La campagne #SaveOlegSentsov

Evénement à Kyiv le 25 août 2019. Photographe Irina Semenyaka 

Le 14 mai 2018, le réalisateur ukrainien résidant en Crimée, Oleg Sentsov, a commencé une grève de la faim pour protester contre l’emprisonnement de prisonniers politiques ukrainiens en Russie. Arrêté le 10 mai 2014 en Crimée d’où il est originaire, pour avoir protesté contre l’annexion de la péninsule par la Russie, il est emprisonné depuis cinq ans en Russie et a été condamné en 2015 à 20 ans de prison pour « terrorisme » et « trafic d’armes » par les autorités russes. Son procès a été reconnu par Amnesty International comme relevant d’un procès politique.

La genèse de la campagne #SaveOlegSentsov

Depuis 2015 une campagne lancée en partie par le Center for Civil Liberties, et nommée #LetMyPeopleGo sensibilise sur la situation des prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie et en Crimée annexée. Ils sont plus d’une centaine en Russie et en Crimée, tandis que le nombre de prisonniers politiques ukrainiens détenus dans les territoires séparatistes de Lougansk et de Donetsk est plus difficile à obtenir, il n’y a donc pas de chiffre officiel. En plus d’une mission de monitoring sur l’avancée des procès et de la détention des prisonniers, elle appelait à des soutiens financiers pour les familles des prisonniers et pour payer leurs avocats, via des dons. 

Par la suite, la campagne #SaveOlegSentsov a été lancée en mai 2018, suite à l’annonce du réalisateur ukrainien Oleg Sentsov d’entamer cette grève de la faim, pour demander la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie. Créée par le Center for Civil Liberties, elle met en avant la figure d’Oleg Sentsov, mais elle représente également tous les prisonniers politiques ukrainiens, à travers le réalisateur. Après plus de quatre mois de grève de la fin, le réalisateur a été contraint de l’arrêter le 6 octobre 2018 pour éviter d’être nourri de force, néanmoins la campagne a continué pour demander sa libération, et celle de tous les autres.

La campagne #SaveOlegSentsov se base sur une auto-organisation et le volontariat de plus de 300 militants. Elle n’a pas comme visée d’être uniquement en Ukraine, mais se présente comme une campagne globale au niveau mondial. L’idée est en plus d’apporter le soutien de la population à Oleg Sentsov, via par exemple l’écriture et l’envoi de lettres aux prisonniers politiques, l’organisation d’évènements publics pour dénoncer la situation des prisonniers politiques ukrainiens dans différentes villes et pays, et la pression sur les pouvoirs publics afin qu’ils appellent la Russie à libérer le prisonnier ukrainien, et tous les autres. En juin 2018, une action commune avait été menée dans plus de 40 villes à travers le monde appelant à la libération du réalisateur.

L’écriture de lettres est l’un des moyens les plus utilisés pour soutenir les prisonniers politiques ukrainiens arrêtés en Russie. En effet, ils sont pour la plupart soumis à un grand isolement, n’ayant pas de contacts avec leurs familles et leur aide juridique. Certaines lettres leurs parviennent tout de même, d’où leur importance.

Cette campagne appelle donc à diffuser ce sujet, sensibiliser les gens, et ne pas oublier ce qu’il se passe actuellement en Russie, via des évènements assez variés. En juillet par exemple, pour l’anniversaire d’Oleg Sentsov une nuit des idées avait été organisée à Kyiv avec la venue de ses proches pour témoigner de sa situation, des concerts, ainsi que des lectures publiques de sa biographie récemment publiée. L’événement avait rassemblé plusieurs centaines de personnes et avait ainsi montré l’ampleur de la campagne, un an après.

Un an après, la campagne est toujours d’actualité

Le Center for Civil Liberties s’est aussi associé avec plusieurs autres ONG ukrainiennes pour diffuser cette campagne dans les régions et mobiliser de nouveaux volontaires. L’idée est d’aller dans plusieurs grandes villes pour parler des prisonniers politiques du Kremlin, des 24 marins ukrainiens arrêtés dans le détroit de Kertch en novembre 2018 et des prisonniers dans le Donbass. Des conférences de presse, stands d’écriture de lettres pour les prisonniers politiques, performances sont organisées dans les villes de Odessa, Kherson, Lviv, Marioupol, Kharkiv. 

Il existe des différences juridiques pour définir les prisonniers ukrainiens emprisonnés en Russie, en Crimée ou dans les territoires séparatistes. Ainsi, les prisonniers politiques arrêtés en Crimée sont soumis au droit russe, depuis l’annexion de 2014 et ont pour la plupart été transférés dans des prisons se situant dans la Fédération de Russie et jugés comme des citoyens russes, ceux arrêtés dans les territoires séparatistes sont soumis au droit séparatiste des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk, non reconnues par la communauté internationale.

En plus de la campagne régionale #SaveOlegSentsov, qui s’étend d’août à octobre 2019, le 25 août dernier à Kyiv a eu lieu une journée organisée par la maison de Crimée dans le centre-ville avec un grand concert en plein-air. Le CCL était présent pour parler de la campagne et de l’importance de soutenir les prisonniers politiques ukrainiens. Ce jour-là, 141 lettres ont été écrites pour des prisonniers politiques, pour leurs apporter du soutien, qui après avoir été rassemblées par le CCL vont être envoyées dans les lieux de détention.

 Evénement à Kyiv le 25 août 2019. Photographe Irina Semenyaka 

De nombreux jeunes volontaires du CCL étaient présents pour parler de la campagne, et chercher de nouveaux volontaires. Ils m’ont présenté l’importance pour eux de s’investir dans la société civile, et de dénoncer les actions menées à l’encontre des prisonniers politiques ukrainiens en Russie, mais également le rôle qu’avait joué la révolution de Maïdan et le début de la guerre en 2014 dans leur parcours personnel.

 Evénement à Kyiv le 25 août 2019. Photographe Irina Semenyaka 

Cette discussion je l’ai eue de nombreuses fois depuis mon arrivée en Ukraine : comment Maïdan et la guerre de 2014 vous a touché ? Les réponses, les histoires sont diverses et souvent émouvantes, les âges des personnes interrogées aussi.

Un déclic sur l’importance de parler ukrainien, du rôle que l’on choisit de donner à ses institutions, des nécessités de réforme, l’envie de partir à l’étranger qui s’accentue, ou encore de s’investir dans la société. Je leur demande aussi comment ils ont découvert le CCL, ce qui les intéresse dans cet engagement, et ils m’expliquent avoir voulu faire quelque chose de citoyen et de militant mais sans savoir par où commencer.

Alors le monitoring citoyen de manifestations, l’engagement dans des campagnes pour la libération des prisonniers politiques a constitué un premier pas, et pas des moindres.

https://www.facebook.com/SaveSentsov/

https://www.amnesty.org/en/documents/eur46/8555/2018/en/

http://letmypeoplego.org.ua/

https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2018/07/oleg-sentsov/h

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/10/05/russie-oleg-sentsov-dit-arreter-sa-greve-de-la-faim-pour-eviter-d-etre-nourri-de-force_5365376_3210.html

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