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Quand il s’agit de faire le scoop, en matière de migrations et de familles, attirer l’attention n’est pas bien compliqué : il suffit de surfer sur l’une ou l’autre vague xénophobe ambiante. On parlera alors mariage blanc, mariage forcé, ou pire, polygamie. Ca vend bien, ces grosses questions, toujours lourdaudes, rarement traitées avec rigueur. Tant pis si elles recouvrent des réalités diverses et quantitativement marginales. Elles permettent surtout de masquer certains enjeux autrement dérangeants, et qui engagent bien plus la responsabilité collective. 

Le regroupement familial, aujourd’hui, c’est avant tout un.e rejoingnant.e et un.e regroupant.e. Ces personnes, dont la seconde séjourne légalement en Belgique, soit parce qu’elle est Belge, soit parce qu’elle bénéficie d’un titre de séjour en ordre, souhaitent se retrouver dans notre pays pour jouir de leur droit à la vie familiale.

Or, en vertu de la législation actuellement en vigueur, rejoindre un.e conjoint.e en Belgique implique un sacrifice durable de l’indépendance juridique, politique et sociale, voir morale de la personne. En cause, l’encadrement belge de l’immigration familiale par la loi du 15 décembre 1980, qui a fait naître une tension croissante entre le respect de l’autonomie individuelle des migrants et la gestion de l’immigration.

Le titre de séjour du rejoignant – ou plus souvent de la rejoignante – est en effet conditionné, pour une durée de 3 ans a minima, au statut du regroupant et au lien qui les unit. Toute forme de rupture de la vie commune annule le droit du rejoignant à séjourner sur le territoire belge. Cette période probatoire peut évidemment entrainer des distorsions majeures en termes de rapport de pouvoir au sein de certains couples. Elle maintient aussi le/la rejoignant.e dans un état de vulnérabilité accrue, particulièrement critique dans des situations de violence conjugale. Pour la victime, entamer des démarches de protection revient à risquer la régularité de son statut et donc la légalité de sa présence.

Le cas des migrantes victimes de violences intrafamiliales

En théorie, depuis 2006, une femme migrante victime de violences intrafamiliales et dont le statut est encore en cours de validation peut conserver son titre de séjour malgré une rupture de la vie commune. Les conditions sont cependant restrictives et peu connues des migrantes.

Ainsi, la victime peut conserver son titre de séjour pour une très courte durée (1 à 3 mois), et à condition de disposer d’un emploi, d’une mutuelle, et de ne pas dépendre du CPAS. Elle doit, de plus, apporter la preuve des violences subies, laissée à l’appréciation de l’Office des Etrangers – ce qui peut paraitre juridiquement douteux. Ces conditions représentent des obstacles en soi pour des migrantes qu’une arrivée récente et une situation de violence conjugale contribuent à isoler socialement, politiquement, juridiquement, linguistiquement et psychologiquement. L’Office des Etrangers n’est même pas tenu de les informer de leur possibilité de conserver leur droit de séjour pour ces quelques mois, ce qui réduit encore d’autant leur accès à l’information sur leurs droits et les recours possibles.

En termes d’accès à la prévention aussi bien qu’à la protection, les migrantes font alors face à une double discrimination dans la mesure où elles sont par ailleurs rarement prioritaires dans les refuges d’urgence, souvent saturés, ne pouvant participer financièrement à la vie des structures. Un choix s’offre-t-il alors aux victimes, face au risque élevé de perte du statut légal et à la faiblesse de la protection des migrantes contre les violences ?

Féminisation des migrations, la nécessaire adaptation des procédures

Les demandes de séjour au titre du regroupement familial représentent désormais en Europe le canal majeur de migration et ont participé d’une large féminisation du phénomène migratoire. Face à cette réalité, nous ne sommes interpelés sur les droits de ces femmes migrantes qu’à travers des problématiques stigmatisant l’inadaptation de certaines cultures à notre modèle de vie privée. Cette lecture essentialiste et ethnocentriste de la question du genre permet de déresponsabiliser notre système politique et juridique en matière de respect des droits humains. A défaut d’intégrer une perspective genrée, les procédures de regroupement familial sont pourtant constitutives elles-mêmes et dans leur principe, d’une discrimination sexuelle systémique car la perte d’autonomie du migrant qui en résulte est une réalité largement féminine et accentue ainsi les rapports de domination patriarcale, mais aussi les oppressions raciales, de classe, etc. qui s’y intriquent.

Face à cet état de fait, la Belgique tarde non seulement à transposer la Convention du Conseil de l’Europe, dite « d’Istanbul », sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes, qui oblige l’Etat accueillant à fournir une protection quel que soit le statut de la migrante, mais elle a de plus durci les conditions de contrôle du regroupement familial depuis 20121 : la situation de dépendance a été accentuée par un allongement de la période probatoire de 2 à 3 ans.

Ce détour par le droit européen et ses applications nationales variées révèle d’ailleurs que la Belgique se situe plutôt à contre courant d’une tendance à l’autonomisation du statut du rejoignant ainsi qu’à l’introduction de la perspective du genre dans les procédures migratoires. Alors qu’en France l’attestation de violences conjugales peut permettre de suspendre un ordre de quitter le territoire et d’entamer une demande autonome de séjour, le droit belge ouvre seulement la possibilité restreinte d’une conservation du droit de séjour, toujours lié au statut du conjoint.

Il semble par conséquent que la position belge doive être interprétée comme le fruit d’un choix clair : celui de privilégier la gestion des flux migratoires plutôt que la protection inconditionnelle de la personne, et la protection plus particulière des droits des femmes en l’occurrence.

Marine Simon et Martin Lamand