Document sans titre
bando
>>> PROMOTION 12


 Droit à la ville
 Droits des étrangers
 Justice sociale et écologique
 Mobilisations citoyennes
 Travailleurs migrants saisonniers et agriculture paysanne




 Alejandro
 Annalise
 Antoine
 Daïka
 Delphine
 Ela
 Juliette
 Kin
 Léna
 Lucie
 Nassab
 Nidal
 Sarah
 Viviane


Espagne / France / Justice sociale et écologique /

FME et FAME, quel droit à l’eau ?
13 mars 2012 par Lucie

Cette semaine, la cité phocéenne accueille multinationales et organisations de la société civile mondiale. Leur point commun, leur intérêt pour l’eau ; leur différence, la valeur qu’ils accordent à cette ressource vitale. Forum mondial de l’eau-FME et Forum alternatif mondial de l’eau-FAME exposeront deux conceptions opposées de l’eau avec pour objectif d’influencer son mode de gestion.

La qualité vitale de l’eau nous est rappeler dans la majorité de nos activités primaires. Pourtant, cette évidence est facilement perdue de vue dans les sociétés occidentales, de plus en plus dématérialisées. Sans vouloir établir de rapport causal entre les deux, il est certain que le détachement croissant de tout rapport à la Nature et à notre environnement facilite l’imposition d’une toute autre conception de l’eau : l’eau comme bien commercial et non plus comme Bien commun de l’Humanité.

Ces deux conceptions, toutes deux tour à tour avancées dans le droit international, se disputeront cette semaine prochaine à l’occasion de la tenue à Marseille du FME du FAME. Se déclinant en l’opposition gestion privée/gestion publique, l’enjeu véritable dépasse largement cet aspect technique car, au cœur du débat, il s’agit de répondre à la question « quel droit à l’eau ? » et donc « quel droit à la vie ? ».

Les revers de la privatisation

Portant en son sein la privatisation des biens et services publics, le modèle économique néolibéral développé depuis les années 1980 n’a pas épargné le secteur de l’eau facilement attaquable dans les pays du Sud trop faibles pour résister aux exigences des IfIs -Banque mondiale et Fonds monétaire internationale- venus les sauver de leurs dettes. En 1992, la Déclaration de Dublin sur l’eau et du développement durable reconnaît l’eau comme étant un bien économique. Il faudra attendre dix-huit années pour que l’Assemblée générale des Nations-unies, sur exigence de la Bolivie, déclare à l’unanimité le Droit à l’eau et à l’assainissement comme droit essentiel à la pleine jouissance de la vie et à la réalisation de tous les autres Droits de l’Homme [1].

Il est significatif que ce soient dans la majorité des pays [2] ayant subi une privatisation forcée de l’eau qui aient soutenu l’initiative bolivienne. Des pays, à qui la privatisation des services urbains d’approvisionnement en eau devait apporter efficacité, transparence, investissement et transfert de technologie afin de palier la prétendue inefficacité du secteur public, mais pour qui les promesses d’élargissement de la couverture des services d’eau et d’assainissement se sont traduites par des augmentations tarifaires importantes et la marginalisation des plus vulnérables dans l’accès aux services. Car en accord avec la logique de profit imposant de ne satisfaire que la demande solvable, confier un bien essentiel à la vie entre les mains du marché ne peut qu’exclure les majorités sociales vivant sous le seuil de pauvreté et ainsi nourrir la montée des inégalités.

Les échecs retentissants de la privatisation, notamment à Buenos Aires, Djakarta, La Paz ou encore Manille, ont été reconnus par ses promoteurs, telle que la Banque mondiale lors du Forum mondial de l’eau à Mexico en 2006. En Amérique latine, les multinationales ont été expulsées après résiliation de leurs contrats. De même, des villes du Nord, Atlanta, Munich, Berlin, Paris, ou encore Grenoble ont fait l’essai de la privatisation pour mieux revenir à une gestion publique, efficace et efficiente. Eau de Paris génère annuellement environ 35 millions d’euros entièrement réinvestis dans le service de l’eau. Enfin, de nombreux pays ont rendu clair qu’ils priorisaient la fonction sociale et environnementale de l’eau en inscrivant le Droit à l’eau dans leur Constitution et en imposant une gestion exclusivement publique [3]. C’est pourtant sans sourciller que Banque mondiale et multinationales continuent à porter les mêmes solutions aux défis sanitaires [4].

La redéfinition stratégique des multinationales

Leur arène pour influencer les politiques nationales et multinationales : le Forum mondial de l’eau, événement triennal créé en 1997 par et pour les grandes multinationales de l’eau, françaises en tête. Sont présent dans cette enceinte les acteurs économiques privés investis sur le marché ultra monopolisé de l’eau [5] et leurs invités politiques -invités tous les trois ans pour s’informer et si possible pomper les préconisations de Véolia & co. Car de facto, le nom de la 6ème édition, « le temps de solutions », souligne la volonté des multinationales de s’arroger le droit de décider du futur d une ressource vitale. Quels pourraient être les principaux messages cette semaine ?

Il est fort probable qu’elles appellent fortement les Politiques du Nord a leur confier la gestion de l’eau. Car malgré tous les efforts de lobbying, la privatisation demeure minoritaire au niveau mondial mais aussi européen où elle ne compte que pour 30% du réseau [6]. Ainsi, bien que 9 des 10 principales entreprises du secteur soient européennes, les opportunités de développement restent énormes en Europe. Et après les revers connus en Amérique latine, les multinationales de l’eau se détournent des marchés du Sud pour se tourner vers des marchés dits murs, plus sûrs, où ils minimisent les risques [7]. Outre le changement de priorité géographique, c’est aussi le modèle d’implémentation qui évolue avec la mise en avant des partenariats public-privé.

Les gouvernements vont ils se laisser leurrer et opter pour des politiques qui tendent a privatiser les bénéfices et socialiser les coûts ? En Europe, la gestion publique est toujours majoritairement perçue comme le meilleur moyen de garantir la meilleure couverture possible. Encore il y a peu, les Italiens se prononçaient par référendum contre une éventuelle privatisation des services de l’eau. Et pourtant, il se peut que la crise de la dette européenne serve une fois de plus d’excuse pour avancer des politiques favorables aux intérêts d une minorité. En Espagne, les privatisations se succèdent afin, non pas d’améliorer la gestion, mais de renflouer rapidement les caisses de l’État chargé de rembourser ses dettes.

Enfin, outre contrôler l’eau-objet de consommation, les multinationales convoitent aussi l’eau- moyen de production et chercheront à influencer les politiques relatives aux industries extractives pour lesquelles l’eau est un facteur crucial. Car alors que la rareté des ressources naturelles accélère la course pour leur contrôle, faire lever les obstacles tels que les normes sociales et environnementales qui régissent leur exploitation leur est urgent.

Dans un tel contexte, et alors que les rapports relatifs au changement climatique se font toujours plus alarmants, il s’agit plus que jamais de rappeler qu’en tant que l’eau est un Bien commun. En tant que patrimoine de l’Humanité, elle ne saurait être gérée qu’à partir des principes de solidarité, de coopération, d’équité et de durabilité incompatibles avec une approche commerciale. Seul un contrôle social et démocratique de la gestion et de l’usage des ressources pourra ouvrir la voie à la résolution de la crise mondiale de l’eau et permettre un accès universel aux services vitaux de l’eau. Tel sera l’objectif fondamental du FAME qui ne manquera pas non plus de dépasser son rôle de dénonciateur de l’accaparement illégitime de l’eau et de sa gestion par les multinationales pour avancer de véritables alternatives à la privatisation.


Notes

[1] Une première avancée avait été fait en novembre 2002 quand le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) des Nations Unies, avait reconnu que « le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie digne » et que c’était « une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme ». Cependant, c’est la Résolution 64/292 sur le Droit à l’eau et l’assainissement du 28 Juillet 2010, approuvé ultérieurement par le Conseil des droits (Résolution A/HRC/15/L.1, 24 septembre 2010), qui permet de rendre ce droit juridiquement contraignant pour les États, car il est dérivé du droit à un niveau de vie suffisant et est inextricablement lié au droit à jouir du meilleur état de santé physique et mentale et au droit à la vie et la dignité humaine. Les États peuvent avoir recours à des acteurs privés pour la gestion hydrique mais ne peut pas échapper à sa responsabilité dans la réalisation du Droit a l’eau et à l’assainissement (A/HRC/15/31, 29 juin 2010).

[2] Angola, Antigua-et-Barbuda, Arabie Saoudite, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bangladesh, Bénin, Érythrée, Burundi, Congo, Cuba, Dominique, Équateur, El Salvador, Fidji, Géorgie, Guinée, Haïti, Îles Salomon, Madagascar, Maldives, Île Maurice, Nicaragua, Nigeria, Paraguay, République Centrafricaine, Républicaine Dominicaine, Samoa, Saint Vincent et les Grenadines, Sainte Lucie, Serbie, Seychelles, Sri Lanka, Tuvalu, Uruguay, Vanuatu, la République Bolivarienne de Venezuela, y Yémen.

[3] De nombreux pays d’Amérique latine, par exemple l’Uruguay dans l’article 47 de sa Constitution, mais aussi les Pays-Bas.

[4] Respectivement 884 millions et 2.600 millions (40% de la population) de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable et à un assainissement adéquat. Cette situation risque de s’aggraver du fait de la disponibilité en eau réduite induite par les effets du changement climatique. En 25 ans, il est possible que la moitié de la population mondiale pourrait avoir du mal à trouver de l’eau fraîche en quantité suffisante pour assurer les besoins en eau potable et assainissement.

[5] Suez et Véolia approvisionnement directement chacun en eau potable plus de 91 millions de personnes et ce sans compter leurs nombreuses sociétés affiliées investies dans de nombreux autres aspects du cycle hydrique.

[6] Seulement 270 millions de personnes, de 40 pays, dépendent de l’approvisionnement par des sociétés privée110 000 000 sont dans l’hémisphère Sud et environ 160 millions dans les pays industrialisés.

[7] Deux exemples : Véolia, après avoir annoncé des millions de pertes, s’est engagé en 2011 à réduire le nombre de pays où elle opère, de 77 à 40 pays. Agbar, dont Suez détient 56% du capital, va quant à elle se concentrer sur des grands projets de concession avec des fonds d’investissement et sur le développement de technologies et solutions à haute valeur ajoutée.



  Belgique
  Bosnie-Herzégovine
  Brésil
  Egypte
  Espagne
  France
  Italie
  Maroc
  Roumanie
  Serbie
  Tunisie