EUROSUR et FRONTEX : Souriez, vous êtes fiché.e.s !
Dans une communication du 13 février 2008, la Commission Européenne examine la possibilité de mettre en place un système européen commun de surveillance des frontières, EUROSUR. Ce système d’échanges de données à l’échelle européenne, utilisant des technologies de pointe aura pour but de permettre aux états membres de l’Union Européenne de mieux surveiller leurs frontières. EUROSUR consiste à mettre en réseau les services de renseignements et de surveillance des frontières existant des états membres et de fournir des outils communs pour un contrôle plus effectif des entrées irrégulières sur le territoire européen. D’après cette communication, EUROSUR permettrait, non seulement de réduire le nombre d’arrivées « illégales », mais aussi de réduire le nombre de mort.e.s aux frontières (en particulier en haute mer) et prévenir la criminalité transfrontalière. Un objectif bien louable dont on peut raisonnablement douter de la bonne foi quand on sait que le durcissement du contrôle de l’immigration alimente les réseaux de passeurs et augmente le nombre de morts aux frontières (en poussant les migrant.e.s à emprunter des routes plus dangereuses).
La mise en place du réseau EUROSUR représente un nouveau champ d’activités pour l’agence, qui n’a cessé de voir ses compétences s’élargir depuis sa création en 2005. Pourtant, comme l’ont souligné des ONG à de nombreuses reprises, elle n’offre pas de garanties satisfaisantes en matières de respect des droits fondamentaux. Avec EUROSUR, c’est la possibilité de récolter, détenir et diffuser des informations à caractère personnel qui s’ouvre pour l’agence, ce qui ne faisait pas partie de son mandat jusque là. FRONTEX étant une instance de coordination, a-t-elle la légitimité pour traiter des données personnelles ? Plus problématique encore, le manque de transparence qui entoure ses activités laisse présager une absence de contrôle effectif et indépendant sur l’utilisation que l’agence fera de ces données.
Au delà de la question de la protection des données personnelles, on peut aussi s’inquiéter d’autres dérives possibles, comme le pointe du doigt un rapport du Centre for European Policy studies (CEPS) [1] . Comme le souligne ce rapport, la récolte de données servira à l’agence pour réaliser ses analyses de risques avec, entres autres objectifs d’identifier les groupes ethniques « à risque ». Cela devient problématique lorsque de telles analyses sont transposées en actions opérationnelles, puisqu’elles ciblent un groupe ethnique spécifique, une procédure pour le moins discriminatoire. Cela s’est déjà produit en 2007, avec le cas de l’opération conjointe HYDRA, qui visait l’arrestation de migrant.e.s chinois.es dans des aéroports. Avec le développement d’EUROSUR, on peut raisonnablement s’inquiéter de voir se multiplier ce type d’opérations. Enfin, le réseau ne manquera pas d’inclure les pays tiers, en assistant les administrations concernées dans le perfectionnement de leurs infrastructures de surveillance des frontières, mais aussi en pratiquant l’échange de données. EUROSUR cherchera à s’appuyer sur des réseaux d’échanges de données régionaux, comme le SEAHORSE [2].
Il reste donc bien des points à éclaircir sur le rôle qui sera celui de FRONTEX dans la mise en place d’un tel réseau. En attendant EUROSUR devrait être opérationnel d’ici 2013. A suivre. Pour aller plus loin : Communication de la Commission - Examen de la création d’un système européen de surveillance des frontières (EUROSUR)/ COM/2008/0068/ http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52008DC0068:FR:NOT Opinion of the European Data Protection Supervisor (May 2010) : http://www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Consultation/Opinions/2010/10-05-17_FRONTEX_EN.pdf Directorate General for internal policies, (August 2011) “Implementation of the UE Charter of Fundamental Rights and its Impact on UE Home Affairs Agencies – Frontex, Europol and the European Asylum Support Office”, Centre for European Policy Studies (CEPS) (DB) www.ceps.be/book/implementation-eu-charter-fundamental-rights-and-its-impact-eu-home-affairs-agencies JEANDESBOZ Julien, Reinforcing the Surveillance of EU Borders : The Future Development of FRONTEX and EUROSUR, CEPS Challenge Paper No. 11, 19 August 2008. FRONTEX Programme of Work 2012, Council of the European Union, Brussels, 22 février 2012 : http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/12/st06/st06514.en12.pdf Notes [1] “Implementation of the UE Charter of Fundamental Rights and its Impact on UE Home Affairs Agencies – Frontex, Europol and the European Asylum Support Office”(August 2011). Depuis décembre 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte Européenne des Droits Fondamentaux a acquis une valeur juridique contraingnante, à laquelle FRONTEX est soumise. Ce rapport évalue l’impact de l’application de la charte sur les activités concrètes de certaines agences européennes. [2] Un réseau opérationnel depuis novembre 2010 entre l’Espagne, le Portugal, la Mauritanie, le Sénégal, Cap Vert, la Gambie, Guinée-Bissau et le Maroc. |
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