonnières ne parlent que le marocain en règle générale. Or, tous les documents qu’elles signent sont en espagnol, et ne sont donc pas compréhensibles. Si elles ne connaissent pas la langue, comment vont-elles connaître leurs droits ?

L’association Jornaleras de Huelva[4] a été officiellement créée en 2021, par des femmes qui ne supportaient plus les abus qu’elles voyaient et subissaient en travaillant dans les champs, et qui ont décidé de se battre pour défendre leurs droits et ceux de leurs collègues. Si l’association s’est officiellement constituée en 2021, son action a en réalité débuté dès 2018, lorsque des travailleuses marocaines ont commencé à dénoncer les abus dont elles étaient victimes, et pas seulement sur le lieu de travail, mais aussi des cas d’abus sexuels.

Une partie de ma mission consistera donc à aider cette association dans les tâches qu’elle accomplit :

– Accompagner et conseiller les travailleuses agricoles qui le demandent.

– Dénoncer publiquement ou par voie judiciaire les irrégularités et les injustices dénoncées par les travailleuses agricoles.

– Participer à des campagnes de visibilité, des forums, des débats et des formations sur la situation dans les champs de Huelva.

– Aborder les injustices qui se produisent dans une perspective féministe et antiraciste.

– Analyser l’impact de l’agriculture extensive sur l’environnement et lutter pour un modèle de production durable.

Les problématiques décrites ici – concernant l’agriculture extensive et les violations des droits du travail – ne sont pas propres à Huelva, et s’observent également dans d’autres contextes et zones géographiques rurales qui sont dédiées principalement à l’agriculture. Par conséquent, j’aurai aussi pour mission de renforcer les relations de cette association avec d’autres organisations similaires, telles que CODETRAS dans le sud de la France, en consolidant des réseaux de communication et de soutien entre les différents collectifs impliqués.

En Espagne, un dicton dit « ne joue pas avec la main qui te nourrit », et nous semblons oublier que la nourriture vient aussi de la terre et que toutes ces personnes sont les premières à collecter notre nourriture. Il est donc essentiel de continuer à agir pour que les entreprises et les propriétaires terriens cessent de jouer avec leurs mains, leurs vies et notre terre.

Et voilà, j’y vais, pour faire ma part. 

Photo prise depuis une route de Huelva le 25/04/2022. Les rivières sont sèches et sales.

[1] https://www.juntadeandalucia.es/organismos/agriculturapescaaguaydesarrollorural/servicios/estadistica-cartografia/actividad/detalle/175051/175449.html#toc-resultados

[2] https://www.huelvainformacion.es/huelva/temporeras-contratadas-origen-encuentran-Huelva_0_1561344732.html

[3] https://www.schengenvisainfo.com/news/spain-unfolds-plans-to-hire-over-16000-agricultural-workers-from-morocco/

[4] https://jornalerasenlucha.org/

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