Etat des lieux sur les droits LGBT+ en Ukraine

Partie pendant deux semaines travailler dans l’ONG Kharkiv Human Right Protection Group (KHPG), j’ai été amenée à découvrir et à travailler sur la thématique des droits LGBT+ en Ukraine.

Quelques informations sur l’état actuel des droits LGBT+ en Ukraine

L’influence de l’Eglise, l’organisation sociétale, les discours et les blagues homophobes assumées de certains politiques, dont l’actuel président Volodymyr Zelensky qui avec les acteurs présents sur « Kvartal 95 »[1] a régulièrement fait des sketchs ouvertement homophobes, contribuent à segmenter la société ukrainienne sur la question des droits LGBT+.

Depuis plusieurs années le pouvoir ukrainien a décidé officiellement d’inverser la tendance, ou du moins d’essayer. En 2015 une loi a été votée et inscrite dans le Code criminel ukrainien (CCU) concernant spécifiquement les discriminations à l’emploi. Cet article 161 du CCU, paragraphe 1 sur la « Loi concernant la prévention et la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’emploi et de la protection sociale » définit les caractéristiques suivantes pouvant faire l’objet d’une discrimination à l’emploi : « la race, la couleur de peau, les opinions politiques, religieuses et autres croyances, le sexe, l’âge, l’origine ethnique et sociale, le handicap, la citoyenneté, la propriété et le statut familial, le lieu de résidence, la langue et autres caractéristiques ».

Cette loi ne mentionne pas explicitement les discriminations dues à l’orientation sexuelle, mais elles peuvent, et sont de fait souvent, interprétées sous l’appellation « autres caractéristiques ». Si la Haute Cour Ukrainienne spécialisée dans les cas civils et criminels a déjà reconnu que les discriminations et crimes ayant pour motivation l’orientation sexuelle et le genre, étaient à considérer dans les discriminations avec « autres caractéristiques », plusieurs organisations dont l’OSCE ont déjà appelé l’Ukraine à préciser ces « autres caractéristiques » en y intégrant explicitement « l’orientation sexuelle et l’identité de genre ».[2]  

Mais dans les faits, les tensions et les inégalités sur ce sujet demeurent très présentes. En 2018 la Kiev Pride s’était déroulée dans une ambiance tendue et, autre exemple, en mai 2019, un classement réalisé par la Fédération internationale LGBTI (ILGA) a montré que l’Ukraine était 34e dans le respect des droits LGBT+ (avec seulement 22% d’égalité, sur une échelle mesurant le respect et l’égalité totale des droits).

Les droits LGBT+ à Kharkiv

Début juin, j’ai été travailler à Kharkiv pendant deux semaines au sein de l’ONG Kharkiv Human Right Protection Group, sur les questions touchant à la résolution du conflit en Ukraine. Par plusieurs hasards, j’ai été amenée à m’intéresser à leurs actions concernant les droits LGBT+.

Plusieurs ONG à Kharkiv travaillent activement sur cette thématique en organisant des actions contribuant à faire de la prévention autour des maladies sexuellement transmissibles , participant au débat via des projections de films et des tables rondes sur les droits LGBT+, et en proposant des formations juridiques, afin d’expliquer les droits pour les LGBT+, ainsi que les réactions à avoir suite à une agression.

L’un des derniers moments marquant portant sur la discrimination envers les LGBT+ à Kharkiv a été une attaque menée par 10 personnes, arborant pour certaines des symboles néo-nazis, afin d’empêcher la tenue d’une réunion organisée par des activistes et représentants d’organisations LGBT+ et plus généralement des droits de l’Homme. Cela avait eu lieu le 17 mai dernier pour la journée contre l’Homophobie et la transphobie. Le KHPG avait relayé l’attaque afin de montrer les discriminations quotidiennes à l’encontre des LGBT+ et sur la nécessité de protéger ces droits.

Le KHPG[3] est une ONG spécialisée dans les droits de l’Homme composée d’une équipe d’une vingtaine de personnes, dont la moitié sont des juristes et des avocats. Ils conseillent et défendent des victimes de discriminations, et font depuis plusieurs années un travail sur les droits LGBT+. Début juin, ils ont organisé un atelier de formation pour présenter, sous l’angle juridique, les protections possibles et les attitudes à adopter suite aux agressions pour des motifs d’orientation sexuelle ou de genre auprès des citoyens. Pendant qu’ils organisaient cette formation, ils m’ont expliqué que la question des droits LGBT+ était très peu traitée en Ukraine, où la société restait très conservatrice et cela avait comme résultat concret une méconnaissance des outils de protections juridiques pour les citoyens.

Travaillant pour le KHPG sur la thématique des discriminations à l’encontre de la population vivant dans les territoires occupés du Donbass et de Lougansk, notamment pour des raisons d’orientation sexuelle et de genre, ils m’ont mise en contact avec un militant pour les droits LGBTI+ à Kharkiv, Vasyl Malikov, pour comprendre la répercussion qu’a eue le conflit dans ce domaine.

Les droits des LGBT+ dans les territoires occupés et en guerre

En 2016, les ONG ADC Memorial et le Center for Civil Liberties ont publié un rapport portant sur les violations contre les droits LGBT+ en Crimée et dans le Donbass. Ainsi, si les discriminations contre les LGBT+ étaient déjà fréquentes lorsque ces territoires étaient contrôlés par le gouvernement de Kiev, elles se sont néanmoins intensifiées depuis le début du conflit en 2014. Résultat, ces territoires vivent sous un arsenal juridique fermé et homophobe, avec des violences physiques et psychologiques de la part de gangs armés ou de groupes homophobes contre les LGBT+. Cela entraîne une vulnérabilité extrême et un isolement pour les personnes s’identifiant comme LGBT+, ne pouvant pas en parler.

Les républiques séparatistes auto-proclamées ont repris un mélange de la loi ukrainienne et russe avec une définition conservatrice de la famille, de la sexualité et du mariage dans leur cadre juridique, qui n’est pas reconnu par la communauté internationale. Actuellement, il n’y a plus d’ONG présentes sur ces territoires les droits des LGBT+. Elles ont dû partir après le début du conflit, suite aux menaces qu’elles subissaient . La liberté de parole est restreinte sur ces sujets, même sur les réseaux sociaux qui sont contrôlés. Dans le même temps, un discours officiel associant les valeurs européennes et l’homosexualité pour les condamner est largement diffusé dans les territoires occupés depuis la Russie et par les autorités de facto.

Il est difficile pour les victimes venant des territoires occupés de crimes et d’agression dus à leur orientation sexuelle, de parler ouvertement de la cause de leur fuite, cette question étant aussi peu ouverte en Ukraine.

La marche des Fiertés LGBT+ du 23 juin à Kiev

Le 23 juin a eu lieu la marche annuelle LGBT+ à Kiev. Cette marche s’organise tous les ans dans la capitale et va pour la première fois aussi se tenir à Kharkiv en septembre. Elle est systématiquement accompagnée d’une contre-manifestation où sont présents des représentants religieux ou des groupes d’extrême droite comme Praviy Sektor. Cette année, elle a compté plus de 6300 personnes (presque le double en comparaison de 2018) et environ 200 personnes dans la contre-manifestation.

Contre manifestation

De façon générale, elle s’est déroulée dans la tranquillité, et le monitoring effectué par OZON, la plateforme civique d’observation des manifestations membre du CCL où je fais mon service civique, a relevé que les forces de police avaient globalement bien réagi aux différents évènements.

LGBT+ pride à Kiev

L’entretien avec Vasyl Malikov militant LGBT+ à Kharkiv

Mise en contact avec Vasyl Malikov grâce au KHPG, j’ai mené avec lui un entretien pour avoir son ressenti sur les droits LGBT+ en Ukraine, et les conséquences du conflit sur ceux-ci.

Je m’appelle Vasyl Malikov, je suis un militant pour les droits LGBT, je suis professeur d’université, rattaché au département de la culture, de l’histoire nationale de l’institut polytechnique de Kharkiv, et je suis dans l’activisme pour les droits des LGBT en Ukraine depuis 3-4 ans.

  • Pouvez-vous présenter votre organisation ? Quelles sont ses missions principales ?

Mon organisation s’appelle le fond d’observation de Kharkiv “Blago”. Elle travaille sur un large panel de questions, dont la prévention sur les maladies sexuellement transmissibles, et fait un travail de reconnaissance des droits LGBT+. Elle a aussi un groupe d’initiative travaillant sur les questions du bien être dans la société. 

Concernant les questions de prévention auprès de la société, c’est surtout pour expliquer l’importance de faire les tests du VIH, et des autres maladies sexuellement transmissibles, de distribuer des préservatifs au public, et d’organiser des consultations sur les questions de prévention de maladies sexuellement transmissibles. Comme organisation, nous menons aussi une observation des événements qui se produisent dans la société, dans l’espace public touchant au thème des LGBTI+. Nous organisons des échanges, des discussions, des projections de films, nous formons aussi les défenseurs des droits de l’Homme qui veulent travailler sur cette thématique.

Par rapport à mon propre volontariat, il y a une question particulière qui m’intéresse, celle portant sur le courant LGBT à Kharkov et son histoire. En ce moment, j’étudie précisément l’histoire des LGBT à Kharkov et je voudrais publier un article sur le sujet avant la fin de l’année. Pour ça, j’essaye de diffuser des films sur la question de l’histoire du courant LGBT et de créer du débat autour de ces questions. Dans notre organisation en général, nous organisons des débats sur les relations entre les LGBT avec la société : comment adopter une approche sociologique de la question, pour savoir de quoi nous parlons, et comment changer la situation. 

  • Comment analysez-vous la situation dans les territoires occupés vis à vis des droits LGBT+ ? Et en général aussi en Ukraine au niveau des différences de perception ou d’acceptation selon les régions ?

Je ne peux pas dire que je travaille précisément sur la situation pour les LGBT dans les territoires occupés, mais je travaille sur la société à Kharkov. Kharkov ce n’est ni Donetsk, ni Lougansk, mais cela ne veut pas dire que la ville ne subit pas les conséquences de cette guerre et du conflit, le front n’étant pas si loin d’ici. A partir du printemps 2014, il n’y a pas eu d’immédiate compréhension sur ce qui se passait là-bas (dans les territoires aujourd’hui occupés) depuis Kharkov. 

Puis nous avons ressenti à Kharkov la première arrivée de réfugiés des territoires de Donetsk et de Lougansk, avec des discussions sur le sujet, et quelques situations nous ont été connues et rapportées J’ai moi-même des connaissances qui été réfugiés dans une autre ville, Kiev en premier, quelques en 2014 ont pensé aller à Kharkov, pensant que la situation à Kharkov était meilleure et ce n’était pas un territoire occupé. Mais à l’inverse, d’autres de mes connaissances ont sérieusement été inquiétées de la situation à Kharkiv dès 2014 avec le conflit naissant dans la ville. (Pour information : Plusieurs forces d’opposition se sont affrontées à Kharkov en 2014 afin d’établir une république populaire séparatiste, néanmoins les élites locales, s’étant alliées entre elles avec le soutien d’une partie de la population, ont empêché la prise des bâtiments officiels par les séparatistes). 

Si on parle de l’est, ce qui nous est connu concernant la thématique qui nous intéresse, concrètement ceux qui sont arrivés ici, ne peuvent pas retourner à l’Est, à Donetsk. Actuellement, ce n’est pas possible.

Enfin, sur la question du mouvement LGBT+ dans les territoires occupés, il faut se rappeler que notre occupant en Ukraine est la Russie, où il existe une position politique disant l’intégration européenne va apporter en Ukraine le mariage gay etc. Cela influence forcément les attitudes. Il y a un manque aussi de prévention sur les maladies sexuellement transmissibles, et il y a pour résultat plus de personnes atteintes du SIDA dans le Donbass que dans le reste du pays.

Pour parler des différences entre la situation à Kiev et dans les régions, j’ai beaucoup de connaissances à Kiev. Kiev a de meilleures et de plus grandes infrastructures pour les LGBT, dans le divertissement, il y a de bons clubs par exemple. A Kiev, il y a aussi un fort activisme dû à la présence d’ambassades et des organes centraux du pouvoir. 

Un dernier point que je voulais ajouter sur les changements dus à la guerre dans les régions et aussi à Kharkov, c’est l’influence des groupes néo-nazis qui se sont formés à Kharkov, comme Nats Corpus, Praviy Sektor etc. Ces organisations se positionnent elles-même publiquement patriotiques et utilisent le discours et la rhétorique néo-nazie. Elles développent une attitude très négative à l’encontre des personnes et du courant LGBT, cela a beaucoup d’influence, encore aujourd’hui et depuis le début du conflit. Elles ont tenu des discours au début du conflit disant que les LGBT étaient des séparatistes et qu’ils faisaient venir l’influence de l’ouest. Donc, ils utilisaient une rhétorique aussi véhiculée par les pro-russes et les russes, alors qu’ils se positionnent eux même comme des patriotes ukrainiens. Au final, ce sont aussi des influences, et ces organisations néo-nazies allaient demander à des personnes LGBT “prouvez que vous n’êtes pas séparatistes, ou quelle relation avez-vous avec le territoire ukrainien” etc.

La situation des droits pour les LGBT en Ukraine n’est pas idéale, mais toujours mieux qu’en Russie ou surtout que dans les territoires occupés. Sur la Crimée, la société LGBT de Kharkov a, dans une certaine mesure, de nombreux liens avec la Crimée parce que beaucoup ont été là-bas en vacances avant la guerre, quand c’était encore possible. Après le conflit, sont arrivés de là-bas des membres de la communauté LGBT à Kharkov, mais aussi de Russie et des territoires occupés.

  • Pourriez-vous parler de l’influence qu’a l’Eglise sur ces questions ?

J’ai déjà parlé de la question des groupes néo-nazis principalement, mais ça reste une question compliquée. Il s’agit d’une question douloureuse, pour certaines de mes connaissances il s’agit d’une question existentielle, ils se considèrent comme pratiquants orthodoxes, ils se voient comme des croyants, et par exemple pour eux l’attitude de l’Eglise orthodoxe avec des accusations et du rejet via à vis des LGBT est douloureuse. Cette question n’est pas vide de sens, pour personne, bien sur les non croyants ne prennent pas cette question aussi au sérieux que les croyants, pour qui la position de l’église est beaucoup plus importante.

  • L’Ukraine connaît actuellement de nombreux changements politiques avec l’élection le 21 avril dernier d’un nouveau président, Volodymy Zelensky, et bientôt les élections législatives anticipées. Comment voyez-vous l’attitude du nouveau président concernant les droits pour les LGBT+ ? Y-a-t-il eu des déclarations de sa part à ce sujet ? 

Je n’ai pas encore vu un quelconque rapport de la part du nouveau pouvoir sur la question de la liberté et des droits pour les LGBT. Pour moi, je crois qu’il est important de façon générale et pour n’importe le pouvoir ukrainien de continuer à travailler sur ces thèmes pour renforcer la société, même si c’est un processus long et difficile. Quand il y aura une vraie compréhension sur ce sujet de la part du pouvoir, les changements et les évolutions nécessaires seront faits au niveau législatif.

  • Quels thèmes majeurs concernant les droits LGBT+ sont actuellement portés par la société ?

Pour moi, je pense qu’il n’y a pas de thème plus important que les autres, toutes les questions sont importantes. Mais, peut être que la question de l’église demeure une question importante pour les gens. Et aussi la question du mariage civil, et la question de la criminalité suite aux agressions à l’encontre des LGBT+. Lors de la Kiev Pride il y a chaque année, et il y a des agressions chaque année commises par des organisations néo-nazies. A Kharkov, une pride aura lieu en septembre de cette année pour la première fois. Face aux crimes et agressions, la police doit réagir, mais dans les faits, il n’y a pas de sécurité, ni de suite données aux dossiers ouverts pour agressions commises contre les LGBT. Pour ça, la question de réaction face aux crimes commis contre les LGBT est une question très importante de la part des organes de droits publics ukrainiens.

Aussi, un vrai travail doit être fait sur la santé, de la prévention, il y a une demande de soutien, de développement sur les questions d’accès aux soins, c’est important. Une autre question apparaît, celle de la question psychologique avec les psychothérapies et la psychiatrie pour l’homosexualité. Il y a aussi à Kharkov, des gens avec de hautes positions en psychiatrie et en psychothérapie, qui pratiquent ce qu’on appelle des “thérapies réparatrices” ou des “thérapies de conversion” qui sont légales en Ukraine. Même si Ouliana Suprun, la ministre de la santé ukrainienne, a dans une de ses publications sur Facebook rappelé que la question de l’homosexualité ne se traitait pas comme une maladie, au final dans la pratique cela continue.

Enfin, il y a aussi une restriction sur la question du mariage civil avec une impossibilité à le faire suivre, montrant que seul le mariage hétérosexuel est considéré et pris comme un acquis. 

Sources :

https://ilga.org/fr

https://adcmemorial.org/wp-content/uploads/lgbtENG_fullwww.pdf

http://khpg.org/en/index.php?id=1542551937

http://khpg.org/en/index.php?id=1539828666

https://www.nouvelobs.com/notre-epoque/20190424.OBS11997/homosexualite-en-ukraine.html

https://rpr.org.ua/wp-content/uploads/2017/02/Renaissance_A4_1Discrimination.pdf

https://www.osce.org/odihr/419891?download=true

https://www.rts.ch/info/culture/8615246-l-ukraine-affiche-une-image-gay-friendly-mais-l-homophobie-est-tenace-.html

http://khpg.org/en/index.php?id=1558432550&fbclid=IwAR24ulvobUrVh_C-35HwwinhQMZE_W227MgzSWZyVC7OSTHJL410pus_Dlg


[1] Société de production de divertissement fondée par Volodymyr Zelensky

[2] https://www.osce.org/odihr/419891?download=true, p. 25

[3] http://khpg.org/

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