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Espagne / Justice sociale et écologique /

Décryptage Énergie : les citoyens dénoncent la politique pro-nucléaire du nouveau gouvernement espagnol
2 mars 2012 par Lucie

A peine arrivé au pouvoir, le Partido Popular (PP) de Mariano Rajoy a mis fin à un processus qui piétine depuis 2004 sur la localisation d’un futur centre de stockage de déchets radioactifs de haute activité. Sa précipitation reflète un engagement certain en faveur de l’industrie nucléaire. Mobilisés, les citoyens contestent la procédure et rappelle la possibilité d’une sortie du nucléaire d’ici 2020 sans mettre en péril la sécurité des approvisionnements. Occasion de faire le point sur la situation de l’autre côté des Pyrénées.

Dès son deuxième Conseil des Ministres, le nouveau gouvernement a approuvé à l’unanimité la création de l’ATC -Almacén Temporal Centralizado/Stockage Temporaire Centralisé- à Villar de Cañas (Cuenca). Cette décision prise sans qu’il n’y ait eu de débat sur l’avenir du parc nucléaire espagnol et donc sur la future quantité de déchets radioactifs marque la position pro-nucléaire du PP. Elle met ainsi fin à une époque ouverte par le moratoire imposé à l’industrie nucléaire en 1983 par Felipé Gonzalez, alors chef Parti Socialiste (PSOE) du gouvernement.

Après la fermeture du site de Zorita en 2006, Zapatero (PSOE) avait inscrit dans son programme électoral de 2008 celle des centrales arrivant à terme. Les cartes sont aujourd’hui bouleversées. Si le nouveau gouvernement dit ne pas envisager la construction de nouvelles centrales, il entend exploiter le parc existant le plus longtemps possible. En atteste la réouverture du débat sur la fermeture du site de Garoña, jusque là prévue pour 2013. Plusieurs arguments ont été avancés pour soutenir cette direction, arguments tous dénoncés par les organisations environnementales.

Énergétiquement pas utile

La sacro-sainte indépendance énergétique est un des arguments clés du gouvernement. La part relativement faible du nucléaire dans la production électrique espagnole -20% contre 75% en France- n’empêche pas l’Espagne d’être en surcapacité productive d’électricité. Cette situation nuit fortement au développement des énergies renouvelables : étant donné l’impossibilité de couper les centrales nucléaires, ce sont les parcs éoliens qui ont été déconnectés à plusieurs reprises afin de compenser la surproduction d’électricité. En sus, outre le fait qu’investir dans le nucléaire reflète une politique court-termiste insoutenable, les moyens alloués aujourd’hui au secteur nucléaire sont autant de ressources qui échappent au secteur des renouvelables.

La volonté de développer l’industrie nucléaire tend en réalité à répondre aux intérêts politico-économiques des acteurs publics et privés investis dans ce secteur énergétique. Déjà sous Zapatero, le programme en apparence anti-nucléaire cachait en réalité une double stratégie : une fermeture au niveau national des centrales à terme afin de répondre aux demandes d’une population majoritairement hostile à l’atome ; et une expansion à l’international. Ainsi, outre être exportateur net d’électricité depuis quelques années [1], l’industrie nucléaire espagnole est implantée dans plusieurs pays [2]. Avec la vague de repli [3] suite à l’accident de Fukushima, il peut aujourd’hui s’agir pour le nouveau gouvernement de relocaliser la production nucléaire toujours à des fins exportatrices. Il s’agit alors de rassurer une population qui questionne légitimement la sûreté et la sécurité nucléaire.

Environnementalement et socialement dangereux

Après la catastrophe de Fukushima, des tests de résistance des centrales espagnoles ont été exigés par les autorités européennes puis espagnoles. Le rapport du CSN-Conseil de Sûreté Nucléaire espagnol- a déclaré l’ensemble des centrales espagnoles fiables et devant seulement subir quelques améliorations. Ecologistas en Acción dénonce les critères retenus et la méthodologie de test suivie [4]. En sus, la succession d’incidents dans les centrales espagnoles âgées en moyenne de 26,5 ans démontre l’absence totale de culture de sécurité. Pour ne citer qu’un exemple, la centrale d’Ascó a connu une panne seulement 5 jours après sa révision en janvier et un incendie en février. Alors que la première touchait le circuit d’approvisionnement en eau du réacteur principal et que le deuxième a endommagé les circuits électriques du bâtiment de contrôle, le CSN ne cesse de clamer que ce type d’événements ne représentent aucun risque pour la population et l’environnement.

Dans la même veine, le nouveau gouvernement entend prolonger les licences d’exploitation [5] des centrales espagnoles, à commencer par celle de Garoña, la plus vieille centrale d’Europe (41 ans en 2012). Prévue en 2013, il pourrait la prolonger dans un premier temps jusqu’en 2019. Là encore, Rajoy prête davantage une oreille attentive au lobby nucléaire qu’aux écologistes. Réunis dans le Foro Nuclear, les industriels espagnols du secteur nucléaire lui soufflent tout bas des licences de 60 ans. Ils brandissent bien vite l’argument écologique -la réduction de l’émission de gaz à effet de serre- oubliant les coûts environnementaux engrangés par les transports en amont et aval de la production. Mais surtout, et l’actualité autour de la création d’un ATC nous le rappelle, l’industrie nucléaire produit des tonnes de déchets qui conservent leur radioactivité pendant des milliers d’années. Le projet du gouvernement équivaut tout simplement à détruire une zone rurale aujourd’hui préservée de toute folie industrielle.

Étant donné le risque d’accident, notamment au cours du transport, Villar de Cañas s’ajouterait aux 7 autres sites nucléaires espagnols susceptibles de forte contamination nucléaire. L’Espagne possède déjà une zone en attente de décontamination depuis...1966, date d’un accident aérien américain responsable de la pollution (reconnue) de 200 hectares à Palomares del Río. Enfin, il ne faut pas oublier le caractère, ici très durable, des structures nucléaires dont le démantèlement est extrêmement difficile. Peut-être faut-il rappeler au gouvernement l’exemple de la centrale fantôme de Lemoniz, centrale construite il y a plus de 30 ans, qui n’a jamais fonctionné, mais qui existe toujours bel et bien.

Économiquement non stratégique ? Tout dépend de quels intérêts on vise

Lemoniz est une autre illustration des failles de l’argumentaire pro-nucléaire du gouvernement. En effet, le nucléaire offrirait des opportunités économiques. Or, de nombreux coûts annexes, notamment celui du démantèlement (de plusieurs centaines de millions) ne sont jamais intégrés dans le prix du kilowattheure électronucléaire. Jusqu’au jour où celui de Lemoniz ne soit décidé, les contribuables espagnols continueront à payer les 5.8 milliards d’euros annuels pour la maintenance du site assurée par Iberdrola, la société d’électricité à l’origine de la centrale.

Mais d’après le gouvernement, l’implantation de centrales –en activite !- créerait des emplois et des richesses dans leur zone d influence. Rien n’est moins fallacieux. Certes, chaque réacteur emploie 500 personnes et le secteur nucléaire espagnol pris dans son ensemble emploie directement ou indirectement actuellement environ 30 000 personnes. Mais qu’est-ce à côté des 100 000 emplois générés en Espagne par le secteur des énergies renouvelables ? Alors que celui-ci offre des capacités de développement énormes, l’industrie nucléaire ne cesse de réduire ses effectifs depuis 2000. Par ailleurs, les exemples démentent l’argument selon lequel la construction de centrales serait suivi par un développement industriel local. Seules des activités en lien avec le nucléaire s’implantent à côté des centrales, laissant au chômage toute personne n’ayant pas de qualification dans ce secteur. C’est ainsi non la prospérité qui attend la population de Cuenca mais au contraire la destruction du tissu rural et environnemental (constituerait un coup particulièrement dur pour l’agriculture, l’élevage et l’agroalimentaire, pour les cultures biologiques et les productions d’appellation d’origine contrôlée, mais aussi pour le tourisme). Consciente que les intérêts économiques seraient une fois de plus privatisés avec des coûts socialisés, la population locale, soutenue de l’extérieur également, se mobilise contre le projet d’ATC.

Démocratiquement refusé

La décision de fin décembre a suscité une levée de boucliers au sein de la société civile. Est surtout dénoncé l’absence de transparence. Comme toujours, les cadres procéduraux et légaux ne semblent pas s’appliquer au secteur nucléaire. La procédure, viciée et parsemée d’irrégularités n’a comporté par exemple aucune évaluation des risques. A cet égard, Greenpeace avait déjà fait appel en décembre 2009 devant l’Audience Nationale (plus haute instance pénale espagnole). Celui-ci- ayant été dernièrement rejeté et suite au choix de Villar de Cañas, l’ONG a fait appel devant la Cour de Cassation. Soutenue par d’autres organisations environnementales, dont Ecologistas en Acción, elles demandent au gouvernement de reprendre la procédure depuis le début avec de vraies évaluations et contre évaluations publiques des risques. Elles appellent enfin à un vrai débat démocratique sur l’avenir du nucléaire espagnol et à ce qu’une attention soit donnée à leur plan de fermeture du parc nucléaire d’ici 2020.

Alors qu’aucun débat public n’a été organisé sous une forme ou une autre, le gouvernement se plaît pourtant à répéter que le projet d’ATC trouve sa légitimité dans un large consensus social. Pour démentir ce dire, la Plateforme contre le Cimetière nucléaire à Cuenca a lancé une pétition qui a réunit plus de deux milles signatures en peu de temps. La Plateforme, qui réunit plus d’une quarantaine de groupes qui balaient le spectre social et politique (hormis le PP) et inclut les principaux syndicats et organisations agricoles, est elle-même représentative de l’absence de consensus. Enfin, des milliers de personnes venues de tout le pays ont manifesté il y a un mois à Villar de Cañas pour faire revenir le gouvernement sur sa décision.

Cependant, celui-ci semble autant déterminé à imposer son programme énergétique anti-démocratique et nuisible au peuple qu’il l’est en matière de réformes économiques. La démocratie ne pourrait-elle s’imposer qu’en usant des moyens utilisés par la population de Lemoniz pour empêcher la mise en service de la centrale de Lemoniz dans les années 1980 ? A l’époque, le projet avait été stoppé, non en raison de la forte opposition locale exprimée à travers les répertoires d’action traditionnels -manifestations et grèves, mais du fait de l’usage de la violence (agressions mais aussi attentats et kidnapping) avec l’intervention d’ETA.


Notes

[1] ENUSA, l’Entreprise nationale de l’uranium exporte 60% de sa production de combustible nucléaire espagnole vers la Finlande, la Suède, l’Allemagne, la Belgique et la France. En outre, les exportations de technologies nucléaires n’ont cessé de progresser ces dernières années, en particulier vers les pays en développement (à commencer par la Chine).

[2] Royaume-Uni, Italie, Chili, etc.

[3] L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a abaissé ses prévisions pour la construction de nouveaux réacteurs dans le monde et de nombreux gouvernements, notamment de pays alimentés en combustible espagnol, ont suspendus ou annulés leur programme nucléaire voire annoncé leur retrait du secteur.

[4] La possibilité de dysfonctionnements simultanés n’a par exemple pas été envisagée tout comme l’occurence de problèmes relevant de la sécurité et non de la sureté nucléaire. Selon la nomenclature internationale définie par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la sûreté se rapporte à tout phénomène naturel ou événementiel non provoqué susceptible de provoquer un incident (catastrophe naturelle, incident fonctionnel, etc.). En revanche, tout acte délibéré qui prend pour cible les installations nucléaires, comme les attentats, relève de la sécurité nucléaire.

[5] En Europe, les licences d’exploitation des centrales sont généralement accordées pour 30 ou 40 ans, mais avec la possibilité de les prolonger. En Espagne, le renouvellement de la licence d’exploitation au-delà de 40 ans est possible suivant des conditions strictes.



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